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Chap. III- La linguistique de terrain

Publié le 04/05/2022

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2- L’enquête de terrain 2.1 Modalités d’approche du terrain La production de connaissances (c’est-à-dire une recherche) pourrait émaner de différentes modalités d’approches de l’objet d’étude qui correspondent à des stratégies de recherche manifestement différentes. Je présente quatre stratégies ou plutôt quatre voies: 1. Un chercheur pourrait mener une étude pour examiner les tenants et les aboutissants d’une théorie. Il vérifie sa véracité sur terrain. La théorie de la reproduction par exemple. Le chercheur a l’objectif de répondre par des résultats empiriques aux postulats d’une théorie. 2- Le chercheur pourrait se lancer dans l’étude qui examine une situation sociale bien concrète. Il étudie les causes ou les retombés d’un fait. Donnons l’exemple des effets de l’enseignement à distance sur l’égalité des chances, ou l’impact de la fracture linguistique ou la fracture numérique sur la réussite scolaire et universitaire. Et donc au départ de sa recherche, la situation est déterminée, les objectifs aussi. 3- Par contre, un chercheur pourrait ne pas prédéfinir d’objectifs, ni partir d’une idée préconçue et aller explorer une situation sociale, sociolinguistique ou socioculturelle. Son objectif est de Initiation à la recherche Semestre 4 FLSH de Marrakech Université Cadi Ayyad Professeur : Mohammed LAHLOU 3 3 comprendre et non pas expliquer comme dans le cas précédent. Par exemple, il pourrait se lancer dans une recherche observation interprétation pour comprendre la nature des rapports qui existent entre le milieu familial et la maîtrise des langues dans différentes régions et localités d’un territoire. 4- Un chercheur pourrait se contenter d’observer, noter ses observations en diversifiant les angles de vue. Tenir un cahier de bord et noter ses observations et les classer en vue d’une éventuelle exploitation empirique ou intellectuelle, et là on pourrait citer les romanciers naturalistes qui exploitaient leurs regards de chercheurs dans la confection d’œuvre de fictions. 2.2 Les approches quantitatives et les approches qualitatives Pour faire l’exploration empirique, deux approches sont à distinguer et qui se présentent comme opposées ou paradigmatiques : ◦ L’approche hypothético-déductive relevant du paradigme quantitatif (le chercheur construit des données chiffrées) L’approche empirico-inductive relevant du paradigme qualitatif (le chercheur interprète ce qu’il observe et les propos des informateurs) Ces deux paradigmes reposent sur deux visions opposées du monde. Le choix de telle ou telle approche dépend de la nature de l’objet d’étude et des convictions personnelles du chercheur. L’approche quantitative: Production de données chiffrées par le recours surtout au questionnaire comme procédés de recherche. La démarche hypothético-déductive relevant du paradigme quantitatif est une approche qui part de l’hypothèse pour déduire le résultat. Une hypothèse constitue le point de départ de la recherche. Les données recueillies sont structurées et organisées afin de confirmer ou infirmer les postulats construits théoriquement. On est dans l’étude statistique par échantillonnage (un sous ensemble de la population ciblée). L’échantillon doit être représentatif sinon il biaise les résultats. Le questionnaire est l’outil préféré de l’approche quantitative. Il structure un enchaînement de questions qui traduisent les indicateurs. Donc il faudrait savoir formuler les questions en cohérence avec les objectifs ciblés. Par ailleurs, le questionnaire présente l’inconvénient d’être fragile aux biais (des données qui faussent les résultats). La démarche quantitative pourrait présenter généralement l’inconvénient d’induire le chercheur inconsciemment à valoriser les données qui confirment son hypothèse, de négliger les variables contextuelles ou de couper ou étirer les données qui ne s’accordent pas à son lit d’hypothèses (Cf. Lit de Procuste). Initiation à la recherche Semestre 4 FLSH de Marrakech Université Cadi Ayyad Professeur : Mohammed LAHLOU 4 4 L’approche quantitative émane d’une pensée positiviste ( fondée par Auguste Comte) qui domine dans les recherches en sciences dures. Le positivisme est un courant de pensée qui prétend pouvoir explorer le réel pour trouver la vérité en expliquant les phénomènes grâce à une méthode scientifique rigoureuse fondée sur l’expérimentation. Le positivisme part de l’idée que l’homme est déterminé par son environnement externe. L’exploration de la réalité part du principe que la réalité est dotée d’une essence propre et qu’elle est soumise à des lois universelles. Ainsi, la recherche positiviste valorise la déduction comme raisonnement et fait l’éloge de l’objectivité. Les démarches qualitatives: la production de connaissances par le recours à l’observation et à l’entretien semi-directif. Les approches empirico-inductives s’inscrivent dans le paradigme de recherche cherchant la compréhension de phénomènes humains : le paradigme qualitatif. Ladite compréhension est immanquablement subjective dans la mesure où le sujet chercheur est impliqué dans sa propre démarche de recherche. Cette subjectivité, qui paraît inéluctable, naît des interactions mutuelles entre le chercheur et les autres éléments objet de son observation. Toutefois, la subjectivité est à entendre dans le sens que le chercheur ne peut pas se détacher de lui-même pour comprendre et interpréter et non pas dans le sens de rejeter le regard et le propos de l’autre. Dans cette forme de recherche, le nombre d’enquêtés est limité et l’analyse est approfondie. L’échantillon n’est pas représentatif mais qualitatif. Cette approche repose sur une étude, souvent longitudinale, d’un corpus émanant d’un terrain et d’un contexte, et rattache les résultats à ce contexte. Le chercheur impliqué dans son terrain est lui-même gouverné par la nature des interactions qu’il développe ou subit. Il reconnaît et accepte l’immesurable et l’immaîtrisable. C’est en effet une perspective complexe d’un monde incohérent et hétérogène qui préside à cette conception empirique de la recherche. Dans la démarche empirico-inductive, le chercheur est intégré dans son contexte et pris comme faisant partie du fait qu’il observe. Il part de données recueillies de son terrain pour tenter une compréhension fondée sur les significations qui jaillissent à son regard. Cette intégration de l’observateur dans le fait étudié est assumée par une conscience des impacts qu’il produit sur ses informateurs. Dans ce sens, L. Messaoudi précise que « Le chercheur est invité à faire son « auto-analyse », à prendre conscience de ses préjugés en les verbalisant et à préciser ses motivations vis-à-vis de tel ou tel terrain, de telle ou telle thématique. » (2003 :39). Initiation à la recherche Semestre 4 FLSH de Marrakech Université Cadi Ayyad Professeur : Mohammed LAHLOU 5 5 Cette démarche qualitative relève du paradigme constructiviste (Jean Piaget et Le Moigne) et socioconstructiviste (Lev Vygotsky). Le principe fédérateur est que la recherche n’est pas un objet mais un projet où la connaissance à produire est construite grâce à une interaction entre le sujet chercheur et l’objet de sa recherche. Le chercheur est une intelligence, une conscience qui interprète le réel et que ce réel ne peut exister en dehors de ce sujet pensant. Donc c’est l’être humain qui construit son réel. Cette construction est dans ce sens ne peut être que subjective. Or, les approches qualitatives peuvent être accusées de manque de rigueur surtout que la part de subjectivité accordée réduit la distance entre le sujet chercheur et l’objet de sa recherche. C’est pour cela que certains chercheurs optent pour une complémentarité entre la démarche empirico-inductive et celle hypothético-déductive. Ainsi Philippe Blanchet (2012) propose une hybridation appelée méthode en «sablier» conciliant les deux démarches. 2.3 Une approche hybride: La démarche en sablier Une méthodologie de recherche n’est jamais infaillible ni exhaustive. Les approches quantitatives partent d’hypothèses qui risquent de biaiser le regard du chercheur et de négliger la complexité des variables du contexte. Les approches purement qualitatives n’échappent que miraculeusement ou prétentieusement aux hypothèses du chercheur, ne peuvent qu’être microsociolinguistique, microsociologique, micro-didactique. La conciliation des deux approches s’offre comme une façon de dépasser les limites et les carences de chacune. La démarche hybride est motivée par la complexité des situations et des contextes. Elle cherche à réduire le problème de subjectivité dans l’interprétation empirico-inductive. La rigueur scientifique des méthodes quantitatives de type hypothético-déductif permettront d’expliciter des données chiffrées plus analytiques. Une méthode mixte agence une approche statistique sur un échantillon (du quantitatif) et une approche interprétative sur observation participante (du qualitatif) et ce pour étudier le même cas. Encore faut-il savoir comment allier les outils de l’enquête. P. Blanchet propose une alliance méthodologique qu’il nomme « de sablier ». Elle « va du global (prise d’indices multiples en contexte complexe par observation participante) à l’analytique (via enquêtes semi-directives et directives, traitement des données, catégorisations, croisements, validation) pour revenir à une synthèse interprétative. » La démarche en sablier débouche sur une synthèse interprétative fondée sur les connaissances produites par observation participante. Cette dernière demeure la phase de voute dans la recherche. Les résultats interprétatifs permettront par la suite de mettre en place quelques perspectives et conclusions. Le recours à l’analyse chiffrée est motivé par la nécessité de vérifier les Initiation à la recherche Semestre 4 FLSH de Marrakech Université Cadi Ayyad Professeur : Mohammed LAHLOU 6 6 interprétations avancées. Donc, cette approche hybride fait usage des outils de l’enquête quantitative pour cadrer et vérifier les données produites et traitées qualitativement. 
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« Chap.

III- La linguistique de terrain 1- Objet de recherche, terrain, contexte et corpus a) L’objet de recherche et ancrage disciplinaire Tout objet d’étude doit s’inscrire dans un domaine de recherche quand bien même l’approche serait interdisciplinaire.

Autrement dit, une recherche en sociolinguistique par exemple pourra s’ouvrir sur l’anthropologie, la didactique, la sociologie, la gestion, la communication, etc.

mais elle relève foncièrement de la sociolinguistique par son fond scientifique.

La pluridisciplinarité elle aussi ne nie pas l’ancrage disciplinaire.

Un objet d’étude pourra être traité de différents points de vue. Le chercheur devra en effet définir la disciplinaire qui héberge son objet d’étude.

Une recherche s’inscrit dans un domaine et est reliée à un concept:  les inégalités, la domination, le partage, la reproduction, ....

relèvent du domaine de la sociologie ;  l’alternance des langues, le bilinguisme, le parler citadin et urbain, la diglossie, ... de la sociolinguistique... b) Terrain, contexte et corpus Il est judicieux d’analyser les aspects distinctifs de trois concepts essentiels dans toute recherche en sciences du langage et d’en tracer les contours : le terrain par rapport au contexte et le corpus par rapport au terrain. Commençant par le terrain.

P.

Blanchet précise que : « La question du terrain de recherche ne se réduit pas à la définition d’un espace géographique.

Si ce critère constitue bien souvent une variable déterminante, il faut envisager au moins trois autres critères : un terrain est également un espace temporel, social et situationnel (au sens d’une micro-situation d’interactions).

Il est nécessaire de prendre explicitement en compte le fait que le terrain n’est pas un « objet » dissocié du chercheur mais que le terrain est un réseau d’interactions humaines et sociales, fréquenté et transformé par le chercheur, qui en fait partie de façon récursive » (2011 : 17, 18) Le seul critère spatial ne saurait rendre compte de l’étendu de cette notion dans une recherche.

Les critères : temporel, social, situationnel et relationnel font aussi partie des traits définitoires de la notion de terrain.

Par ailleurs, c’est le contact avec le chercheur qui définit le terrain.

En d’autres termes, est terrain de recherche tout élément social et situationnel fréquenté 1. »

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