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Nikita Khrouchtchev : Rapport secret au XXe Congrès du PCUS (24 février 1956)

Nikita Khrouchtchev : Rapport secret au XXe Congrès du PCUS (24 février 1956)

Le but du présent rapport n’est pas d’établir un bilan complet de la vie et des actes de Staline. En ce qui concerne ses mérites, il a été écrit suffisamment de livres, d’opuscules et d’études de son vivant même. Le rôle de Staline dans la préparation et l’accomplissement de la Révolution socialiste, pendant la guerre civile ainsi que dans la lutte pour l’édification du socialisme dans notre pays est universellement connu. Tout cela, chacun le sait bien. Ce qui nous intéresse, à présent, c’est une question d’une immense importance pour le Parti tant aujourd’hui que dans l’avenir. La question que nous devons nous poser est de savoir comment le culte de la personne de Staline est devenu, en une phase précise de notre histoire, la source de toute une série de perversions extrêmement graves et sérieuses des principes du Parti, de la démocratie du Parti et de la légalité révolutionnaire. (...) Camarades, le culte de la personnalité a atteint de si nombreuses proportions, surtout en raison du fait que Staline lui-même, utilisant toutes les méthodes concevables, a encouragé la glorification de sa propre personne. Cela est étayé par de nombreux faits. (...) Et est-ce à l’insu de Staline que de nombreuses villes et entreprises ont pris son nom ? Est-ce à son insu que des monuments à Staline ont été élevés dans tout le pays — ces « monuments commémoratifs pour un vivant»? (...) La victoire de la révolution socialiste a été remportée par la classe ouvrière et par la paysannerie pauvre, avec le soutien partiel des paysans moyens. Elle a été remportée par le peuple, sous la conduite du parti bolchevik. (...) Ces victoires sont le résultat de l’immense effort et de l’action de la Nation et du Parti dans leur ensemble ; elles ne sont pas du tout le fruit de la direction de Staline, comme on l’avait raconté pendant la période du culte de l'individu.

Extrait de Branko LAZITCH, Le rapport Khrouchtchev et son histoire, . Éditions du Seuil, 1976

- Corrigé

C’est après avoir cerné la problématique d’un texte que vous pouvez repérer les expressions clefs, qui seront les points d’ancrage de votre commentaire.

■ Pour définir la problématique de ce texte fameux, il faut étudier le mouvement d’ensemble du document. Après des précautions rhétoriques (début du paragraphe 1), Khrouchtchev se propose de critiquer le culte de la personnalité de Staline (fin du paragraphe 1) et ses méthodes (paragraphes 2 et 3), avant de réaffirmer le rôle de la nation et du parti communiste dans les victoires de l’Union soviétique (paragraphes 4 et 5).

■ Cette rapide analyse fait apparaître un premier problème. Les critiques adressées par Khrouchtchev à Staline sont-elles totales ou partielles? Sont-elles aussi peu approfondies qu’il l’affirme au début du texte ? Il vous faut chercher dans le texte toutes les références aux principes qui inspirent les critiques de Khrouchtchev. Une lecture attentive doit vous amener à la dernière phrase du premier paragraphe, où il est reproché à Staline d’avoir amené une perversion « des principes du Parti, de la démocratie du Parti et de la légalité révolutionnaire. »

■ Un deuxième axe du commentaire est donné par l’expression «toutes les méthodes concevables» (paragraphe 2) employées par Staline au service de sa propre glorification.

■ Reste un dernier problème : celui du rôle de Staline et du jugement que porte Khrouchtchev sur l’histoire récente de l’Union soviétique. Les expressions suivantes doivent être commentées : « Le rôle de Staline dans la préparation et l’accomplissement de la Révolution socialiste, pendant la guerre civile ainsi que dans la lutte pour l’édification du socialisme» (paragraphe 1), à mettre en parallèle avec les deux derniers paragraphes, où le contraire est affirmé. C’est de ce contraste que doit partir toute analyse de la position de Khrouchtchev, qui apparaît ainsi dans toute son ambiguïté.

Point sur le document

Ce texte fameux a été divulgué en 1956 par le Département d’État américain à la suite d’indiscrétions commises par les délégués polonais présents au XXe Congrès.

Khrouchtchev, Nikita Sergueïevitch (Kalinovka 1894 - environs de Moscou 1971); secrétaire général du PCUS [1955-1964].

Fils de mineur de la région de Koursk, il participe à la révolution de 1917 et à la guerre civile. Sous la protection de Kaganovitch, il entreprend une carrière au sein du parti communiste d’Ukraine qu’il quitte en 1929. En 1935, il dirige le Parti de Moscou, puis celui d’Ukraine en 1938, poste qu’il conserve pendant les purges auxquelles il participe avec zèle et pendant la guerre. En 1949, il retrouve son siège de Moscou et s’affirme comme un spécialiste des questions agricoles au Comité central. Rival de Malenkov à la mort de Staline, il l’écarte en 1955, après avoir obtenu la direction du PCUS en septembre 1953 et bénéficié du succès de son entreprise de conquête des terres vierges en 1954. Il affirme les nouvelles orientations de sa politique en se réconciliant avec Tito en 1955, en appuyant la libéralisation du régime et en prononçant en février 1956 un rapport secret lors du XXe Congrès du PCUS dans lequel il dénonce la terreur et certaines erreurs du stalinisme tout en soutenant une politique interventionniste dans les pays satellites (Hongrie, 1956). La déstalinisation est encore poursuivie lors du XXIIe Congrès en 1961. Après avoir écarté les opposants menés par Malenkov en juin 1957 et installé ses partisans aux postes de responsabilité, comme Boulganine ou Brejnev, il cumule en mars 1958 toutes les fonctions dirigeantes. Engagé dans un vaste mouvement de réformes, il tente d’assouplir et de décentraliser la politique économique en créant les Sovnarkhozes en mai 1957, en décidant un plan septennal en 1959 et en revalorisant la recherche scientifique. Mais sa tentative de réforme du parti communiste lui aliène la bureaucratie et l’appareil à partir de 1961 et en 1962. Après l’échec de la croissance agricole, les crises de Berlin (1961) et de Cuba (1962), la rupture avec la Chine (1961), il est isolé. Mis en minorité en octobre 1964, il doit abandonner toute fonction et se retirer.

Bibliographie : E. Crankshaw, Khrouchtchev, (trad.), 1967 ; P. Daix, 1964, L’Avènement de la Nomenklatura, la chute de Khrouchtchev, Bruxelles, 1989 ; B. Lazitch, Le Rapport Khrouchtchev et son histoire, 1976 ; R. et J. Medvedev, Khrouchtchev, les années de pouvoir, 1977 ; G. Paloczi Horvath, Khrouchtchev, trad., 1962.

KHROUCHTCHEV, Nikita (Kalinovka, 1894-Moscou, 1971). Homme politique soviétique. Il fut à l'origine de la déstalinisation en URSS et inaugura la politique de coexistence pacifique. Fils d'un mineur, Khrouchtchev travailla très jeune comme ouvrier métallurgiste dans la région minière du Donetz. Mobilisé en Ukraine en 1914, il s'inscrivit au parti communiste en 1918 et combattit avec les « Rouges » durant la guerre civile. La paix revenue, il revint travailler à la mine puis suivit des études techniques à la faculté ouvrière (1922-1923). Il termina sa formation d'ingénieur à Moscou et, décidé à faire carrière dans l'appareil du parti, devint, à 39 ans, premier secrétaire du PCUS dans un district de la capitale. Remarqué par Kaganovitch, l'un des hommes de confiance de Staline, il gravit rapidement, à partir de 1936, les échelons qui mènent au sommet de la hiérarchie. Il fut membre du comité central ( 1934) et du Soviet suprême (1937), premier secrétaire du parti communiste d'Ukraine (1938) puis membre du Politburo. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il mena les opérations d'annexion d'une grande partie de la Prusse orientale décidées après le pacte germano-soviétique d'août 1939, organisa des unités de partisans ukrainiens pour combattre la Wehrrmacht, participa à la bataille de Stalingrad et fut promu lieutenant général en 1943. De nouveau premier secrétaire du parti communiste d'Ukraine après la libération de Kiev (novembre 1943), Khrouchtchev s'attacha à combattre les Ukrainiens qui, hostiles au pouvoir soviétique et à la russification, avaient pris le maquis. Il consacra aussi ses efforts à la reconstruction économique de l'Ukraine. En 1945, il retourna à Moscou comme premier secrétaire de la région de la capitale, et en 1952 devint membre du praesidium. Lorsque Staline mourut en mars 1953, Khrouchtchev, qui n'avait aucune fonction ministérielle, ne figurait pas sur la liste des candidats à la succession. Cependant, devenu premier secrétaire du Parti communiste de l'URSS (septembre 1953), il réussit progressivement à éliminer ses rivaux : Beria fut éliminé dès décembre 1953 et il obligea Malenkov, son rival le plus dangereux, à quitter le gouvernement pour laisser sa place au maréchal Boulganine. Au XXe congrès du parti communiste (février 1956), Khrouchtchev fit sensation en attaquant, dans un rapport secret, les crimes de Staline. La déstalinisation mais aussi la réconciliation avec Tito (1955) devaient provoquer une crise profonde dans le camp socialiste : émeutes de Poznan et retour au pouvoir de Gomulka en Pologne, et insurrection de Budapest (1956). Au sein de la direction, Khrouchtchev parvint à achever l'élimination de ses rivaux. Déjà premier secrétaire du parti, il succéda en 1958 à Boulganine comme président du Conseil des ministres et devint ainsi le numéro un du régime. Il lança à l'intérieur réforme sur réforme, bouleversant les administrations. A l'extérieur, malgré ses déclarations tonitruantes, il s'attacha à améliorer les relations avec les États-Unis et amorça l'idée d'une « coexistence pacifique » dénoncée rapidement par la Chine. Khrouchtchev rencontra Kennedy à Vienne (juin 1961), conclut en 1963 avec les États-Unis et la Grande-Bretagne un accord interdisant les expériences nucléaires mais ranima la crise de Berlin (construction du mur en 1961 ) et installa à Cuba des fusées offensives retirées en 1962 sur la mise en demeure de Kennedy. Par sa remise en cause de la direction collégiale mais aussi à cause de l'échec de ses mesures économiques, Khrouchtchev fut brusquement relevé de ses fonctions en octobre 1964 et remplacé, au poste de premier secrétaire, par Leonid Brejnev.

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