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Descartes règle IV Règle quatrième. Commentaire

Publié le 13/09/2022

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« Règle quatrième. Nécessité de la méthode dans la recherche de la vérité. Les hommes sont poussés par une curiosité si aveugle, que souvent ils dirigent leur esprit dans des voies inconnues, sans aucun espoir fondé, mais seulement pour essayer si ce qu’ils cherchent n’y serait pas ; à peu près comme celui qui, dans l’ardeur insensée de découvrir un trésor, parcourrait perpétuellement tous les lieux pour voir si quelque voyageur n’y en a pas laissé un ; c’est dans cet esprit qu’étudient presque tous les chimistes, la plupart des géomètres, et bon nombre de philosophes.

Et certes je ne disconviens pas qu’ils n’aient quelquefois le bonheur de rencontrer quelque vérité ; mais je n’accorde pas qu’ils en soient pour cela plus habiles, mais seulement plus heureux.

Aussi vaut-il bien mieux ne jamais songer à chercher la vérité que de le tenter sans méthode ; car il est certain que les études sans ordre et les méditations confuses obscurcissent les lumières naturelles et aveuglent l’esprit.

Ceux qui s’accoutument ainsi à marcher dans les ténèbres s’affaiblissent tellement la vue, qu’ils ne peuvent plus supporter la lumière du jour ; ce que confirme l’expérience, puisque nous voyons des hommes qui jamais ne se sont occupés de lettres juger d’une manière plus saine et plus sûre de ce qui se présente que ceux qui ont passé leur vie dans les écoles.

Or, par méthode, j’entends des règles certaines et faciles, qui, suivies rigoureusement, empêcheront qu’on ne suppose jamais ce qui est faux, et feront que sans consumer ses forces inutilement, et en augmentant graduellement sa science, l’esprit s’élève à la connaissance exacte de tout ce qu’il est capable d’atteindre. Il faut bien noter ces deux points, ne pas supposer vrai ce qui est faux, et tâcher d’arriver à la connaissance de toutes choses.

En effet si nous ignorons quelque chose de tout ce que nous pouvons savoir, c’est que nous n’avons jamais remarqué aucun moyen qui pût nous conduire à une pareille connaissance, ou parce que nous sommes tombés dans l’erreur contraire.

Or si la méthode montre nettement comment il faut se servir de l’intuition pour éviter de prendre le faux pour le vrai, et comment la déduction doit s’opérer pour nous conduire à la science de toutes choses, elle sera complète à mon avis, et rien ne lui manquera, puisqu’il n’y a de science qu’avec l’intuition et la déduction, ainsi que je l’ai dit plus haut.

Toutefois elle ne peut pas aller jusqu’à apprendre comment se font ces opérations, parce qu’elles sont les plus simples et les premières de toutes ; de telle sorte que si notre esprit ne les savait faire d’avance, il ne comprendrait aucune des règles de la méthode, quelque faciles qu’elles fussent. Quant aux autres opérations de l’esprit, que la dialectique s’efforce de diriger à l’aide de ces deux premiers moyens, elles ne sont ici d’aucune utilité ; il y a plus, on doit les mettre au nombre des obstacles ; car on ne peut rien ajouter à la pure lumière de la raison, qui ne l’obscurcisse en quelque manière. Comme l’utilité de cette méthode est telle que se livrer sans elle à l’étude des lettres soit plutôt une chose nuisible qu’utile, j’aime à penser que depuis longtemps les esprits supérieurs, abandonnés à leur direction naturelle, l’ont en quelque sorte entrevue.

En effet l’âme humaine possède je ne sais quoi de divin où sont déposés les premiers germes des connaissances utiles, qui, malgré la négligence et la gêne des études mal faites, y portent des fruits spontanés.

Nous en avons une preuve dans les plus faciles de toutes les sciences, l’arithmétique et la géométrie.

On a remarqué en effet que les anciens géomètres se servaient d’une espèce d’analyse, qu’ils étendaient à la solution des problèmes, encore bien qu’ils en aient envié la connaissance à la postérité.

Et ne voyons-nous pas fleurir une certaine espèce d’arithmétique, l’algèbre, qui a pour but d’opérer sur les nombres ce que les anciens opéraient sur les figures ? Or ces deux analyses ne sont autre chose que les fruits spontanés des principes de cette méthode naturelle, et je ne m’étonne pas qu’appliquées à des objets si simples, elles aient plus heureusement réussi que dans d’autres sciences où de plus grands obstacles arrêtaient leur développement ; encore bien que même, dans ces sciences, pourvu qu’on les cultive avec soin, elles puissent arriver à une entière maturité. C’est là le but que je me propose dans ce traité.

En effet je ne ferois pas grand cas de ces règles, si elles ne servoient qu’à résoudre certains problèmes dont les calculateurs et les géomètres amusent leurs loisirs.

Dans ce cas, que ferois-je autre chose que de m’occuper de bagatelles avec plus de subtilité peutêtre que d’autres ? Aussi quoique, dans ce traité, je parle souvent de figures et de nombres, parce qu’il n’est aucune science à laquelle on puisse emprunter des exemples plus évidents et plus certains, celui qui suivra attentivement ma pensée verra que je n’embrasse ici rien moins que les mathématiques ordinaires, mais que j’expose une autre méthode, dont elles sont plutôt l’enveloppe que le fond.

En effet, elle doit contenir les premiers rudiments de la raison humaine, et aider à faire sortir de tout sujet les vérités qu’il renferme ; et, pour parler librement, je suis convaincu qu’elle est supérieure à tout autre moyen humain de connoître, parce qu’elle est l’origine et la source de toutes les vérités.

Or je dis que les mathématiques sont l’enveloppe de cette méthode, non que je veuille la cacher et l’envelopper, pour en éloigner le vulgaire, au contraire, je veux la vêtir et l’orner, de manière qu’elle soit plus à la portée de l’esprit. Quand j’ai commencé à m’adonner aux mathématiques, j’ai lu la plupart des ouvrages de ceux qui les ont cultivées, et j’ai étudié de préférence l’arithmétique et la géométrie, parce qu’elles étoient, disoit-on, les plus simples, et comme la clef de toutes les autres sciences ; mais je ne rencontrois dans l’une ni l’autre un auteur qui me satisfît complètement.

J’y voyois diverses propositions sur les nombres dont, calcul fait, je reconnoissois la vérité ; quant aux figures, on me mettoit, pour ainsi dire, beaucoup de vérités sous les yeux, et on en concluoit quelques autres par analogie ; mais on ne me paroissoit pas dire assez clairement à l’esprit pourquoi les choses étoient comme on les montroit, et par quels moyens on parvenoit à leur découverte.

Aussi, je ne m’étonnois plus de ce que des hommes habiles et savants abandonnassent ces sciences, après les avoir à peine effleurées, comme des connaissances puériles et vaines, ou, d’autre part, tremblassent de s’y livrer, comme à des études difficiles et embarrassées.

En effet il n’y a rien de plus vide que de s’occuper de nombres et de figures imaginaires, comme si on vouloit s’arrêter à la connaissance de pareilles bagatelles ; et de s’appliquer à ces démonstrations superficielles que le hasard découvre plus souvent que l’art, de s’y appliquer, dis-je, avec tant de soins, qu’on désapprouve, en quelque sorte, de se servir de sa raison ; sans compter qu’il n’y a rien de plus difficile que de dégager, par cette méthode, les difficultés nouvelles qui se présentent pour la première fois, de la confusion des nombres qui les enveloppent.

Mais quand, d’autre part, je me demandai pourquoi donc les premiers inventeurs de la philosophie vouloient n’admettre à l’étude de la sagesse que ceux qui avoient étudié les mathématiques, comme si cette science eût été la plus facile de toutes et la plus nécessaire pour préparer et dresser l’esprit à.... »

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