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Analyse de la "scène du portrait dérobé"

Publié le 08/11/2022

Extrait du document

« The follow ing three articles treat various aspects of a passage in La Princesse de Clèves. This passage, which appears in Book i l of the navel, is reproduced below. Mme la Dauphine était assise sur le lit et parlait bas à Mme de Clèves, qui était debout devant elle.

Mme de Clèves aperçut par un des rideaux, qui n'était qu'à demi fermé, M.

de Nemours, le dos contre la table, qui était au pied du lit, et elle vit que, sans tourner la tl§te, il prenait adroitement quelque chose sur cette table. Elle n'eut pas de peine à deviner que c'était son portrait, et elle en fut si troublée que Mme la Dauphine remarqua qu'elle ne l'écoutait pas et lui demanda tout haut ce qu'elle regardait.

M.

de Nemours se tourna à ces paroles; il rencontra les yeux de Mme de Clèves, qui étaient encore attachés sur lui, et il pensa qu'il n'était pas impossible qu'elle eat ·vu ce qu'il venait de faire. Mme de Clèves n'était pas peu embarrassée.

La raison voulait qu'elle demandat son portrait; mais, en le demandant publiquement, c'était apprendre à tout le monde les sentiments que ce prince avait pour elle, et, en le lui demandant en particulier, c'était quasi l'engager à lui parler de sa passion.

Enfin elle jugea qu'il valait mieux le lui laisser, et elle fut bien aise de lui accorder une faveur qu'elle lui pouvait faire sans qu'il sllt ml§ me qu'elle la lui faisait.

M.

de Nemours, qui remarquait son embarras, et qui en devinait quasi la cause, s'approcha d'elle et lui dit tout bas: Si vous avez vu ce que j'ai osé faire, ayez 45 la bonté, madame, de me laisser croire que vous l'ignorez; je n'ose vous en demander davantage. Et il se retira après ces paroles et n'attendit point sa réponse.

1 · Notes 1 Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves (Paris: Garnier-Flammarion~l966), 92.

--- 46 La Princesse de Clèves: Analyse de la "scène du portrait dérobé" I. Première explication Depuis leur première rencontre jusqu'à la mort du prince de Clèves, la princesse et le duc de Nemours se retrouvent à plusieurs reprises dans une situation qui leur révèle progressivement leur passion mutuelle.

Chacune de ces situations est cependant marquée par l'absence de communication directe entre les deux personnages qui ne se découvrent et se comprennent qu'en émettant (volontairement pour Nemours, involontairement pour la princesse) des messages que l'autre est avide de déchiffrer.

Au moment du récit où intervient la scène du portrait, la princesse s'est avoué son inclination pour Nemours et elle pense être l'objet de sa passion bien qu'elle n'en ait pas encore reçu de preuve évidente. La cour nous a été présentée comme un monde où les interdits moraux déterminent·le comportement des personnages; monde d'apparence où le signe devient tout puissant, dépasse la parole qui ellem§ me ne sert plus qu'à dissimuler, où le regard seul permet de découvrir, d'interpréter, de comprendre.

Chaque signe, geste, regard se charge donc d'un signifié démesuré constituant un langage privilégié car seule la personne intéressée peut le percevoir et le décoder: "· •• et elle aurait eu peine à s'en apercevoir elle-même, si l'inclination qu'elle avait pour lui ne lui eOt donné une attention particulière pour ses actions." L'ambigu!té du signe rend pourtant difficile Dans cette toute interprétation définitive. scène, la chambre de la Dauphine, un des coeurs de la cour, offre aux personnages un théâtre où la 47 communication verbale est limitée aux discussions mondaines, aux commérages.

L'ambiguité semble se refléter en chaque chose, tout est en demi-teintei inachevé: la Dauphine "par lait bas", le rideau "n'était qu'à demi fermé", "elle n'eut pas de peine à deviner", "il n'était pas impossible que", "quasi" est utilisé deux fois, "lui dit tout bas", et finalement, l'intervention orale de Nemours reste sans réponse.

On perçoit donc là cette fugitivité du signe qui se dérobe à une interprétation claire. Le choix des verbes situe l'action de la scène essentiellement au ni veau du regard: "aperçut", "vit", "regardait", "remarqua", "rencontra les yeux", "ellt vu" • • • • L'attitude de la princesse y est caractéristique: elle observe, et le signe qu'elle a pu percevoir déclenche une analyse (dans le deuxième paragraphe) qui lui dicte l 'atti tu de à adopter.

Lorsque finalement Nemours intervient verbalement, la princesse reste passive, interdite, apparaissant comme réceptrice des signes plutdt qu'émettrice.

Sa passivité est pourtant en soi un signe amoureux: la raison lui commande de parler, devoir dont elle semble se défaire bien vite, préférant ne pas réagir, au risque de laisser Nemours interpréter son silence comme un acquiescement. La signification du vol du portrait n'échappe ni à la princesse, ni au lecteur, de quelque siècle qu'il soit.

De plus, les circonstances confèrent à cette scène une puissance symbolique remarquable.

Vouloir posséder l'image de l'être aimé est un signe amoureux, cependant le portrait n'est ,pas ici l'objet d'un véritable échange.

On remarquera à ce propos qu'il n'y a virtuellement aucun échange entre les deux amants dans tout le roman: les interventions orales de Nemours sont le plus souvent à sens unique (comme à la fin du présent 48 passage), la princesse subtilisera la canne et fera copier le tableau contenant le portrait du duc, Nemours volera ses pensées secrètes en l'espionnant, et.même la conversation finale sera obtenue contre le gré de la princesse.

En dérobant le portrait sans vouloir être vu, Nemours se contente de la jouissance de posséder l'image de la princesse, possession physique par objet interposé qui révèle un certain fétichisme.

Si de plus nous considérons que le portrait appartient au mari et que le vol a lieu en sa présence et sous les yeux de sa femme, cet acte prend symboliquement les caractéristiques d'un viol.

La sensualité de cet acte n'échappe pas à la princesse qui jouit de se savoir possédée, qui s'avoue être "bien aise de lui accorder une faveur", donnant ainsi son consentement. Jusqu'à ce que son regard rencontre celui de Nemours, la princesse semble avoir toujours fait l'impossible pour ne pas émettre de signe de sa passion.

Pour la première fois, elle est vue en train de voir, comme elle le sera dans le pavillon de Coulommiers, et ce regard, surpris, volé par Nemours, alors que la princesse était supposée écouter la Dauphine, va trahir l 'intér~t qu'elle lui porte.

Nemours a certainement deviné à son embarras qu'elle l'a vu agir et, afin de résoudre l'ambigu!té des signes à ses yeux ainsi qu'aux yeux de la princesse, i l intervient oralement. Cette intervention orale après le jeu visuel n'a pas pour dessein d'engager une discussion, mais d'obliger la princesse à lui faire consciemment, ouvertement, la faveur qu'elle avait secrètement .

décidé de lui faire.

Nemours transforme alors le silence de la princesse en complicité forcée qui donne d'elle une image de femme infidèle par la pensée presque aussi coupable que si l'adultère avait été réellement commis. 49 La fuite de Nemours peut sembler paradoxale, elle précipite la fin de la scène, ne laissant à la princesse aucune chance de réagir, si on assume toutefois qu'elle aurait voulu 'répondre.

Il repousse ainsi, comme il le fera souvent, l'entrevue qu'il dit tant désirer et dans son empressement de jouir en privé de sa conquête, il se sauve "comme un voleur". Ainsi, les deux amants semblent se contenter de signes et d'objets-signes pour exprimer leur amour.

En s'entourant d'opjets, en s'imprégnant de signes, de regards, de pensées secrètes, de fantasmes, ils se créent une serre où égo!stement, en voyeurs, ils cultiveront leur passion.

La scène du portrait semble en ce sens déterminer le développement de l'artificialité, de la vanité d'un amour sans échange que les personnages se résignent à vivre par objets interposés. Isabelle Ripplinger University of Kansas 50 II. Deuxième explication L'histoire de la Princesse de Clèves est en fin de compte celle ·d'un refus d'amour et d'une renonciation au monde social.

En relégant cette prise de décision à la conclusion du roman, Madame de Lafayette soutient pendant plus d'une centaine de pages une attente chez le lecteur à ce que la princesse accepte l'amour du duc de Nemours. Notre passage, situé en plein milieu du texte, représente une des maintes scènes du roman qui, par le manque d'une action définitive de la part de la princesse, nous fait espérer son acquiescement éventuel.

Pour créer cette attente si essentielle au suspense du roman, Madame de Lafayette se sert de plusieurs techniques littéraires dont le caractère fondamental est une sorte de négation àu d'atténuation. D'abord, le déplacement des personnages dans la salle crée un certain jeu de perspective qui cache à la Dauphine les gestes de Nemours, mais qui permet à la princesse de les entrevoir.

De cette façon, l'auteur limite la capacité visuelle des personnages afin de rendre l'action un peu ambigu~ ou difficile à juger.

Cette limitation visuelle a d'ailleurs son équivalent auditoire; Madame la Dauphine, qui dans la scène précédente a raconté l'histoire des intrigues de la cour anglaise, parle "bas" à la princesse comme si elle continuait à chuchoter ses secrets.

En outre, quand Nemours prend la parole i l parle "tout bas" aussi. Ensuite, Madame de Lafayette développe cette atmosphère de mystère et de gestes à moitié aperçus par la mise en scène •.

Par exemple, il y a des rideaux entre Monsieur de Nemours et la princesse qui représentent une sorte de barrière, mais de sorte que la barrière n'est pas impénétrable. D'ailleurs, cette barrière souple "n'est qu'à demi 51 fermée." C'est comme si Madame de Lafayette voulait tenter les deux amants de s'approcher l'un de l'autre.

Elle tente le lecteur aussi, qui s'attend à une confrontation directe.

Madame la Dauphine faillit provoquer cette confrontation: elle pose une question tout à fait directe à la princesse, lui demandant "tout haut ce qu'elle regarde." Pourtant, ce style direct ne sert à rien dans le monde plutôt indirecte déjà établi; la Dauphine ne reçoit pas de réponse à sa question impérieuse.

Ce manque de réponse produit un effet définitif; il attire notre attention vers ce q~i doit préoccuper la princesse.

Un geste "négatif," celui de ne pas répondre, prend une signification positive; la princesse fait attention au dµc au lieu d'écouter la Dauphine. L'importance de la négation s'étend jusqu'à la fin de la scène, où Nemours s'adresse à la princesse, mais se retire sans attendre sa réponse. Il ôte donc à la princesse l'occasion de faire un aveu quelconque, ce qui souligne l 'indirection du passage.

Madame de Lafayette nous prive d'une résolution concrète, nous entra.înant dans l 'espérance d'une résolution ultime. Mais on aurait tort de conclure que Madame de Lafayette cherche à nous montrer par cette indécision un manque d'intensité dans les sentiments de la princesse et de Nemours; au contraire, elle utilise cette sorte de litote pour rendre plus fort notre impression de leur passion.

Elle utilise l'adverbe "quasi" à deux reprises.

Le premier emploi décrit le raisonnement de la princesse, qui doit se décider soit à dénoncer Nemours - soit à lui donner une épreuve de sa passion par ne rien dire.

Elle choisit cette deuxième possibilité, qui lui représente une façon d'accorder à Nemours une faveur qu'elle la lui faisait.

L'importance du "quasi" qui précède cet te expression 52 se manifeste dans cette décision qui n'est pas une épreuve concrète de sa passion, mais qui est en fait un aveu indirect.

Elle évite le danger à parler à Nemours, "en particulier" mais sa solution n'en est pas moins "quasi" un aveu de sa passion. Ce terme se manifeste pour la deuxième fois au moment où Nemours se rend compte de l'embarras de Madame de Clèves; il peut "quasi" en deviner la cause; c'est-à-dire qu'il a suffisamment cause de croire qu'il ne lui est pas indifférent. L'espoir, qu'elle lui donne à ne pas le dénoncer, quand on l'ajoute à l'espoir qu'il lui a donné en osant voler son portrait, soutient l'intér~t de chacun, et encourage le lecteur dans l'attente d'un véritable aveu de passion sans "quasi" et sans atténuation. Cet art chez Madame de Lafayette de prolonger le suspense en ne disant rien de définitivement positif pénètre le passage jusqu'au niveau de la grammaire.

L'exemple le plus remarquable est l'emploi sextuple d'une construction négative.

Les rideaux, par exemple, ne sont pas ouverts, sinon ils ne sont qu'à demi-fermés.

D'une façon pareille, le narrateur ne.... »

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