Expliquez et s'il y a lieu discutez ces lignes de Jean-Paul Sartre : «Il n'est pas vrai qu'on écrive pour soi-même : ce serait le pire échec; en projetant ses émotions sur le papier, à peine arriverait-on à leur donner un prolongement languissant... Il n'y a art que pour et par autrui.» (Qu'est-ce que la littérature?, 1947, Gallimard, coll. Folio/Essais, p. 49-50)
Publié le 15/05/2020
                             
                        
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                                                                    Il n'y a art que pour et par autrui.» (Qu'est-ce que la littérature?, 1947, Gallimard, coll.
                                                            
                                                                                
                                                                    Folio/Essais,p.
                                                            
                                                                                
                                                                    49-50)
 
I La thèse de Sartre : on n'écrit pas pour soi-même
Sartre attire notre attention sur cette idée à peu près incontestable que le langage (oral ou écrit) vise toujours unpublic, réel ou virtuel, ne serait-ce que parce que l'écrivain n'est pas un demi-fou qui monologue, un ivrogne qui setient à lui-même des discours dans la rue, une jeune fille qui note complaisamment ses premiers émois amoureuxdans son journal,  mais un adulte  qui a conscience  d'accomplir une tâche  importante.
                                                            
                                                                                
                                                                     En effet,  s'il prétend  nes'occuper que de beauté pure, même s'il n'a pas conscience d'un message à délivrer ou d'une thèse à défendre (etnous écarterons donc, parce que le cas serait trop facile, toute littérature de type politique, pamphlétaire, oratoire,etc., qui par  nature  suppose  un autrui  à toucher),  l'écrivain est l'homme  d'un temps,  de certains  groupes,  decertains milieux qui s'expriment à travers lui et pour lesquels il s'exprime.
                                                            
                                                                                
                                                                    Sartre ne nie pas que l'oeuvre puisse êtrel'expression de difficultés personnelles (cf.
                                                            
                                                                                
                                                                    son gros essai sur Jean Genet) ni qu'inversement elle puisse s'adresser àun public  qui dépasse  le milieu  de l'écrivain,  mais il pense  qu'elle  n'a sa réelle  portée  qu'en considération  d'uninterlocuteur assez déterminé  auquel songe le  créateur au moment  où il écrit.
                                                            
                                                                                
                                                                     Essayons d'envisager  un certainnombre d'éléments très précis qui pourraient soutenir le point de vue de Sartre.1 Toute  littérature  est allusion  à un  type  de culture.
                                                            
                                                                                
                                                                     L'écrit littéraire  en effet  implique  en permanence  desréférences à des données culturelles que l'auteur suppose connues de son public.
                                                            
                                                                                
                                                                    Un Rabelais suppose par exempleque son public est au courant des débats scolastiques de la Sorbonne, un Montaigne s'adresse à un lecteur quiconnaît Plutarque  et Sénèque,  un Corneille  ou un Racine  postulent  que les principales  légendes mythologiqueshantent la mémoire de leurs spectateurs, etc.
                                                            
                                                                                
                                                                    Or chacun sait qu'une culture est toujours (même si elle n'est pasuniquement cela) un signe de connivence avec autrui, un moyen de reconnaissance entre gens d'un même groupeou d'un même milieu De toute façon, en  choisissant de se référer à une culture plutôt qu'à une autre, l'écrivainchoisit, qu'il le veuille ou non, de s'adresser à un public plutôt qu'à un autre : même s'il écarte le public actuel quil'entoure comme «philistin», bourgeois, incapable de le comprendre, etc.
                                                            
                                                                                
                                                                    (cf.
                                                            
                                                                                
                                                                    Stendhal, Haubert, Baudelaire, etc.), ilen appelle alors ou à un public futur ou à un public virtuel, public qu'il espère d'ailleurs que son oeuvre contribuera àconstituer.2 Toute littérature est emploi d'une certaine langue.
                                                            
                                                                                
                                                                    Des considérations analogues portant sur la langue et le styledémontreront facilement ce qu'il y a de fictif dans la prétention des écrivains qui soutiendraient qu'ils ne s'adressentqu'à eux-mêmes, car alors, pour être conséquents avec  eux-mêmes, ils devraient n'employer  qu'une langue trèsneutre et totalement indifférenciée dont il est bien évident qu'elle n'aurait rien de littéraire.
                                                            
                                                                                
                                                                    Dès qu'on adopte uncertain vocabulaire,  un certain  registre  dans le ton,  on choisit  plus ou moins  implicitement  son public.
                                                            
                                                                        
                                                                     LorsqueLamartine exprimant  sa mélancolie dans les Méditations, choisit  de garder le style néoclassique, ses métaphoresassez pâles, s'il parle par exemple du «char vaporeux de la reine des ombres» pour désigner la lune (Isolement, y.11), c'est parce qu'il s'adresse, non point aux enfants des révolutionnaires de 1793 et non point à lui-même bienévidemment (qui monologuerait  dans ce style  ?), mais  au public  des salons  de la Restauration  où de jeunesroyalistes  distingués et  cultivés comme lui  retrouvaient  dans cette langue  un peu conventionnelle  leurs propresinquiétudes et le passé de la classe qui était la leur.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il arrive du reste parfois que l'écrivain voudrait bien toucher unplus large public,  mais qu'il n'y parvienne  pas parce qu'il parle malgré lui la langue de son entourage et  de sonhéritage culturels  : les surréalistes  auraient aimé s'adresser  au monde du travail,  mais, comme ils  s'exprimaientinévitablement dans leur style d'artistes et d'intellectuels bourgeois, ils n'avaient aucune chance de sortir du milieucorrespondant.3 Toute littérature est expression du goût et des besoins de groupes.
                                                            
                                                                                
                                                                    Pour Sartre en effet, et telle est son idéefondamentale  sur les rapports  de l'écrivain  et du public,  ce n'est  pas exactement le  milieu qui produit l'écrivaincomme le croyait Taine, mais c'est tout au moins le milieu qui l'appelle.
                                                            
                                                                                
                                                                    Flaubert a peut-être cru qu'il exprimait pourlui-même et dans un hautain dégoût solitaire son mépris de la médiocrité bourgeoise, il n'a été, ce faisant, qu'unbourgeois  (qu'aurait-il  d'ailleurs pu être  d'autre  ?), ne serait-ce  que parce  qu'il est de très  bon ton dans  labourgeoisie de se contester soi-même ; aussi, sans aller jusqu'à dire que c'est la bourgeoisie qui a produit Flaubert,il est possible d'affirmer que Flaubert a été comme porté et appelé par une bourgeoisie dont il exprime notammentl'ennui et l'individualisme à une époque où la classe bourgeoise renonçait à l'universalisme kantien qui avait été saphilosophie  lors de la Révolution  française et commençait  à lui  préférer  des théories  d'exaltation  du moi  (cf.l'idéologie des jeunes bourgeois que seront le Gide des Nourritures terrestres, le Barrès du Culte du moi, etc.).
                                                            
                                                                                
                                                                    C'estpourquoi Flaubert, bien qu'il ait eu un procès pour Madame Bovary, a trouvé son audience dans la seule classe àlaquelle il s'adressait en fait, c'est-à-dire la classe bourgeoise ; et c'est d'ailleurs à un goût bourgeois du travail bienfait, de l'oeuvre achevée avec une perfection pour ainsi dire artisanale que répond l'esthétique de Flaubert.4 Toute littérature veut convaincre ou tout au moins justifier.
                                                            
                                                                                
                                                                    On en arrive, à ce niveau, à se demander si même lesécrivains qui ont cru le plus se séparer des hommes n'ont pas en réalité poursuivi, par exemple dans leurs mémoires,leurs confessions, leurs journaux intimes, etc., un dessein plus ou moins secret où la considération d'autrui jouait unrôle capital.
                                                            
                                                                                
                                                                    Certains exemples sont d'interprétation trop évidente, comme celui de Chateaubriand, qui a proclamétoute sa vie la solitude de sa création et son indifférence à l'égard du lecteur et qui a en réalité très soigneusementdressé dans les Mémoires  d'Outre-Tombe sa figure pour une postérité qu'il dédaignait  beaucoup moins qu'il ne lelaissait entendre.
                                                            
                                                                                
                                                                     Mais d'autres  exemples  d'interprétation  plus délicate  permettent  d'arriver à des  conclusions.
                                                                                                                    »
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