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Eugène Ionesco

Publié le 09/12/2021

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Le 11 mai 1950, dans un petit théâtre de la rive gauche aujourd'hui disparu, la troupe de M. Nicolas Bataille créait la première pièce de M. Eugène Ionesco, la Cantatrice chauve, au milieu de l'hostilité de quelques-uns et de l'indifférence de presque tous. Mais cette calvitie était un porte-voix. Peu de gens connaissaient l'auteur qui faisait à trente-huit ans des débuts relativement tardifs, qui avait été dans l'entre-deux-guerres successivement étudiant roumain en France, puis professeur de français en Roumanie, avant de se fixer à Paris. Son heure était arrivée : en moins de dix ans, son théâtre allait passer des petites salles désertes à la grande renommée dans presque tous les pays du monde occidental, si bien qu'on parlera peut-être dans l'histoire du théâtre de la décennie centrale de ce siècle comme de la décennie d'Ionesco. Dans son intention et dans son principe, le théâtre de M. Ionesco est un réalisme, ou, si l'on préfère, un vérisme : il s'agit d'atteindre la vérité vraie de la condition humaine, ce qui ne peut se faire qu'en mettant en évidence sa véritable étrangeté au-delà de toute familiarité apparente. Or, vers 1950, la scène française dans son ensemble reste soumise à un certain nombre de conventions de langue, de construction et de psychologie qui n'ont guère bougé depuis la fin du siècle précédent. Le roman, et surtout la poésie, se sont renouvelés. Au théâtre, pour prendre quelques exemples, M. de Montherlant est néo-classique jusqu'à l'académisme, M. Jean-Paul Sartre verse le vin nouveau de l'existentialisme dans les vieilles outres bernsteiniennes (sauf dans Huis clos), le brillant vernis verbal de Giraudoux commence à se craqueler, Claudel vieillissant rogne les ailes métaphysiques de son œuvre ancienne, les tentatives de Roger Vitrac sont oubliées, celles de M. Jean Tardieu ne sont malheureusement jamais sorties tout à fait du laboratoire. Sauf chez ces derniers, la vérité de théâtre est une sorte de transposition arbitraire où les personnages parlent et agissent dans une lumière psychologique artificielle.

« Eugène Ionesco Le 11 mai 1950, dans un petit théâtre de la rive gauche aujourd'hui disparu, la troupe de M.

Nicolas Bataille créait la première pièce deM.

Eugène Ionesco, la Cantatrice chauve, au milieu de l'hostilité de quelques-uns et de l'indifférence de presque tous.

Mais cettecalvitie était un porte-voix.

Peu de gens connaissaient l'auteur qui faisait à trente-huit ans des débuts relativement tardifs, qui avait étédans l'entre-deux-guerres successivement étudiant roumain en France, puis professeur de français en Roumanie, avant de se fixer àParis.

Son heure était arrivée : en moins de dix ans, son théâtre allait passer des petites salles désertes à la grande renommée danspresque tous les pays du monde occidental, si bien qu'on parlera peut-être dans l'histoire du théâtre de la décennie centrale de cesiècle comme de la décennie d'Ionesco. Dans son intention et dans son principe, le théâtre de M.

Ionesco est un réalisme, ou, si l'on préfère, un vérisme : il s'agit d'atteindre lavérité vraie de la condition humaine, ce qui ne peut se faire qu'en mettant en évidence sa véritable étrangeté au-delà de toutefamiliarité apparente.

Or, vers 1950, la scène française dans son ensemble reste soumise à un certain nombre de conventions delangue, de construction et de psychologie qui n'ont guère bougé depuis la fin du siècle précédent.

Le roman, et surtout la poésie, sesont renouvelés.

Au théâtre, pour prendre quelques exemples, M.

de Montherlant est néo-classique jusqu'à l'académisme, M.

Jean-PaulSartre verse le vin nouveau de l'existentialisme dans les vieilles outres bernsteiniennes (sauf dans Huis clos), le brillant vernis verbalde Giraudoux commence à se craqueler, Claudel vieillissant rogne les ailes métaphysiques de son œuvre ancienne, les tentatives deRoger Vitrac sont oubliées, celles de M.

Jean Tardieu ne sont malheureusement jamais sorties tout à fait du laboratoire.

Sauf chez cesderniers, la vérité de théâtre est une sorte de transposition arbitraire où les personnages parlent et agissent dans une lumièrepsychologique artificielle. Donc, soucieux de la vérité de l'art dramatique, M.

Ionesco commencera par une anti-pièce.

Et il comprend très bien que s'il exerce sapesée sur les conventions du langage il fera du même coup voler en éclats les conventions des personnages et de l'action.

Mais il nepeut être question au théâtre d'une vérité de langage purement phonographique : il faut souligner, amplifier la vérité retrouvée de laparole.

Voilà pourquoi au dix-septième coup de la pendule qui marque neuf heures, les Smith et les Martin de la Cantatrice et derrièreeux tous les personnages des pièces de M.

Ionesco, se mettront à dire des banalités plus banales que les banalités, des absurdités plusabsurdes que les absurdités que nous proférons tous les jours par automatisme de la langue, et le dérèglement systématique de tousles mots s'étendra au dérèglement systématique de tous les gestes, jusqu'à donner une image grossie du dérèglement de nos opinionset de nos conduites.

La machinerie verbale et sociale s'affole, puis accélère son dérèglement jusqu'à la violence et la destructionsadique. Le résultat, c'est le rire, ou plutôt un burlesque d'une espèce si particulière que lorsqu'on vient d'en rire, on sent confusément qu'ondevrait en être angoissé.

M.

Ionesco ne veut strictement rien d'autre : le théâtre ne doit pas essayer de dire quelque chose (“ Lethéâtre n'est pas le langage des idées...

Tout théâtre d'idéologie risque de n'être que théâtre de patronage ”).

Il doit essayer del'exprimer (“ L'art pour moi consiste en la révélation de certaines choses que la raison, la mentalité quotidienne me cachent.

L'art percece quotidien ”).

C'est-à-dire que le théâtre n'est pas communication d'un état d'esprit, il est communication d'un état d'âme. État d'âme radical, permanent, qui touche à l'essence de la condition humaine, qui est l'angoisse indivisible à la fois devant la vie etdevant la mort.

M.

Ionesco pousse son avantage, du dérèglement du dialogue, il passe à celui de l'espace scénique, il multiplie lesaccessoires (les chaises, les meubles), ou les “ machines ” (le cadavre géant, le rhinocéros, les ficelles qui emportent un piéton dansles airs), de manière à mettre en valeur à la fois le caractère arbitraire et le caractère intérieur de l'espace théâtral.

Il est comme lepremier et naïf spectateur d'une machine aussi purement “ de théâtre ” que possible, dont la coloration et l'agencement cependant, loind'être neutres ou absurdes, crient ses obsessions les plus intimes et les plus vraies.

Tout l'univers bourgeois est tourné en dérision,piétiné avec une violence sauvage (mais non sacrilège puisqu'il s'agit précisément de montrer qu'il n'a rien de sacré), l'idiomoclaste estle plus terrible des iconoclastes.

Mais ce n'est pas au profit d'un univers non bourgeois : personne aujourd'hui n'est aussivigoureusement opposé à un théâtre engagé que M.

Ionesco.

C'est au profit d'un monde de l'angoisse métaphysique élémentaire, oùl'homme, enfant ou vieillard, est réduit à sa nudité et à sa faiblesse. Avec les trois premières pièces où il a mis en scène le personnage de Bérenger (Tueur sans gages, Le Rhinocéros, le Piéton de l'Air onen trouvera les germes, comme ceux d'autres œuvres dans le recueil de nouvelles : la Photo du Colonel), M.

Ionesco risquait derevenir à un théâtre de penseurs chauves comme sa cantatrice, je veux dire à un théâtre de défense et d'édification morale, contre lemal, le Mal absurde et absolu du Tueur, le mal de tout grégarisme social, le mal apocalyptique qui est la tarte à la crème du siècleatomique.

Mais ce qu'il y a de meilleur dans ces pièces semble éclairé a posteriori par le quatrième passage de Bérenger dans ladernière pièce de M.

Ionesco connue au moment où j'écris, le Roi se meurt.

Ici Bérenger cesse d'être un homme pour devenir Tout-Homme, et le mal cesse d'être un mal pour devenir Tout-Mal : la Mort.

Car c'est elle qui rend tout vraiment dérisoire, c'est la peur del'incompréhensible Mort qui est depuis le début le ressort et le fondement de tout théâtre de la dérision.

La différence entre la non-rhétorique et la rhétorique devient de peu d'importance puisqu'il s'agit dans les deux cas d'exprimer une situation métaphysiqueélémentaire (métaphysique, et non religieuse, ce qui serait une spécification jusqu'à présent tout à fait injustifiée). S'il y a une idée que M.

Eugène Ionesco déteste plus que l'idée d'engagement politique, je crois que c'est l'idée d'avant-garde quicorrespond trop souvent aujourd'hui à une sorte d'engagement littéraire.

L'avant-garde se ramène pour lui à un respect toujours plusgrand de la vérité et de la liberté.

Les partisans d'une avant-garde piétinante, ceux qui refusent à un auteur le droit de se continuer pard'autres moyens que ceux auxquels ils sont habitués, vont peut-être se détourner de lui.

Mais il est impossible d'arrêter en ce moment,au milieu de 1963, la courbe de notre auteur.

S'il fallait essayer de marquer le chemin déjà parcouru, de donner une idée despaysages traversés, peut-être pourrait-on dire que cette œuvre singulière s'est efforcée d'occuper tout le terrain entre Labiche etBossuet.. »

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