L'Europe et les défis de la mondialisation
L'Europe et les défis de la mondialisation
Encadré : Le Conseil européen de Nice ou le recul de la logique communautaire
Il existe un décalage certain entre l'œuvre sur le long terme que conduisent les artisans de la construction européenne et les urgences du court terme sur lesquelles ils sont jugés, et rarement à leur avantage, par leurs opinions publiques. À l'heure où l'UE (Union européenne) fait école sur d'autres continents (processus de régionalisation en Amérique, en Asie) et fournit aux Européens des moyens de réguler la mondialisation, elle est souvent considérée comme un simple avatar de cette dernière et peine à affirmer sa légitimité après la disparition de l'"ennemi" soviétique. Si elle n'incarne pas une rupture fondamentale (dans le passé, d'autres mutations technologiques ont eu des impacts majeurs sur l'économie et les cadres politiques), la mondialisation implique un réexamen du rôle de l'État, notamment en Europe.
Quelle vision stratégique européenne ?
À travers plusieurs discours prospectifs prononcés en 2000 et 2001, les dirigeants allemands et français ont suggéré "leur" Europe idéale en avançant quelques propositions précises et en projetant de facto à l'échelle européenne leurs convictions et leurs traditions politiques nationales. Parmi les défis reconnus, celui du "déficit démocratique" préoccupe plus particulièrement. Certains dédramatisent le niveau d'abstention aux élections européennes en constatant qu'il est caractéristique des sociétés nanties et démocratiques contemporaines. D'autres redoutent les attitudes de sociétés sous-informées des enjeux liés à l'avenir de l'UE et dans lesquelles les électeurs les plus mobilisés sont les opposants à la poursuite de l'intégration européenne (référendum négatif en Irlande le 8 juin 2001).
Pour forger une communauté de destin, les Européens doivent-ils s'en remettre à la monnaie, faute d'accord sur une finalité politique précise ? Il se peut que l'euro [voir "L'euro, la BCE et les marchés financiers"] dope les discours fédéralistes, mais il se peut aussi qu'à l'instar de la liberté de circulation, il soit rapidement considéré comme allant de soi, comme une de ces évidences dont la dimension proprement historique s'évanouit sitôt les débats contradictoires éteints. L'Europe semble en outre douter de cette monnaie, la jugeant faible comme si la valeur d'une monnaie s'évaluait davantage à l'aune de son cours par rapport au dollar qu'à la lumière des succès économiques à long terme qu'elle autorise et de la capacité de sa banque émettrice à maîtriser l'inflation. Une articulation entre la BCE (Banque centrale européenne) et les États, qui évite le double écueil de l'isolement par rapport aux politiques et de la soumission à leurs volontés, fait défaut. Les réformes structurelles sont certes conduites par certains États, mais elles sont rarement coordonnées.
Le scénario de l'élargissement de l'Union s'est précisé. Si l'adhésion de dix des douze États candidats d'ici à 2004 a semblé acquise sous certaines conditions, l'incertitude demeurait quant à la phase finale des négociations (entrée groupée ou étalée dans le temps). En 2001, les pays les plus avancés (Estonie, Chypre) auront clos 18 des 31 chapitres, les moins avancés 6. Le retard pris par une partie des pays candidats peut traduire un manque de préparation comme un refus d'abdiquer certains intérêts nationaux au nom de l'acquis communautaire. Plusieurs politiques communes dans lesquelles s'inscriront les nouveaux pays membres sont appelées à des transformations majeures.
L'avenir de la PAC et de la politique régionale
Dans le secteur agricole, il convient de distinguer deux sujets de débat. D'une part, celui d'une vaste réforme d'ensemble, qui n'est en théorie pas prévue mais dont l'élargissement (l'agriculture occupe 22 % de la population active à l'Est contre 5 % à l'Ouest) et les discussions budgétaires (pour 2007-2013) ne permettront pas durablement de faire l'économie. Un état des lieux des productions agricoles, des soutiens et du budget de la PAC (Politique agricole commune) est prévu pour 2002. D'autre part, plusieurs propositions ponctuelles de réforme (agriculture biologique, réforme des primes dans la production de viande bovine, baisse des prix des céréales, découplage entre le montant des aides et les quantités produites dans le respect des règles de libre-échange de l'OMC, réforme du régime des quotas laitiers) ont fait l'objet de discussions (notamment entre la France et l'Allemagne) susceptibles d'enrichir plus que prévu l'ordre du jour des réunions de 2002 et de jeter les bases d'une réforme d'envergure. Médiatisation des crises de la sécurité sanitaire des aliments aidant (notamment celle dite "de la vache folle"), les partisans de celle-ci ont mis en avant les dégâts du "productivisme" d'une Europe qui, au nom du louable objectif de l'autosuffisance, a fini par sacrifier son environnement et la santé humaine sur l'autel du marché et a fait la part belle aux productions les plus intensives. D'autres ont continué de souligner la vocation exportatrice de la PAC, l'inexistence d'un marché solvable pour une agriculture biologique aux coûts de production nettement plus élevés, les réformes déjà entreprises en 1988 et 1992 et l'impossibilité, pour une majorité d'agriculteurs, de revenir sur les lourds investissements déjà consentis.
En représentant, avec la PAC, près de 75 % du budget communautaire, la politique régionale fait également l'objet de réflexions qui annoncent de profonds changements. L'élargissement posera en effet la question des disparités au sein de l'Union dans des termes radicalement nouveaux puisqu'il augmentera la superficie de l'UE de 35 %, sa population de 25 %, mais son PIB de 8 % seulement. Cette gestion de disparités manifestes à l'échelle de l'UE élargie comme à l'échelle des États candidats s'opérera dans un contexte de déclin démographique : la part des personnes âgées de plus de 65 ans dans l'UE à quinze devrait passer de 16 % en 2000 à 21 % en 2020, et les perspectives sont similaires en Europe centrale (plus de 75 % des régions des pays candidats ont enregistré entre 1995 et 1999 une diminution de leur population).
Les dilemmes des élargissements
Les élargissements à venir ont suscité un débat sur les limites géographiques à ne pas franchir sous peine de diluer le projet des pères fondateurs. Certains ne reconnaissent pas à l'UE le droit de tracer frontière, redoutant les réactions de ceux qui s'estimeraient injustement tenus à l'écart de l'Europe. Ceux-là plaident pour la mise en œuvre patiente de normes démocratiques et laissent aux États la responsabilité de s'y reconnaître ou non et de décider ainsi par eux-mêmes de leur droit à intégrer le club. D'autres jugent cette approche imprudente. La reconnaissance de la légitimité de la candidature turque à Helsinki, l'hypothèse d'une candidature d'Israël qui en appellerait d'autres sur le pourtour méditerranéen soulignent, selon eux, l'urgence d'une décision stratégique énonçant les bornes du projet européen. Faute d'une décision aussi tranchée, ils se satisferaient d'une Constitution européenne dont le mérite ne se réduirait pas à forger la communauté de destin européenne. En fixant des normes contraignantes, elle permettrait de se prémunir contre l'adhésion précipitée de certains États d'Europe centrale, orientale et balkanique sur lesquels le soupçon pèse notamment sur le plan des valeurs démocratiques. Ce soupçon s'accompagne le plus souvent d'une crainte relative à l'attitude qu'adopteront les nouveaux États membres. À l'Ouest, on doute en effet parfois de la sincérité de l'engagement européen d'États venant à peine de recouvrer leur souveraineté nationale, et l'on invoque leur atlantisme pour douter de leur foi européenne. À l'opposé, on peut imaginer que, à l'instar du Portugal et de l'Espagne, l'attachement européen sera d'autant plus fort dans ces pays que le processus d'adhésion aura été synonyme de modernisation et de démocratisation. Quant à leur atlantisme supposé, l'idée que l'OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique nord) n'est pas la réponse adaptée aux menaces plus diffuses que la menace russe a fait son chemin, et la méfiance vis-à-vis de l'Ouest héritée de Munich ne peut que se dissoudre dans une prise en compte plus fine de leurs attentes.
Sécurité, défense et diplomatie
La politique européenne du président américain George W. Bush élu en 2000 est demeurée imprécise. Sa première visite sur le continent européen (juin 2001) a obéi à une géographie valorisant les intérêts électoraux internes (Espagne) et les alliés jugés sûrs (Pologne), sans oublier une visite de courtoisie aux Quinze et un mini-sommet américano-russe en Slovénie. C'est un Britannique, le commissaire Chris Patten, qui s'est ému publiquement que le président américain puisse s'estimer en droit de fixer à l'UE la tâche de s'élargir bien davantage qu'elle ne l'envisage. Les débats américano-européens sur la PESC (Politique étrangère et de sécurité commune) et l'IESD (Identité européenne de sécurité et de défense) semblent moins reposer sur des considérations pragmatiques (en termes strictement militaires, la mise sur pied d'une capacité de projection de 60 000 hommes d'ici à 2003 "en Europe et autour" n'affaiblira pas l'Alliance atlantique) que sur une rivalité politique et symbolique. Les États-Unis veillent à conserver une suprématie qui s'exerce sur le plan décisionnel et sur le plan technologique. Les Européens, au nom de principes budgétaires, hésitent à contester celle-ci : en huit ans (1992-2000), ils ont réduit leurs dépenses militaires de 22 %. L'Europe de la défense devrait bien davantage bénéficier des progrès notables enregistrés dans les collaborations et les fusions entre groupes de l'industrie de l'armement encouragées par la concurrence internationale et les coûts de recherche-développement. Différents comités ainsi qu'un État-Major commun ont néanmoins été mis en place et un corps de 5 000 policiers devrait à partir de 2003 pouvoir intervenir en cas de crises non militaires.
Les diplomaties nationales européennes hésitent à négocier leur propre mise à l'écart par une politique étrangère commune. Certaines y voient le risque de devoir abdiquer l'autorité mondiale qu'elles estiment encore avoir au profit d'une diplomatie paralysée par ses contradictions internes. D'autres (notamment dans les pays tentés par la neutralité) redoutent d'être embarquées contre leur gré dans des initiatives ambitieuses. Une avancée institutionnelle majeure en la matière serait d'autant plus opportune que, par son habitude de la concertation interne, l'UE paraît plus qualifiée que les États-Unis à exercer une influence respectée dans un monde multipolaire et animé par des acteurs toujours plus nombreux.
La géographie de l'Union la rend par ailleurs plus vulnérable que ne le sont les États-Unis, au voisinage instable de l'ex-Union soviétique, du Moyen-Orient et de l'Afrique. Elle en tire la leçon en accordant une aide au développement dont le montant global est trois fois supérieur à celui des États-Unis, en développant un partenariat avec les États de la rive sud de la Méditerranée et avec les anciennes républiques soviétiques. Ses moyens d'action n'ont toutefois pas l'efficacité espérée. La Commission a elle-même dressé un bilan mitigé des "stratégies communes" vis-à-vis de l'Ukraine et vis-à-vis de la Russie. La politique migratoire restrictive apparaît ainsi parfois contradictoire avec la volonté affichée de diffuser les normes européennes, sans parler de l'architecture institutionnelle qui, en raison de l'absence d'une vision stratégique européenne et de la règle de l'unanimité, se réduit de facto à la recherche d'un consensus mou.
La visibilité s'est certes accrue avec la nomination d'un "Monsieur PESC" en la personne de Javier Solana (juin 1999), mais, paradoxalement, celui que les médias qualifient volontiers de chef de la diplomatie européenne ne dispose que d'une vingtaine de collaborateurs et d'un budget deux cents fois inférieur à celui du commissaire européen aux Relations extérieures.
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