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Maurice Roche

Né en 1925 à Clermont-Ferrand, Maurice Roche, après le Conservatoire de Musique de Paris, se fait d’abord connaître comme compositeur en écrivant une musique de scène pour la pièce d'Henri Pichette : Les Epi-phanies, en 1947. Au théâtre il travailla dans la suite avec plusieurs metteurs en scène dont Jean-Marie Serreau. Il fut également journaliste : critique et reporter. En 1960 son premier livre fut un essai de musicologie sur Monteverdi. Compact, son premier roman, parut en 1966 dans la collection Tel Quel et s’imposa comme une des œuvres les plus novatrices de la littérature contemporaine. Les romans qui suivirent ayant montré la continuité et la cohérence de sa recherche, Mauriche Roche est désormais une référence pour de nombreux jeunes écrivains. D’entrée de jeu Maurice Roche affirma sa singularité. Ni épigone ni apparenté, mais d’abord Maurice Roche, figure distincte, immédiatement repérable au sein du groupe Tel Quel, alors fortement influencé par le nouveau roman et croyant possible une science de la littérature. Formaliste (mieux, inventeur de formes), rejetant les structures narratives traditionnelles, mettant le langage en question, voire en pièces, Maurice Roche, assurément, est chez lui à Tel Quel. Seulement son humour, ses pirouettes, sa manière de réactiver le parler populaire ou encore de rythmer la phrase comme de la faire éclater en dessins ou mourir dans le silence échappent à toute théorie (sauf pour celle-ci à combiner la mathématique des ensembles, les règles de l’orchestration et la grammaire de la parodie). Mieux qu’un premier livre, Compact est le livre premier. Entendez le point de départ, la source. Compact est le roman de la rupture : tous les ponts sont coupés avec le vieux roman ; il n’y a ici ni intrigue, ni psychologie, ni personnage, ni récit continu, seulement des rencontres, des figures, des paroles ou encore des désirs, des peurs, des rires. Compact est le roman de la différence : à l’intérieur et hors du nouveau roman, de l’avant-garde contemporaine, ce roman ouvre et constitue son propre espace, non à plat sur la page ou pris dans la grille du texte, mais à plusieurs dimensions : réaliste, onirique, épique; sémantique, picturale, musicale; naïve, ironique, savante, parodique, pathétique. Compact aussi est un roman matrice. Produisant, plus qu’une forme ou un code, les règles d’une combinatoire où peuvent intervenir diverses formes — courts récits, dialogues, phrases poétiques, citations, dessins, partitions, etc. — et jouer différents codes — lexicaux, linguistiques avec usage de calembours et contre-péteries, passages en anglais, allemand, italien, — procédant par un montage fortement syncopé de scènes, séquences, répliques, commentaires, ce roman est bien la matrice, l’origine de tous ceux qui suivirent : Circus, Codex, Opéra-Bouffe, Mémoire. Ceux-ci ne sont pas la répétition de Compact, mais ils en procèdent, un peu comme les tragédies de Racine se développent à partir d’Andromaque. Tout s’articule et s’invente à partir du modèle, comme l’arbre pousse et fait ses branches à partir de la graine ou de la bouture. Avec Compact, Circus et Codex constituent une sorte de trilogie. Ces trois livres ont des thèmes différents : l’errance dans une ville mythique, métropole et nécropole, lieu de nos fantasmes et trou de notre mémoire {Compact), le spectacle : du monde, du savoir, de la langue, de l’aliénation (Circus), la somme du savoir, des thérapeutiques, mais aussi des douleurs du corps (Codex). Entre les trois cependant une véritable circulation s’établit : montages et collages avec calligrammes, idéogrammes, jeux de mots, formules chimiques et mathématiques (ou leur décalque, leur caricature), fantaisie typographique, ou encore, retours de fantasmes, d’images, de formules sous les espèces variées de la citation, du clin d’œil, de la parodie. Chaque livre s’invente ou se présente comme un miroir des autres, comme une figure d’un même ballet ou un moment d’une écriture. Après la trilogie, Opéra-Bouffe apparaît comme un pause et Mémoire où les souvenirs du narrateur — de l’auteur — se manifestent ouvertement (la ville natale, l’enfance, la mort du père, le travail, les lettres de licenciement, la maladie et l’expérience de la clinique dessinent en creux une autobiographie) ouvre peut-être un autre cycle. Mais si, dans Opéra-Bouffe le dialogue et la chanson (avec ses chevilles et ses scies) miment les formes du théâtre lyrique, ou si, dans Mémoire le point de vue se fait plus subjectif, ces innovations se font à l’intérieur d’une structure souple, déjà connue où le montage, le collage, le contraste et le contrepoint, la rupture et les correspondances sont la règle. Dans ces deux romans on retrouve calligrammes, idéogrammes, dessins, on reconnaît les références ou les citations qui marquent soit leur filiation directe, soit leur appartenance au même système narratif et au même univers (onirique, obsessionnel, textuel) que Compact, Circus et Codex. A les décrire ainsi, les romans de Maurice Roche prennent l’allure d’une grande machine abstraite. A qui les regarde pour la première fois (mais ici ne faut-il pas ensemble regarder, lire, entendre, lire devenant la double opération de regarder et d’entendre?) la disposition des textes sur la page, le jeu des blancs, des parenthèses, des signaux, des croquis, peuvent sembler déroutants. Entrer dans le jeu, rire à un calembour (Roche, en bon amateur du genre, ne dédaigne pas les plus gros), sourire à une comptine, à un dessin, s’étonner d’un savoir si varié (de la musique à la médecine, l’encyclopédie est comme maniée par un jongleur) cela suffit pour découvrir la lisibilité des textes, leur humour ou leur émotion. Roche ne dit, ne donne à voir, ne rythme rien que l’essentiel : le corps, ses jouissances, ses peines, la vie avec ses étapes, ses pauses, ses éblouissements (la joie, l’érotisme, l’art, la science), ses tunnels et ses chutes (le travail — qui n’est ni la joie ni la santé — l’angoisse, la maladie, la mort) ; la société avec ses mirages et ses luttes, le monde avec ses lumières et ses ténèbres. Provocant, parodique, bouffon, il masque ses inquiétudes ou, à l’inverse dénonce les masques de l’hypocrisie (sociale, morale, littéraire, etc.). Tragique, il met en scène les figures de la mort ou les conjure par la représentation de leurs emblèmes : os, squelettes, crânes — le crâne et le chat étant comme les doubles de sa signature. Mais tout cela, cette déchirure de l’existence, de l’être, du savoir, il le dit, comme personne avant lui, dans une grande déchirure du texte, entre un éclat d’os et un éclat de rire.

► Bibliographie

Romans

Compact, 1966; Circus, 1972; Code, 1974; Opéra-Bouffe, 1975; Tous aux éditions du Seuil ; Cave, l'Énergumène, 1975 ; Mémoire, 1976, (Pierre Belfond); Compact, 1976, 10/18;

Essai

Monteverdi, 1960, collection Solfèges, Seuil;

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