Analyse linéaire : Les Caractères, de La Bruyère REMARQUE 74, LIVRE VIII « De la Cour »
Publié le 17/04/2024
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Analyse linéaire : Les Caractères, de La Bruyère
REMARQUE 74, LIVRE VIII « De la Cour »
INTRODUCTION
Les Caractères de Jean de La Bruyère dénonce les vices d’une société où
l’argent et les apparences valent davantage que le mérite et la vertu.
Mais le moraliste du XVIIème siècle ne cherche pas à condamner sa
société.
Bien qu’il porte un regard pessimiste sur la condition humaine, La Bruyère
aspire à corriger les mœurs par ses maximes et ses portraits plaisants et
mondains.
En cela, Les Caractères est une œuvre qui cherche à plaire et instruire et
s’inscrit pleinement dans le classicisme.
« Giton et Phédon » constitue le dernier et l’avant-dernier portrait de la
sixième partie « Des Biens de Fortune » dans laquelle le moraliste dénonce
le pouvoir de l’argent.
Giton est l’allégorie des fortunés se donnant tous les droits sur les autres
tandis que Phédon est, lui, dépourvu d’argent, ce qui affecte sa santé et son
attitude en société.
LECTURE
Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes, l’oeil fixe
et assuré, les épaules larges, l’estomac haut, la démarche ferme et
délibérée.
Il parle avec confiance ; il fait répéter celui qui l’entretient, et il
ne goûte que médiocrement tout ce qu’il lui dit.
Il déploie un ample
mouchoir et se mouche avec grand bruit ; il crache fort loin, et il éternue
fort haut.
Il dort le jour, il dort la nuit, et profondément ; il ronfle en
compagnie.
Il occupe à table et à la promenade plus de place qu’un autre.
Il tient le milieu en se promenant avec ses égaux ; il s’arrête, et l’on
s’arrête ; il continue de marcher, et l’on marche : tous se règlent sur lui.
Il
interrompt, il redresse ceux qui ont la parole : on ne l’interrompt pas, on
l’écoute aussi longtemps qu’il veut parler ; on est de son avis, on croit les
nouvelles qu’il débite.
S’il s’assied, vous le voyez s’enfoncer dans un
fauteuil, croiser les jambes l’une sur l’autre, froncer le sourcil, abaisser son
chapeau sur ses yeux pour ne voir personne, ou le relever ensuite, et
découvrir son front par fierté et par audace.
Il est enjoué, grand rieur,
impatient, présomptueux, colère, libertin, politique, mystérieux sur les
affaires du temps ; il se croit du talent et de l’esprit.
Il est riche.
Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage
maigre; il dort peu, et d’un sommeil fort léger; il est abstrait, rêveur, et il a
avec de l’esprit l’air d’un stupide: il oublie de dire ce qu’il sait, ou de
parler d’événements qui lui sont connus; et s’il le fait quelquefois, il s’en
tire mal, il croit peser à ceux à qui il parle, il conte brièvement, mais
froidement; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire.
Il applaudit, il
sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis; il court, il vole pour
leur rendre de petits services.
Il est complaisant, flatteur, empressé; il est
mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux,
scrupuleux, timide.
Il marche doucement et légèrement, il semble craindre
de fouler la terre; il marche les yeux baissés, et il n’ose les lever sur ceux
qui passent.
Il n’est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour
discourir; il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se
dit, et il se retire si on le regarde.
Il n’occupe point de lieu, il ne tient point
de place; il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour
n’être point vu; il se replie et se renferme dans son manteau; il n’y a point
de rues ni de galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne
trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans être aperçu.
Si on
le prie de s’asseoir, il se met à peine sur le bord d’un siège; il parle bas
dans la conversation, et il articule mal; libre néanmoins sur les affaires
publiques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et
du ministère.
Il n’ouvre la bouche que pour répondre; il tousse, il se
mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu’il soit
seul pour éternuer, ou, si cela lui arrive, c’est à l’insu de la compagnie: il
n’en coûte à personne ni salut ni compliment.
Il est pauvre.
PLAN
Problématique : Comment La Bruyère dénonce-t-il le rôle décisif que
joue l’argent dans les comportements sociaux ?
Mouvements : Nous pouvons distinguer deux mouvements dans cet
extrait : le premier dresse le portrait de Giton, le fortuné et le second, celui
de Phédon, le pauvre.
1ER MOUVEMENT :
I – Portrait de Giton, le fortuné.
(Du début à « Il est riche »)
La remarque débute sur la description physique de Giton.
On retrouve
donc le champ lexical de la physionomie : « Giton a le teint frais, le visage
plein et les joues pendantes, l’oeil fixe et assuré, les épaules larges,
l’estomac haut, la démarche ferme et délibérée ».
Les adjectifs mélioratifs
utilisés montrent que l’homme est en pleine santé.
La parataxe crée un effet d’accumulation qui souligne cette vigueur.
Le portrait physique glisse ensuite au sociologique quand La bruyère décrit
les relations de Giton avec les autres : « “Il parle avec confiance ; il fait
répéter celui qui l’entretient, et il ne goûte que médiocrement tout ce qu’il
lui dit.” »
Le mépris de Giton à l’égard de ses interlocuteurs est la première remarque
péjorative du portrait.
La répétition du pronom personnel « il » témoigne
de l’égocentrisme de Giton, incapable d’un réel échange avec autrui.
Son excès de confiance le mène à une impolitesse choquante : «“Il déploie
un ample mouchoir et se mouche avec grand bruit ; il crache fort loin, et il
éternue fort haut.”» La répétition de l’adverbe intensif « fort » insiste sur la
grossièreté de cet homme qui répand aussi largement ses paroles que sa
salive.
Le lecteur peut deviner que Giton est un homme très riche, l’argent étant
au cœur de la partie « Des biens de Fortune » des Caractères.
L’argent
confèrerait donc aux individus une sorte de passe-droit (=privilège)
permettant de ne pas respecter les règles de la bonne société.
La Bruyère, en moraliste, dénonce ainsi la corruption d’une société où la
fortune l’emporte sur la vertu.
De plus, la richesse de Giton ne semble pas le fruit d’un travail abondant,
comme le souligne le parallélisme avec la répétition du verbe dormir : « “Il
dort le jour, il dort la nuit, et profondément” ».
Le présent de l’indicatif a ici valeur de vérité générale : il décrit un homme
à la paresse exemplaire.
Et même lorsqu’il dort, Giton dérange, puisqu’“il ronfle en compagnie.”»
La société ne se repose donc jamais de lui.
Cette domination de l’espace se manifeste également en collectivité
comme en témoigne le superlatif « plus…que » : « “Il occupe à table et à
la promenade plus de place qu’un autre.
”».
Giton dirige aussi le rythme des promenades : « “il s’arrête, et l’on s’arrête
; il continue de marcher, et l’on marche.
”» La Bruyère montre le
fonctionnement d’une société où l’aristocratie dicte tout.
En effet, « “tous
se règlent sur lui” ».
La promenade est donc une métaphore qui permet de
critiquer l’aristocratie qui dirige la société.
Giton domine également l’espace de la conversation.
La parataxe restitue les sèches interruptions que Giton impose aux autres
ainsi que son flot de paroles incessant : «“ Il interrompt, il redresse ceux
qui ont la parole : on ne l’interrompt pas, on l’écoute aussi longtemps qu’il
veut parler ; on est de son avis, on croit les nouvelles qu’il débite.” ».
Si Giton domine la conversation de cette manière, c’est qu’il se considère
comme supérieur.
Giton est ainsi une allégorie de l’arrogance.
Il étouffe ses interlocuteurs et expose une société inégalitaire où peuvent
s’exprimer seuls ceux qui possèdent de l’argent.
Une telle société s’interdit
de bénéficier de l’esprit de ceux qui possèdent peu, ce que La Bruyère
dénonce.
Après avoir traité la manière avec laquelle Giton parle, le moraliste décrit
ses postures.
Ainsi, lorsque Giton s’assied, « “vous le voyez s’enfoncer dans un fauteuil,
croiser les jambes l’une sur l’autre, froncer le sourcil, abaisser son chapeau
sur ses yeux pour ne voir personne, ou le relever ensuite,....
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