Du Jugement.
Publié le 15/05/2020
Extrait du document
«
Du Jugement.
1.
L'expérience et la raison sont les deux points de vue de la faculté de connaître; le moi et le non-moi, le dedans etle dehors, sont les deux champs que parcourt l'expérience et qui, par conséquent, fournissent à la raison lesoccasions dé ses développements.
Mais comme, dans l'unité de notre intelligence, l'expérience ne se développe àaucun degré sans que la raison n'entre aussitôt en exercice, et que réciproquement la raison attend l'expériencepour produire les idées qui lui sont propres, il s'ensuit qu'aucune idée contingente n'apparaît dans notre esprit sansêtre unie étroitement à une idée nécessaire.
A peine l'idée d'un phénomène est-elle formée, l'idée de la substances'y unit soudainement et -étroitement ; de même pour l'idée de changement et l'idée de la cause et pour toutes lesautres.2.
Ainsi notre intelligence ne débute pas par des idées isolées qu'elle rapproche ensuite par la comparaison.
Elledébute par des affirmations, et dans ces affirmations, qui sont les faits primitifs de l'intelligence, il y a toujours etnécessairement deux idées, l'une contingente et l'autre nécessaire.3.
Soit un enfant qui perçoit pour la première fois une forme, ronde ou carrée, dans un corps : non-seulement il laperçoit, mais il l'affirme, il affirme une forme appartenant à un corps, il affirme un corps revêtu d'une forme, il affirmeenfin le phénomène et la substance.4.
Cette affirmation primitive est concrète, c'est-à-dire que la forme et le corps, le phénomène et la substance sontaffirmés simultanément, et que plus tard il faudra de la part de l'esprit un travail particulier pour séparer ces deuxéléments, et considérer le phénomène sans la substance ou concevoir la substance sans le phénomène.5.
C'est cette affirmation primitive de l'intelligence que l'on appelle jugement.
Le jugement peut donc se définir uneaffirmation de l'intelligence, qui renferme naturellement deux éléments, l'élément expérimental ou idée contingente etl'élément rationnel ou idée nécessaire.6.
Cette explication est d'une grande importance.
Car, comme le jugement se compose de deux éléments,l'expérimental et le rationnel, on a cru souvent que ces deux éléments se formaient à part, puis que l'esprit opéraitentre eux un rapprochement.
En appelant idées ces éléments pris séparément, on disait que le jugement n'étaitautre chose que le résultat de la comparaison de deux idées.
Or, cela est vrai pour une foule de jugements dérivés,mais cela est absolument faux de tout jugement primitif.7.
Par exemple, nous n'acquérons pas séparément l'idée d'un certain effet, et d'un autre côté l'idée universelle de lacause, pour opérer ensuite le rapprochement et affirmer la convenance de ces deux idées ; nous faisonsprécisément le contraire.
Comme la chose a été expliquée plus haut, à mesure que nous percevons un effet, nousconcevons en même temps une cause qui le produit, et il n'y a pas là dedans deux actes simultanés, mais un seulacte.
Plus tard, par la réflexion, nous envisageons séparément l'effet particulier et la cause qui l'a produit ou lacause en général, et alors on dit que nous avons l'idée d'effet et l'idée de cause.
Mais ces deux idées sont lerésultat d'une décomposition du fait primitif, d'une manière analogue à celle par laquelle les chimistes séparent deséléments matériels qui dans la nature primitive des choses se trouvaient réunis.8.
Il n'est pas une idée dans notre intelligence qui n'ait existé primitivement comme élément d'un jugement.
Touteidée contingente paraît avec une idée nécessaire , toute idée nécessaire avec tine idée contingente.9.
Toutes nos idées nécessaires pouvant se réduire à celle de cause et à celle de substance, tous nos jugementspeuvent être considérés comme de deux sortes : ceux qui attribuent les effets aux causes et ceux qui attribuent lesphénomènes aux substances.
Tout jugement exprime l'action ou l'existence et renferme, sous une forme ou sousune autre, le verbe actif ou le verbe substantif.
C'est à tort que dans l'analyse on a essayé de réduire ces deuxespèces à une seule et de faire de tout verbe un composé du verbe être.
Cette erreur grammaticale, venue d'uneerreur psychologique, assimile l'action qui a son origine au dedans au simple phénomène qui a son origine au dehors.Elle fait du sujet de la phrase un être qui subit l'action sans jamais la produire.10.
Tout jugement primitif est particulier : cela résulte des explications précédentes.
Mais tout jugement particuliertire sa valeur d'un jugement universel qu'il suppose.
Quand je dis : ce corps est rouge ; je suis attentif; cesjugements particuliers supposent un jugement universel : tout phénomène suppose une substance.
Toutefois, cejugement universel ne m'apparaît que par cette application particulière que j'en fais; je puis même vivre de longuesannées en faisant de continuelles applications de ce jugement universel, sans jamais penser à ce jugement qui faitla valeur de tant d'autres.11.
Il est donc vrai tout à la fois que les jugements universels font toute la force des jugements particuliers , et queles jugements particuliers sont la condition chronologique des jugements universels.
En sorte que ces deux espècesde jugements sont entre eux précisément dans le même rapport que les idées contingentes et les idées nécessairesqui en sont les éléments.12.
On donne aux jugements primitifs particuliers et aux jugements universels qu'ils supposent et qu'ils révèlent lenom de jugements à priori.13.
Lorsque par l'abstraction et la généralisation nous avons séparé les idées contingentes des idées nécessaires etformé des idées générales, nous pouvons comparer ces idées entre elles ou avec de nouvelles, et , par suite de cescomparaisons, affirmer la ressemblance ou la non ressemblance de ces idées entre elles.
Ou plutôt, ce ne sont pasles idées que nous comparons, mais les phénomènes et les effets.
Ces nouveaux jugements se nomment àposteriori, par opposition aux jugements à priori.
Ils consistent donc à affirmer d'une substance un phénomènesemblable à un phénomène déjà connu et affirmé dans d'autres substances, comme lorsque je dis tel corps est dur;ou bien à affirmer d'une cause un effet semblable à un effet déjà connu et affirmé d'autres causes, comme lorsqueje dis vous avez fait une injustice; ou bien, sans rapporter les phénomènes et les effets à des substances et à descauses, à les comparer entre eux, et à affirmer qu'ils se ressemblent ou qu'ils diffèrent, comme lorsque je dis lesentiment n'est pas la sensation, la foudre est due au fluide électrique.14.
Un jugement qui exprime l'identité entre deux termes s'appelle définition de mot, comme si je dis un triangle est.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- « Nous aimons cette pièce car elle a été écrite le mois dernier, c'est pour nous la définition d'un classique », écrit Roger Planchon dans le programme de George Dandin dont il fut l'un des metteurs en scène. En vous appuyant sur vos connaissances de la pièce, vous commenterez le jugement de Roger Planchon sur George Dandin et indiquerez pourquoi, à votre avis, on peut apprécier au XXIe siècle une pièce écrite au XVIIe siècle.
- Dans son roman, les Faux-Monnayeurs, Gide prête à son personnage de romancier, Edouard la réflexion suivante : « Il se dit que les romanciers par la description trop exacte de leurs personnages, gênent plutôt l'imagination qu'ils ne la servent et qu'ils devraient laisser chaque lecteur se représenter chacun de ceux-ci comme il lui plaît ». Partagez-vous ce jugement ? Vous expliquerez et discuterez le point de vue énoncé par André Gide en vous appuyant sur vos lectures personnelles et l
- « La cérémonie commence » s'écrie un personnage au début de la représentation de la pièce d'Ionesco, Le Roi se meurt. Ne pensez-vous pas qu'on puisse dire de toute représentation qu'elle est elle-même une cérémonie ? Vous vous interrogerez sur ce jugement en vous référant aux oeuvres littéraires que vous avez appréciées et à votre expérience théâtrale.
- Dans la Revue des deux Mondes, en 1838, Gustave Planche écrivait, à propos de Ruy Blas, de Victor Hugo : « Toute la pièce n'est qu'un puéril entassement de scènes impossibles. Elle ne relève ni de la réalité historique, ni de la réalité humaine, ni de la poésie lyrique ». Selon vous, d'après les drames romantiques que vous connaissez, ce jugement est-il justifié ?
- Bossuet loue Henriette d'Angleterre d'avoir préféré la lecture des ouvrages d'histoire à celle des romans : « Soucieuse de se former sur le vrai, dit-il, elle méprisait ces froides et dangereuses fictions ». Examinez et discutez ce jugement.