Façades de Dresde : le visage du centre historique au service d’une mémoire réécrite
Publié le 22/06/2025
Extrait du document
«
Façades de Dresde : le visage du centre historique au service
d’une mémoire réécrite
1
Dans un de ses ouvrages publié en 19841, Pierre Nora se dira le porteur d’une « histoire […] moins
intéressée par ce qu’il s’est réellement passé que par sa réutilisation et ses abus perpétuels, son
influence sur les présents successifs – (une) histoire qui ne s’intéresse à la mémoire non comme
souvenir mais structure globale du passé dans le présent ».
Il s’agit donc de comprendre et
d’identifier ces lignes sous-jacentes à nos sociétés d’aujourd’hui, porteuses d’un message, d’une
nostalgie, d’un préexistant et qui ressortent dans tout milieu ; que ce soit dans la représentation
que l’on se fait de la nation, de la ville, ou même plus intimement de nous-même.
L’exercice en devient plus facile et fascinant sur les lieux dont on fabrique la mémoire : le cas des
réponses post-traumatismes, d’après destruction où le récit que l’on se faisait des lieux devient
alors mobilisé par nécessité.
Le vide et l’e ondrement ne donnent au tissu urbain et aux habitants
que très peu de choix : d’une part se figer et ancrer sa blessure profonde, de l’autre réécrire un
nouveau destin ou bien encore les deux simultanément : imbrication de ces contradictions, écrire
la modernité avec les fils de la postérité.
Le sujet de cette recherche s’est fixé sur une ville a ligée matériellement par la destruction de
son tissu urbain et qui a décidé de se repanser/enser plus de 50 ans après : la ville de Dresde dans
le cas de son nouveau centre décidé, le Neumarkt et ses alentours dans un rayon de 1 km.
Après
les 800 bombardiers survolant Dresde le soir du 13 février 1945 détruisant soit par impact soit par
incendie la Frauenkirche (ou « église de Notre Dame de Dresde » construite en 1743) et cinq ilots
environnants de manière quasi-totale, le Neumarkt est le quartier ayant subi le plus de
destructions dans le « centre historique »2.
Il est resté sous la RDA un tas de ruines, forcé à
exposer sa plaie ouverte criant au monde et aux Dresdois la honte de la suprématie nazie,
l’humiliation de la guerre et l’échec pouvant se visiter jour comme nuit grâce aux parkings géants
auquel le quartier avait été réduit.
Ainsi, au lendemain de la Réunification allemande, un
concours3 est lancé par la ville pour commencer la Rekonstruktion du « joyau baroque de
Dresde », signe de renaissance pour la ville.
La nouvelle municipalité porte un projet fidèle aux
représentations figées de la capitale de la Saxe : une identité baroque unique, matérialisant
l’apogée de la ville au milieu du 18ème siècle.
Dresde a toujours été dans son identité, dans son âme « la Schöne Stadt, comme l’écrivent
M.Nachez et P.
Schmoll, prête à se déformer à tout prix pour répondre à « l’impératif supérieur de
la beauté et du bien vivre »4.
La recherche essaiera d’établir les pertes, non seulement d’un côté
symbolique, théorique de telles pratiques, mais les réelles dissonances et pertes matérielles.
NORA, Pierre (ss.dir.de), Les lieux de la mémoire, Tome 1, Paris : Gallimard, 1984 - le travail entrepris dans
cet ouvrage identifie les éléments matériels, et parfois immatériels, qui vont faire naitre et perdurer la
mémoire collective, l’héritage commun malgré les dissonances des parcours.
1
Paradoxalement, il est appelé le Neustadt – ville nouvelle, tout en étant considéré comme le centre
historique de Dresde.
À la suite des bombardements et les réformes socialistes ayant détruits et rasés la
majorité du tissu urbain de l’Altstadt, la rive sud de la ville s’est ainsi vue reprendre le titre symbolique de
« vieille ville ».
2
Pour amorcer la reconstruction, la Frauenkirche fait l'objet d'un projet distinct dès les années 1990 et
achevé en 2005, il sert de catalyseur symbolique à la reconstitution du quartier alentour.
3
NACHEZ, Michel et SCHMOLL, Patrick, « L’apprêt-guerre ».
« Dresde, ou la beauté au prix de l’oubli
Dresde » dans Revue des Sciences Sociales (Strasbourg), n°35, 2006
4
2
Que nous disent les façades du centre historique, construites ou disparues, sur la manière dont
Dresde se représente son passé et sur les fondements de cette mémoire réécrite ?
De nombreux théoriciens, architectes, journalistes, philosophes ont été fascinés ou parfois
apeurés par ces raccourcis représentationnels mais peu se sont penchés sur le détail de ces
projets, et sur comment, de manière littérale, lors de ces aménagements, le patrimoine bâti a été
manipulé, réécrit, détruit pour la création d’un nouveau visage.
L’analyse s’articulera ainsi autour
d’une tension entre deux dynamiques : d’un côté, la négation d’une brûlure urbaine avec une
reconstruction qui e ace le traumatisme et de l’autre la revendication d’une identité unique par
la mise en scène d’un héritage baroque à travers la création de façades néo-historiques et d’un
laxisme modernisant vis-à-vis des façades de l’ère socialiste.
L’analyse s’articulera ainsi autour
de la façade de la Frauenkirche, envisagée comme un démenti du traumatisme ; se poursuivra
avec les façades de l’ilot « Quartier IV » du Neumarkt, matérialisation d’une mémoire choisie ; et
s’achèvera sur celles de Wildru er Straße et du centre commercial Centrum, comme continuité
d’un rejet d’une histoire socialiste de Dresde.
Ces oppositions permettront de saisir comment la
fabrique urbaine participe activement à une relecture sélective du passé et à la (re)construction
des histoires de la ville.
3
I.
La façade de la Frauenkirche : l’impulsion de l’oubli des passé(s)
Scham (« honte ») et Renaissance
Après la guerre, l’Allemagne et la ville de Dresde ont été tenues coupables, et à ce seul titre,
jusqu’à la Réunification Allemande, ne laissant à la ville et à ceux témoins de cette époque
nullement le choix de l’oubli, du pardon.
Pour la ville, cela prend la forme d’une métamorphose
double, portée par les autorités socialistes : d’une part, l’adhésion du peuple à la nouvelle
idéologie et donc l’adaptation de la ville à ses fins (partir d’une page blanche et dans les termes
d’une nouvelle vision architecturale et urbaine) et de l’autre, et, c’est peut-être le plus douloureux
pour l’âme d’un Dresdois, la mise en scène des atrocités et de la laideur en laissant comme
vestige sanglant les ruines de la Frauenkirche aux yeux de tous.
Le gouvernement de Walter
Ulbricht (en RDA 1950-71) qualifiera o iciellement les ruines de la Frauenkirche de « Mahnmal
gegen den Krieg » (Monument commémoratif contre la guerre), figeant tout le quartier dans le
souvenir de cette horreur.
C’est une représentation d’elle-même insoutenable pour la ville de
Belloto5, régie par sa vision stricte de l’esthétisme et c’est dans cette réflexion que surgissent les
formes et revendications du projet de reconstruction, porté par le Ruf auf Dresden 6 en 1990.
Afin de bien comprendre les mémoires et histoires mobilisées dans la conception du Neumarkt,
il faut revenir sur le point de départ du projet : la Frauenkirche construite par l’architecte George
Bahr au milieu du 18ème siècle a une forme typique des églises luthériennes baroques.
Notre Dame de Dresde en 2005 ouvre ses portes, avec un parti pris d’une reconstruction à
l’identique ; les archives de la façade étant soigneusement étudiées pour reproduire les formes
constituantes de cette enveloppe extérieure : moulures, pilastres, chapiteaux, encadrements de
fenêtres et corniches – objets, même factices, qui sont reconnus dans l’œil du visiteur comme
des gages d’authenticité et d’architecture fastueuse.
Les formes évoquant ce passé retrouvé sont
brandies et défendues naturellement : en 1991, les habitants de Dresde voient la Frauenkirche
comme un signe de renaissance.
Appelée aussi Canaletto, peintre vénitien (1721-1780) dont les œuvres ont porté cette identité baroque
que Dresde aime à se donner, les « vedutas » de Belloto réalisés lors de ces séjours et mis en scène
aujourd’hui dans la ville, au bord de l’Elbe comme un parcours touristique.
5
Ruf auf Dresden ou l’appel de Dresde publié dans la presse allemande le 12 février 1990 – appel citoyen
contre la dégradation constatée des ruines et en quête de soutiens et dons de la part de la communauté
internationale, portée par l’association Stiftung Dresdner Frauenkirche.
6
4
Figures : Perceptions de la Frauenkirche au fil du temps, et de sa stature dans la ville.
En parallèle de ce qui a été dit précédemment, la façade de la Frauenkirche a été réduite dans sa
conception à une copie de l’église pré-1945, s’inscrivant dans la vision de la ville de Belloto que
l’on peut voir sur la toile figure a7.
Sa pointe étant reconnaissable de loin, même depuis l’autre rive
de l’Elbe, la façade de l’église se doit donc nécessairement de correspondre à l’idée que le public
se fait de Dresde, et comme on peut le voir sur la figure b, 8la ville participe à cette mise en scène
avec l’installation de cadres évidés, laissant à voir le paysage d’aujourd’hui face à une tablette où
l’on reconnait les figures du peintre.
La composition de la façade sert elle-même au propos de
cette identité : depuis les rives du fleuve, il est presque impossible de distinguer les anciennes
pierres....
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