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CINQUIÈME PARTIE CADUVEO XVII PARANA Campeurs, campez au Parana.

Publié le 08/12/2021

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CINQUIÈME PARTIE
CADUVEO

XVII
PARANA
Campeurs, campez au Parana. Ou plutôt non : abstenez-vous. Réservez aux derniers sites d'Europe vos papiers gras,
os flacons indestructibles et vos boîtes de conserves éventrées. Étalez-y la rouille de vos tentes. Mais, au-delà de la
frange pionnière et jusqu'à l'expiration du délai si court qui nous sépare de leur saccage définitif, respectez les torrents
ouettés d'une jeune écume, qui dévalent en bondissant les gradins creusés aux flancs violets des basaltes. Ne foulez pas
es mousses volcaniques à l'acide fraîcheur ; puissent hésiter vos pas au seuil des prairies inhabitées et de la grande forêt
umide de conifères, crevant l'enchevêtrement des lianes et des fougères pour élever dans le ciel des formes inverses de
elle de nos sapins : non pas cônes effilés vers le sommet, mais au contraire - végétal régulier pour charmer Baudelaire -
tageant autour du tronc les plateaux hexagonaux de leurs branches, et évasant ceux-ci jusqu'au dernier qui s'épanouit
n une géante ombelle. Vierge et solennel paysage qui, pendant des millions de siècles, semble avoir préservé intact le
isage du carbonifère et que l'altitude, combinée avec l'éloignement du tropique, affranchit de la confusion amazonienne
our lui prêter une majesté et une ordonnance inexplicables, à moins d'y voir l'effet d'un usage immémorial, par une race
lus sage et plus puissante que la nôtre, et à la disparition de laquelle nous devons de pouvoir pénétrer dans ce parc
ublime, aujourd'hui tombé au silence et à l'abandon.
Sur ces terres qui dominent les deux rives du Rio Tibagy, à mille mètres environ au-dessus du niveau de la mer, j'ai
ris mon premier contact avec les sauvages, en accompagnant dans sa tournée un chef de district du Service de
rotection des Indiens.
À l'époque de la découverte, toute la zone sud du Brésil servait d'habitat à des groupements parents par la langue et
ar la culture et que l'on confondait naguère sous le nom de Gé. Ils avaient été vraisemblablement refoulés par des
nvahisseurs récents de langue tupi qui occupaient déjà toute la bande côtière et contre lesquels ils luttaient. Protégés
ar leur repli dans des régions d'accès difficile, les Gé du sud du Brésil ont survécu pendant quelques siècles aux Tupi, vite
iquidés par les colonisateurs. Dans les forêts des États méridionaux : Parana et Santa Catarina, des petites bandes
auvages se sont maintenues jusqu'au XXe siècle ; il en subsistait peut-être quelques-unes en 1935, si férocement
ersécutées au cours des cent dernières années qu'elles se rendaient invisibles ; mais la plupart avaient été réduites et
ixées par le gouvernement brésilien, aux environs de 1914, dans plusieurs centres. Au début, on s'efforça de les intégrer
la vie moderne. Il y eut au village de São Jeronymo qui me servait de base, une serrurerie, une scierie, une école, une
harmacie. Le poste recevait régulièrement des outils : haches, couteaux, clous ; on distribuait des vêtements et des
ouvertures. Vingt ans plus tard, ces tentatives étaient abandonnées. En laissant les Indiens à leurs ressources, le Service
e Protection témoignait de l'indifférence dont il était devenu l'objet de la part des pouvoirs publics (il a depuis repris
ne certaine autorité) ; ainsi se trouvait-il contraint, sans l'avoir désiré, d'essayer une autre méthode, qui incitât les
ndigènes à retrouver quelque initiative et les contraignît à reprendre leur propre direction.
De leur expérience éphémère de civilisation, les indigènes n'ont retenu que les vêtements brésiliens, la hache, le
outeau et l'aiguille à coudre. Pour tout le reste, ce fut l'échec. On leur avait construit des maisons, et ils vivaient dehors.
n s'était efforcé de les fixer dans des villages et ils demeuraient nomades. Les lits, ils les avaient brisés pour en faire du
eu et couchaient à même le sol. Les troupeaux de vaches envoyés par le gouvernement vaguaient à l'aventure, les
ndigènes repoussant avec dégoût leur viande et leur lait. Les pilons de bois, mus mécaniquement par le remplissage et le
idage alternatifs d'un récipient fixé à un bras de levier (dispositif fréquent au Brésil où il est connu sous le nom de
monjolo, et que les Portugais ont peut-être importé d'Orient), pourrissaient inutilisés, le pilage à la main restant la
ratique générale.
À ma grande déception, les Indiens du Tibagy n'étaient donc, ni complètement des « vrais Indiens » ni, surtout, des
 sauvages ». Mais, en dépouillant de sa poésie l'image naïve que l'ethnographe débutant forme de ses expériences
utures, ils me donnaient une leçon de prudence et d'objectivité. En les trouvant moins intacts que je n'espérais, j'allais
es découvrir plus secrets que leur apparence extérieure n'aurait pu le faire croire. Ils illustraient pleinement cette
ituation sociologique qui tend à devenir exclusive pour l'observateur de la seconde moitié du XXe siècle, de « primitifs »
qui la civilisation fut brutalement imposée et dont, une fois surmonté le péril qu'ils étaient censés représenter, on s'est
ensuite désintéressé. Formée pour une part d'antiques traditions qui ont résisté à l'influence des blancs (telle la pratique
du limage et de l'incrustation dentaires, si fréquente encore parmi eux), pour une autre, d'emprunts faits à la civilisation
moderne, leur culture constituait un ensemble original dont l'étude, si dépourvue de pittoresque qu'elle pût être, ne me
plaçait pourtant pas à une école moins instructive que celle des purs Indiens que je devais approcher ultérieurement.
Mais surtout, depuis que ces Indiens se trouvaient livrés à leurs propres ressources, on assistait à un étrange
renversement de l'équilibre superficiel entre culture moderne et culture primitive. D'anciens genres de vie, des
techniques traditionnelles réapparaissaient, issus d'un passé dont on aurait eu tort d'oublier la vivante proximité. D'où
viennent ces pilons de pierre admirablement polis que j'ai trouvés, dans les maisons indiennes, mélangés avec les
assiettes de fer émaillé, les cuillers de bazar, et même - parfois - les restes squelettiques d'une machine à coudre ?
Échanges commerciaux, dans le silence de la forêt, avec ces populations de même race, mais restées sauvages et dont

l'activité belliqueuse défendait toujours aux défricheurs certaines régions du Parana ? Pour répondre, il faudrait connaître
xactement l'odyssée de ce vieil Indien bravo qui prenait alors sa retraite dans la colonie du gouvernement.
Ces objets qui laissent rêveurs subsistent dans les tribus comme témoins d'une époque où l'Indien ne connaissait ni
maison, ni vêtements, ni ustensiles métalliques. Et dans les souvenirs à demi conscients des hommes, les vieilles
techniques se conservent aussi. Aux allumettes, bien connues mais chères et difficiles à obtenir, l'Indien préfère toujours
la rotation ou la friction de deux pièces tendres de bois de palmito. Et les vétustes fusils et pistolets jadis distribués par le
gouvernement, bien souvent on les trouve pendus dans la maison abandonnée, pendant que l'homme chasse en forêt
avec un arc et des flèches d'une technique aussi sûre que celle des peuples qui n'ont jamais vu d'arme à feu. Ainsi les
antiques genres de vie, sommairement recouverts par les efforts officiels, se tracent à nouveau leur voie avec la même
lenteur et la même certitude que ces colonnes d'indiens que j'ai rencontrées, sillonnant les sentiers minuscules de la
forêt, tandis que s'effondrent les toits dans les villages désertés.
Pendant une quinzaine de jours, nous avons voyagé à cheval par d'imperceptibles pistes à travers des étendues de
forêt si vastes qu'il fallait souvent pousser fort avant dans la nuit pour atteindre la hutte où nous ferions étape. Comment
les chevaux parvenaient-ils à placer leurs sabots, malgré l'obscurité qu'une végétation refermée trente mètres au-dessus
de nos têtes rendait impénétrable, je ne sais. Je me rappelle seulement des heures de chevauchée saccadée par l'amble
de nos montures. Tantôt, descendant un talus abrupt, celles-ci nous précipitaient en avant et, pour éviter la chute, la
main devait être prête à se cramponner au haut arçon des selles paysannes ; à la fraîcheur venue du sol et au clapotis
sonore on devinait le franchissement d'un gué. Puis, renversant la bascule, le cheval grimpe en trébuchant la berge
opposée, semblant, par ses mouvements désordonnés et peu compréhensibles dans la nuit, vouloir se débarrasser de sa
selle et de son cavalier. L'équilibre une fois rétabli, il n'y a plus qu'à rester en éveil pour ne pas perdre le bénéfice de cette
prescience singulière qui, une fois sur deux au moins, vous permet, sans avoir pu la voir, de rentrer la tête dans les
épaules à temps pour échapper au cinglage d'une basse branche.
Bientôt, un son se précise dans le lointain ; non plus le rugissement du jaguar, que nous avons entendu un instant au
crépuscule. Cette fois, c'est un chien qui aboie, la halte est proche. Quelques minutes plus tard, notre guide change de
direction ; nous pénétrons à sa suite dans une petite friche où des barrières en troncs refendus délimitent un parc à
bétail ; devant une hutte, faite de palmiers disjoints surmontés d'une toiture de paille, s'agitent deux formes vêtues d'une
mince cotonnade blanche : nos hôtes, le mari souvent d'origine portugaise, la femme indienne. À la lueur d'une mèche
trempant dans le pétrole, l'inventaire est vite fait : sol en terre battue, une table, un sommier de planches, quelques
caisses servant de sièges et, dans l'âtre d'argile durcie, une batterie de cuisine composée de bidons et de boîtes de
conserves récupérées. On se hâte de tendre les hamacs en passant les cordes à travers les interstices des murs ; ou bien
l'on s'en va dormir dehors dans le païol, auvent sous lequel la récolte de maïs est entassée à l'abri de la pluie. Si
surprenant que cela puisse paraître, un monceau d'épis secs encore entourés de leurs feuilles fournit une couche
onfortable ; tous ces corps oblongs glissent les uns contre les autres et l'ensemble se modèle à la forme du dormeur. La
ine odeur, herbeuse et sucrée, du maïs séché est merveilleusement sédative. Le froid et l'humidité réveillent pourtant au
etit jour ; un brouillard laiteux monte de la clairière ; on rentre en hâte dans la hutte où le foyer brille dans le perpétuel
lair-obscur de cette habitation sans fenêtres, dont les parois sont plutôt des clôtures ajourées. L'hôtesse prépare le café,
orréfié jusqu'au noir brillant dans un fond de sucre, et une pipoca, grains de maïs éclatés en flocons avec des lardons ;
on rassemble les chevaux, on les selle et on part. En quelques instants, la forêt ruisselante s'est refermée autour de la
hutte oubliée.
La réserve de São Jeronymo s'étend sur cent mille hectares environ, peuplés de quatre cent cinquante indigènes
groupés en cinq ou six hameaux. Avant le départ, les statistiques du poste m'avaient permis de mesurer les ravages
causés par la malaria, la tuberculose et l'alcoolisme. Depuis dix ans, le total des naissances n'avait pas dépassé cent
soixante-dix, tandis que la seule mortalité infantile atteignait cent quarante individus.
Nous avons visité les maisons de bois construites par le gouvernement fédéral, réunies en villages de cinq à dix feux
u bord des cours d'eau ; nous avons vu les maisons plus isolées que bâtissent parfois les Indiens : une palissade carrée en
roncs de palmitos assemblés par des lianes, et surmontés d'un toit de feuilles attaché aux murs par les quatre coins
eulement. Enfin, nous avons pénétré sous ces auvents de branchages où vit parfois une famille à côté de la maison
nutilisée.
Les habitants sont réunis autour du feu qui brûle jour et nuit. Les hommes généralement vêtus d'une chemise en
oques et d'un vieux pantalon, les femmes d'une robe de cotonnade portée à même la peau, ou parfois d'une simple
couverture roulée sous les aisselles, les enfants complètement nus. Tous portent, comme nous pendant le voyage, de
larges chapeaux de paille, leur seule industrie et leur seule ressource. Chez les deux sexes et à tous âges, le type
ongolique est patent : taille petite, face large et plate, pommettes saillantes, yeux bridés, peau jaune, cheveux noirs et
plats - que les femmes ont indifféremment longs ou courts - poils rares et souvent absents. Une seule pièce est habitée.
On y mange à n'importe quelle heure les patates douces qui rôtissent sous la cendre et qu'on saisit avec des longues
pinces de bambou ; on y dort sur une mince couche de fougères ou sur une natte de paille de maïs, chacun étendu les
ieds au feu ; au milieu de la nuit, les quelques braises qui subsistent et la paroi de troncs mal joints constituent une

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