Cohen, belle du seigneur
Publié le 26/03/2024
Extrait du document
«
Albert Cohen, Belle du Seigneur, chapitre LXXXVII, 1968.
Eh oui, ne fréquentant plus personne et ne pouvant plus commenter des amis, agréable
occupation des sociaux, ni parler d'une activité quelconque, puisqu’ignominieusement chassé
(1) comme avait dit la Forbes, il fallait tout de même nourrir la conversation puisqu'on était
des mammifères amoureux à langage articulé.
Alors voilà, on commentait des dîneurs
inconnus, on tâchait de deviner leur profession, leur caractère, leurs sentiments réciproques.
Tristes passe-temps des solitaires, espions et psychologues malgré eux.
Et quand on avait fini l'exégèse (2)de ces inconnus désirables, inaccessibles et méprisés, iI
fallait trouver autre chose.
Alors on discutait de la robe achetée ou des personnages des
romans qu'elle lui lisait le soir.
S'apercevait-elle de leur tragédie ? Non, elle était une femme
bien, ferme en son propos d'amour.
Mais aujourd'hui, pas le courage de la bourrer de
substituts.
Tant pis, pas de Cannes, lui faire le coup de la migraine et aller remuer en paix ses
orteils chez lui jusqu'à l'heure du dîner.
Non, impossible de la laisser se morfondre toute seule
dans sa chambre.
Mais que lui dire tout à l'heure lorsqu'elle rappliquerait noblement, aimante
et parfumée, si pleine de bonne volonté ? Rien à lui dire.
Oh, être un facteur et lui raconter sa
tournée ! Oh, être un gendarme et lui raconter un passage à tabac ! Voilà qui était du vivant,
du vrai, du solide.
Ou encore la voir s'animer parce qu'on était invités ce soir par un sousbrigadier ou un sur-facteur.
Oh, si la tendresse pouvait suffire à contenter une femme ! Mais
non, il avait été engagé pour de la passion.
Lui faire des enfants pour lui donner un but en
dehors de lui et un passe-temps aussi ? Mais non, les enfants supposaient mariage et le
mariage supposait vie dans le social.
Or, il était un banni, un hors caste.
De toute façon, ils ne
pouvaient pas se marier puisqu'elle avait déjà un mari.
Et puis quoi elle avait tout abandonné
pour une vie merveilleuse, et non pour pondre.
Il ne lui restait plus qu'à être un héros
passionnel.
1 Mrs Forbes est une connaissance d'Ariane et de Solal
2 L'exégèse : l'analyse
Introduction :
Les grandes histoires d’amour sont souvent des histoires scandaleuses, l’ amour étant
réprouvé par les normes sociales.
Tel est le cas de l’amour de Solal et d’Ariane, dans le
roman de Cohen, Belle du Seigneur.
Publié en 1968.
Ariane a quitté son mari, un homme
médiocre, pour vivre le grand amour avec Solal.
Exclus de la bonne société, les amants se
sont retirés dans un luxueux hôtel de la Côte d'Azur.
Dans cet extrait, Solal est seul et effectue
un bilan de leur relation.
En quoi l’absence de lien social contribue-t-il à la dégradation du
couple.
1.
Vanité des sujets de conversation : moyen de tromper l’ennui (du début à
s’apercevait-elle?)
La situation du couple est exprimée au début du monologue : il s’agit de personnages
bannis.
Les négations montrent l’absence de toute relation sociale (ne plus personne, ne, ni),
en raison de leur statut de paria :la citation « ignominieusement chassé » montre le mépris de
la société pour ces marginaux.
(L’article défini « la Forbes est dépréciatif).
Ces négations sont
également présentes dans les préfixes « inconnu, inaccessible » avec la répétition de
« inconnu » qui montre la solitude des personnages.
Nous pouvons remarquer humour de
Solal, avec la périphrase : « mammifères amoureux à langage articulé » qui définit l’homme
par ses sentiments et par la parole, seule différence avec les animaux.
Nous pouvons noter que les personnages n’ont rien à dire, et le monologue insiste
sur la difficulté de la conversation : CL de la parole : « commenter », « parler », « nourrir
la conversation » ; « commentait », « discutait » : L’emploi de l’imparfait suggère l’idée de
répétition .
Il fallait, « il fallait trouver » indique la nécessité du discours, de sujets de
conversation, Les sujets de conversation sont peu intéressants ou futiles (robe achetée) et
montrent l’absence de tout contact social, puisqu’il s’agit de « deviner » (comme s’il
s’agissait d’un jeu) , suivi du rythme ternaire « leur profession, leur caractère, leurs
sentiments » qui insiste sur la sagacité dont ils doivent faire preuve (avec la gradation,
puisque nous passons du statut social à des éléments psychologiques) Le terme « exégèse »
est hyperbolique : interprétation plutôt philosophique :
Le GN « tristes passe-temps des solitaires malgré eux » est une généralisation mise
en valeur par la phrase nominale, qui souligne le caractère subi de la situation et le caractère
dérisoire de ces discussions .qui masquent l’ennui.
Le rythme ternaire « désirables
inaccessibles, méprisés » montre l’ambiguïté des sentiments, souffrance, envie et sentiment de
supériorité, repris par « désirable, méprisés », barrière infranchissable.
2.
La tragédie du couple (ou l’opposition entre Solal et Ariane), ou Un héros
lucide« de s’apercevait-elle à Rien à lui dire).
La lucidité de Solal apparaît dans ce second mouvement qui avec la question « S’apercevait-
elle de leur tragédie ? Non », le terme « tragédie » évoque une lutte perdue d’avance,
montrant que l’amour est voué à l’échec.
L’emploi du terme « bourrer de substitut » désigne
toutes les activités qui leur permettent de ne pas souffrit de leur isolement, de donner le
change, masquer le vide de leur existence.
Il s’agit de « divertissements » (au sens pascalien
du texte).
Cette lucidité pessimiste de Solal s’oppose à la certitude d’Araine,, présentée
comme « une femme bien, ferme en son propos d’amour » (gradation rythmique)
L’absence de solution, les hypothèses inenvisageables montrent que toutes les
propositions, les désirs, les solutions de Solal sont impossibles :
« Tant pis », « pas le courage » « lui faire le coup de la migraine et aller remuer en paix ses
orteils » phrases nominales (qui expriment les pensées), témoigne de la lassitude de Solal,
de son désir de solitude, de détente, absence de contrainte et d’obligation .
« Non, impossible
de la laisser se morfondre » : les négations (non, im))sentiment de culpabilité, opposition des
sentiments : « en paix » (Solal) « morfondre » (Ariane)
« Mais que lui dire lorsqu’elle rappliquerait noblement, aimante et parfumée, si pleine de
bonne volonté » … ?« rien à lui dire » (mise en valeur par la brièveté de la phrase nominale).
Retrouve le thème de la conversation, avec l’interrogation et la réponse laconique (brève).
Présentation élogieuse d’Ariane, amante parfaite, qui contraste avec le terme familier
« rapplique
3.
Le désir et l’impossibilité d’échapper à la situation de parias :l 14 (Oh,
être un facteur)
Solal en vient ensuite à....
»
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