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MICKIEWICZ Adam

MICKIEWICZ Adam. Le plus grand des poètes polonais. Né le 24 décembre 1798 au lieu dit Zaosjé, près de Nowogrudek, petite ville de Lituanie faisant actuellement partie de la république de Biélorussie; mort à Constantinople le 26 novembre 1855. Fils d’un avocat rural, de souche noble mais appauvrie, le jeune Adam fit ses premières études dans une école de Nowogrodek dirigée par des pères dominicains, qui surent inculquer à leur élève de solides connaissances; il y apprit, entre autres, le grec et le latin. Son père, Nicolas Mickiewicz, mourut le 16 mai 1812, laissant la famille dans la gêne; aussi le futur poète dut-il solliciter une bourse de l’État russe pour pouvoir continuer ses études. Cette bourse lui ayant été accordée, Adam Mickiewicz prit, en 1815, ses inscriptions à l’Université de Wilno, d ’abord à la Faculté des Sciences Physiques et Mathématiques, puis — dès l’année suivante — à la Faculté d’Histoire et de Philologie. L’Université de Wilno était, à cette époque, une pépinière de futurs révolutionnaires, qui allaient être appelés, en 1830, à former l’état-major des forces insurrectionnelles. L’époque était on ne peut plus propice aux idées « avancées » : en effet, c’est en 1816 que fut créée en Russie l’« Union pour le salut » — point de départ du mouvement « décembriste », tandis que l’année suivante voyait surgir en Ukraine la « Société du premier accord » qui, devenue plus tard « Société des Slaves réunis », introduisit dans son programme la création d’une fédération démocratique des peuples slaves, fédération dont devait faire partie également une Pologne devenue libre. Quoi d’étonnant alors si, sous l’impulsion de l’historien et numismate polonais de valeur Joachim Lelewel (1786-1861), qui occupait la chaire d’histoire à l’Université de Wilno, les étudiants de cette ville formèrent aussi une société secrète dite des « Philomathes » ? Cette société, dont Adam Mickiewicz était l’âme, fut organisée à la façon d’une société secrète, le recrutement ne se faisant jamais directement, mais uniquement dans le sein d’une association profane, formée dans ce dessein, la société (les « Rayonnants ». Élu président de la section littéraire des Philomathes, Mickiewicz organisa une série de conférences pour lesquelles il écrivit des poèmes qui, mieux que ne l’aurait fait une propagande stéréotypée, galvanisaient les confédérés. C’est de cette époque que datent les premières œuvres : Zywilla (1819), Dithyrambe à la jeunesse (1820) et Chant des Philarèthes [1820]. Ces poésies, bien que n’ayant pu être imprimées a cause de la censure impériale avant 1827, circulèrent en des centaines de copies manuscrites parmi la jeunesse polonaise. Tous connaissaient par cœur le Dithyrambe à la jeunesse et, en 1830, c’est au chant de ces strophes que les insurgés allaient combattre les Russes. Mickiewicz ne se contentait pas de réciter ses propres poèmes; il faisait également connaître les œuvres — peu répandues en raison de la censure russe — des poètes révolutionnaires de l’époque de Kosciuszko, tel Jacub Jasinski et quelques autres. Ses activités finirent par effrayer les membres — pourtant libéraux — du Conseil académique de Wilno. Aussi, lorsque Mickiewicz eut terminé ses études et dut demander son affectation (en tant que boursier, il devait un certain nombre d’années de travail à l’État), les autorités se gardèrent bien de le laisser à Wilno : il fut nommé membre du corps enseignant d’une école primaire de Kowno (Kaunas). Lors de son séjour à Kaunas, Mickiewicz écrivit le poème Grazyna et les parties II et IV des Aïeux — Dziady ou la fête des morts — publiés en 1823; ces œuvres rendirent rapidement célèbre le nom du jeune poète. Celui-ci continuait néanmoins à consacrer tout son temps libre à la société des Philomathes, dont l’activité « subversive » finit par attirer sur ses membres les foudres impériales. Dans la nuit du 24 octobre 1823 les principaux « meneurs » furent arrêtés et écroués : les uns à la prison de Wilno, les autres — dont Mickiewicz — dans des couvents désaffectés. Les travaux de la commission d’enquête, nommée pour déterminer le degré de culpabilité de chacun de ces jeunes patriotes, aboutirent à l’ukase impérial du 14 août 1824, qui destituait quatre professeurs de l’Université de Wilno et condamnait trois des principaux « conjurés » à la relégation en Sibérie; quant aux autres, dont la culpabilité était plus difficile à prouver, ils furent condamnés à prendre du service dans des villes de la province russe. Nommé avec un autre Polonais, Jezowski, professeur au lycée Richelieu à Odessa, Mickiewicz dut passer d’abord par Saint-Pétersbourg, où il fit la connaissance des libéraux russes Ryléev et Bestuzev, qui furent, un an plus tard, sévèrement châties pour avoir participé au complot des « décembristes ». Le séjour à Odessa ne dura qu’une année à peine; les postes de professeur au lycée Richelieu n’étaient plus vacants lorsque les deux déportés arrivèrent à leur lieu de résidence après un voyage de quelque quinze cents kilomètres. Grâce a une idylle avec la « lionne » locale, Carolina Sobanska, sœur de Mme Hanska, « l’étrangère » de Balzac, Mickiewicz fut introduit dans les salons les plus fermés de la ville; son oisiveté forcée lui permit de faire une excursion de deux mois à travers la Crimée, d’où il rapporta ses fameux Sonnets de Crimée , qui parurent en décembre 1826. Ce recueil de poésies romantiques, fort mal accueilli par la critique polonaise de l’époque, lui ouvrit néanmoins tous les salons de Moscou, ville où le poète fut transféré en janvier 1826. C’est là qu’il connut Pouchkine; une mutuelle estime naquit de la première rencontre de ces deux poètes, et Pouchkine fit connaître à Mickiewicz l’élite de la société intellectuelle et artistique russe : Delvig, Krylov, Joukov-sky, Griboédov et Glinka. Cette période fut l’une des plus heureuses de la vie du poète, car c’est en fréquentant cette élite intellectuelle qu’il eut la confirmation de son génie. L’automne 1827 vit Mickiewicz à Saint-Pétersbourg, où il réussit à obtenir des censeurs l'imprimatur pour son grand poème Konrad Wallenrod , qui parut le 21 février 1828. C’est également lors de son séjour dans la capitale russe qu’il fit paraître une édition de ses œuvres, en deux volumes. En guise d’introduction, il plaça en tête du premier volume un essai très violent, dirigé contre les critiques « classiques » de Varsovie, qui « restent sur leurs positions scolastiques sans bouger, comme des bateaux à l’ancre », et qui ne remarquent point que tout change autour d’eux en littérature. En 1829, Mickiewicz obtint enfin l’autorisation, maintes fois demandée, de se rendre à l’étranger. Après avoir visité l’Allemagne — en particulier Weimar où il fit la connaissance de Goethe —, la Bohême et la Suisse, il prit ses quartiers à Rome où, dans les salons accueillants de la princesse Volkonsky, il put faire la connaissance d’un grand nombre de personnalités intéressantes, dont le sculpteur danois Thorwaldsen et le conteur américain Fenimore Cooper. Mickiewicz vint à Rome en nourrissant des projets grandioses qui devaient aboutir à la libération de sa patrie. Les événements de France et, en particulier, les « Trois Glorieuses », contribuèrent à raffermir l’espoir dans le cœur du poète; toutefois, lorsqu’il vit que cette révolution ne servait qu’à préparer un trône pour le « roi des banquiers », il se montra d’un pessimisme extrême, même lorsque parvint à Rome la nouvelle d’un soulèvement à Varsovie. Dans sa poésie A une mère polonaise [1830] le poète ne dit-il pas à une mère : « Ton fils ne vit que pour tomber dans une guerre sans gloire ?... » Néanmoins, bien que ne croyant pas à la réussite du soulèvement (et, pour autant que l’on puisse juger, ne tenant pas outre mesure à y participer activement), il quitta Rome et se rendit à Dresde, où il n’était pas loin de la frontière polonaise. Mais lorsqu’il arriva à Dresde, le soulèvement était déjà à son déclin et, quelques jours plus tard, Mickiewicz eut la douleur d’apprendre que Varsovie était de nouveau entre les mains des Russes. C’est en écoutant les récits de ceux qui, ayant participé à l’insurrection, se réfugièrent en Allemagne, que Mickiewicz écrivit deux petits poèmes d’une grande beauté : La Redoute d’Ordon et La Mort du colonel. C’est également à Dresde qu’il composa la dernière partie des Aïeux, partie dans laquelle — bien qu’évitant d’évoquer les événements récents — il brossait un tableau saisissant des souffrances de son peuple, en insistant particulièrement sur la persécution des Philomathes et d’autres associations patriotiques. Ce poème est encore maintenant considéré comme l’apothéose du sentiment révolutionnaire, qui non seulement glorifie les patriotes combattants du passé, mais esquisse même la voie pour les révolutionnaires nationaux à venir. Après avoir mis la dernière main aux Aïeux et publié les Livres de la nation polonaise et des pèlerins polonais (1832), Mickiewicz quitta, en cette même année 1832, Dresde, et se rendit à Paris, où il publia, en 1834, son chef-d’œuvre: Messire Thaddée ; pour augmenter ses ressources, il s’improvisa également journaliste en fondant une feuille polonaise, Le Pèlerin [Pilgrym], dont il fut le rédacteur en chef et le principal collaborateur. Il se maria, le 22 juillet 1834, avec Céline, fille de la célèbre pianiste Maria Szymanowska, le dernier amour de Goethe. Cette union ne fut point heureuse, la jeune femme, fine et intelligente, mais nerveuse à l’excès, ayant très rapidement donné des signes du dérangement cérébral qui, quelques années plus tard, nécessitera son internement. La situation financière du poète restant toujours précaire, il demanda — et obtint — la chaire de littérature latine à l’Académie de Lausanne, où il professa pendant les années scolaires 1839 et 1840. Une chaire de langues et littératures slaves ayant été créée au Collège de France par décision du 9 juillet, 1840, Mickiewicz revint à Paris, où ses amis — parmi lesquels George Sand, Michelet et Edgar Quinet étaient les plus agissants — obtinrent, grâce à l’appui de Victor Cousin, sa nomination comme chargé de cours. Les premiers cours du poète — ils débutèrent le 22 décembre 1840 — eurent un succès énorme. L’auditoire comptait, entre autres personnalités, des écrivains comme George Sand, Michelet, Sainte-Beuve, des représentants éminents de la colonie polonaise de Paris, tels Chopin et Julien Nemcevic, des émigrés russes tel le décembriste Nicolas Tourguénev. Certes, les cours de Mickiewicz, bien qu’englobant toutes les littératures slaves, portaient surtout sur la littérature polonaise, la seule, d’après lui, qui fût animée d’un messianisme constructif. L’idée d’un rôle messianique dévolu à la Pologne germait depuis un certain temps déjà dans l’esprit du poète qui, lors de son séjour à Dresde, s’était plongé avec ravissement dans la lecture des mystiques tels que Jacob Böhme, Baader, L.-Cl. de Saint-Martin. Mais cette idée atteignit son apogée sous l’influence d’un ancien condisciple, se disant « missionné de Dieu », André Towianski. On pourrait dialoguer sans fin sur la véritable personnalité de cet homme, que certains tenaient pour un prophète authentique,. mais que la plupart considéraient comme un charlatan hétérodoxe. Ce qui est certain, c’est que cet homme, doué d’une grande force magnétique, guérit la femme de Mickiewicz, dont la folie s’était aggravée au point de nécessiter son internement. Rien d’étonnant si le poète, naturellement porté au mysticisme, vit en cette guérison spectaculaire la preuve indéniable de la mission divine de Towianski ! Quoi qu’il en soit, depuis ce jour-là Mickiewicz s’improvisa le porte-parole de cette nouvelle « révélation » qui, longtemps après le départ du « prophète », laissa des traces tangibles en France. Ne dit-on pas que l’hérésie de Vingtras et les doctrines d’Enfantin puisèrent aux sources du « towianisme » et s’en inspirèrent ? Cependant, les cours de Mickiewicz reflétèrent de plus en plus les idées messianiques de Towianski. Si le cours de l’année 1842-1843 pouvait encore répondre — du moins en partie — à l’attente des promoteurs de ce cours, celui de l’année scolaire 1843-1844 nous montre Mickiewicz dans un tout autre rôle que celui d’un professeur de littérature. Il ne cherche plus à justifier ses idées personnelles; de professeur, il devient prophète et invite les auditeurs de son cours à franchir en un élan commun « l’espace immense qui sépare les doctrines mortes du temps actuel de la région où coulent la vie et la vérité ». Enfin, dans son cours du 19 mars 1844, le poète annonça à son auditoire la mission mystique de Towianski et le convia à suivre les enseignements du « prophète ». Ce dernier ayant été, depuis un certain temps déjà, expulsé de France, les autorités s’émurent et les cours de Mickiewicz furent suspendus. Ceux-ci ayant été publiés en français d’après des notes sténo-graphiques (Mickiewicz ne préparait pas ses cours, sauf les deux ou trois premiers) — Les Slaves — le poète en entreprit la traduction en polonais, tout en consacrant le plus clair de son temps au Cercle de l’Œuvre de Dieu, où il agissait comme porte-parole de Towianski. Cette influence néfaste accapara Mickiewicz jusqu’en 1847, date à laquelle un différend les sépara définitivement. 1848 fut pour le poète l’année des grands espoirs. L’Italie naissante ayant déclaré la guerre à l’Autriche, le poète décida de former à Rome une légion polonaise qui combattrait contre le pays qui opprimait dix-sept millions de Slaves, dont cinq millions de Polonais. Le 5 avril, le drapeau polonais fut officiellement béni par le pape rie IX, et malgré des difficultés de toutes sortes, la petite légion polonaise put se former et combattre côte à côte avec les troupes du roi Charles-Albert. Mais lorsque ces dernières furent battues à la bataille de Novara, la légion polonaise vint renforcer les troupes de Mazzini à Rome. C’est avec les troupes républicaines italiennes que la petite légion polonaise succomba dans la lutte inégale contre les forces françaises appelées par le même pape Pie IX, qui, un an auparavant, avait béni leur drapeau. Mickiewicz étant rentré en France, un de ses compatriotes lui proposa de financer un journal international qui servirait de tribune aux émigrés de tous les pays. Mickiewicz consentit avec joie et, le 15 mars 1849, le premier numéro de la Tribune des peuples vit le jour. La légion polonaise ayant, en Italie, repris la lutte sous les ordres de Garibaldi, la Tribune soutenait ce mouvement, tandis que le futur Napoléon III penchait pour le pouvoir temporel du pape. Enfin, dans la nuit du 13 au 14 juin, le gouvernement de Louis-Napoléon ayant suspendu cinq journaux dits « de gauche » — dont la Tribune — et arrêté leurs principaux collaborateurs, Mickiewicz ne dut son salut qu'au fait d’avoir été caché par un ami, Antoine Dessus. En août 1849 la Tribune put reparaître, mais les Polonais durent quitter la rédaction du journal sous peine d’expulsion immédiate de France. Les années 1849 à 1852 furent peut-être les plus dures de la vie du poète. Enfin, en 1852, grâce à l’appui de Jérôme Bonaparte, le poète fut nommé bibliothécaire à la bibliothèque de l’Arsenal; il y vécut à l’abri du besoin, avec sa femme et ses six enfants, jusqu’en 1855. Le 5 mars de cette même année sa femme mourut d’un cancer et, en août, Mickiewicz sollicita une mission scientifique en Turquie, à la faveur de laquelle il pensait pouvoir être utile aux débris de la légion polonaise réfugiés en Turquie après la défaite des défenseurs de la République romaine. Arrivé le 22 septembre à Constantinople, il se rendit le 5 octobre à Bourgas, où se trouvait un camp de volontaires polonais. C’est là que le poète contracta le choléra; on le ramena malade à Constantinople, où il expira le 26 novembre. Son corps, embaumé, fut transféré en France, où il fut enterré, en grande pompe, le 21 janvier 1856. Le 4 juillet 1890, ses restes purent enfin quitter la France pour être inhumés à Cracovie, au château de Wawel, où il repose à côté de Kosciuszko et de plusieurs anciens rois de Pologne.




♦ « Mickiewicz est un grand lyrique, peut-être bien un peu trop dans le goût de Byron; de tout temps, il a, beaucoup plus que moi, cédé à l’influence de l’auteur de Childe Harold. » Pouchkine. ❖ « Ce génie, à la fois si catholique et si national, a parcouru tout le domaine de la poésie, depuis l’amère et vindicative énergie de la satire, jusqu’à une piété tellement ardente et tellement exaltée qu’on la dirait empruntée aux légendes de la primitive Église ou aux concerts des esprits célestes. » Ch. de Montalembert. ♦ « La langue de Mickiewicz est le catholicisme. Soit ! mais... le catholicisme de Mickiewicz, quelque sincère qu’il soit, se prête à l’allégorie aussi bien que le catholicisme railleur de Faust ou le fantastique païen de Manfred. » George Sand. ♦ «Mickiewicz m’a fait l’effet d’être un de ces seconds de Byron, le pendant de Manzoni en Italie, ce qu’aurait pu être Lamartine en France. » Sainte-Beuve. ♦ « Lorsque Mickiewicz apparut, les Polonais n’eurent plus besoin de chercher l’approbation condescendante de critiques français ou allemands; ne pas reconnaître la littérature polonaise équivaut depuis à montrer sa propre sauvagerie. » Tchernychevsky. ♦« Parler de Mickiewicz, c’est parler du beau, du juste et du vrai; c’est parler du droit dont il fut le soldat, du devoir dont il fut le héros, de la liberté dont il fut l’apôtre et de la délivrance dont il est le précurseur. » Victor Hugo. ♦ « Tel qu ’il fut, avec ses divinations hardies, ses aspirations débordantes, ses nobles illusions de prophète, nous sommes fiers de lui... » E. Renan. ♦ « Adam Mickiewicz n’est pas seulement le plus grand poète de la Pologne et l’un des plus grands poètes du monde : l’histoire nationale et spirituelle de la Pologne est liée indissolublement à son nom. » Rosa Luxembourg. ♦ « Mickiewicz appartient au petit nombre des poètes qui incarnent avec le maximum de beauté, de force et de plénitude, l’esprit de leur peuple. » Maxime Gorki.

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