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LES UTOPIES SONT-ELLES UTILES ? (Les représentations du monde - Décrire, figurer, imaginer)

LES UTOPIES SONT-ELLES UTILES ? (Cours de spécialité d’humanités, littérature et philosophie)
INTRODUCTION : Le terme a été créé par Thomas More à partir du grec ou- (privatif) et topos (« lieu »). Le mot signifie donc, en son sens littéral : « ce qui n'est d'aucun lieu », le « pays de nulle part ». Les utopies offrent-elles un modèle, un guide pour le gouvernement des sociétés ? Les utopies sont-elles l'œuvre de rêveurs irréalistes ? Peuvent-elles devenir dangereuses si on cherche à les appliquer ?
THÈSE : Les utopies sont un rêve qui ignore les conditions de vie réelles d'une société. A vouloir les imposer par la force, on aboutit à des tyrannies implacables.

ANTITHÈSE : Guerres, crise économique, intolérance, etc. : on ne peut se contenter d'accepter la réalité telle qu'elle est. Les sociétés humaines ont besoin d'un idéal de paix et de bonheur.

SYNTHÈSE : L'utopie, principe d'espérance.

1a) Les utopies sont un rêve irréalisable. Comme tout idéal, les utopies sont irréalisables, car elles s'éloignent trop de la réalité. Elles sont l'œuvre de rêveurs, souvent déconnectés des réalités politiques, économiques et sociales. L'utopie se rapproche de la schizophrénie en ce sens qu'avec elle l'homme perd le contact avec la réalité et se dissocie de lui-même pour se projeter dans une restructuration fantastique de son milieu. L'utopie est, de façon ambivalente, à la fois progressiste et réactionnaire: progressiste en ce qu'elle anticipe la société meilleure, mais réactionnaire en ce qu'elle ne se donne aucun moyen pour la réaliser historiquement, elle se réfugie hors de l'histoire. Bref, l'utopie n'exprime que le besoin de réconfort qu'une vie déclinante éprouve pour survivre. De ce point de vue, la vie collective qu'elle est propose en est un symptôme.

2a) Les utopies décrivent la société idéale. Platon, dans La République, propose un modèle idéal de gouvernement dans lequel la propriété serait commune et où la justice régnerait. La Cité se répartit en trois classes : le peuple, qui correspond à la partie désirante de l'âme ; les guerriers, qui correspondent au courage ; les dirigeants, qui gardent la loi et administrent la Cité. Contre des modèles politiques disharmonieux, Platon propose donc un modèle de Cité où chacun connaît sa place, y accomplit la tâche qui lui convient et participe au bien-être général, la justice et l'unité s'imposant d'elles-mêmes. Considérant que le monde ne tournait pas comme il faut, de nombreux philosophes se sont efforcés de définir une forme de société idéale apte à rendre les hommes heureux. L'utopie se montre à nous en tant que négatif — au sens du négatif photographique — de la réalité, une projection dans le futur d'un présent idéalisé.

3a) Utopie et révolution. K. Mannheim (Idéologie et utopie) a montré que l'utopie est un phénomène d'écart traduisant le désaccord de l'homme avec la réalité. Il caractérise la « conscience fausse », celle qui ne peut s'accorder avec son milieu historique. Mais cet écart n'est ni compensation ni évasion hors de l'histoire. Essentiellement projet, il marque une volonté de transformer la réalité historique. L'utopie est positive puisque ferment révolutionnaire et facteur de changement social. Tout ce qui est pensable, imaginable est réalisable comme le suggéraient les slogans de mai 68 : « L'utopie au pouvoir ». La disparition de l'utopie engendrerait une situation statique où l'homme lui-même ne serait plus qu'une chose. Un monde sans utopie serait un monde en stagnation perpétuelle. L'ordre actuel suffirait à tout le monde, personne n'en demanderait plus, chacun se conformerait à cette situation. Sans utopie, plus de progrès, plus d'espoir, plus de rêve, plus d'enthousiasme

1b) Les utopies mènent à la tyrannie. En tentant d'appliquer les principes du Contrat social de Rousseau, Robespierre a instauré la Terreur. Lénine a voulu établir la « société sans classes » chère à Marx: cela a débouché sur le régime le plus répressif que l'histoire ait connu. De même les nazis et leur rêve d'une Allemagne mythique, les ayatollahs et leur théocratie... Les utopistes sont toujours prêts à assassiner au nom d'une idée abstraite. Drôle de conception du bonheur commun ! L'Histoire moderne a montré que l'utopie est mère de toutes les dictatures. L'histoire du communisme illustrerait bien cet argument. A la base, l'idéologie de Marx avait tout à fait de quoi séduire. Comment ne pas être tenté par une égalité de tous, un partage parfait de tous les biens, et autres ? Seulement, elle était sûrement utopique et son application s'avéra catastrophique.

2b) Toute utopie implique une critique du pouvoir. Quelle est donc la fonction de l'utopie, si les pays qu'elle décrit sont imaginaires ? Elle a essentiellement une fonction critique. Ainsi, dans le livre de More, chaque trait de la vie en Utopie est la critique de la société anglaise du xvie siècle. En Utopie, tous travaillent six heures par jour et personne ne manque de rien ; l'égalité règne entre les habitants alors que, dans l'Angleterre de l'époque, les riches propriétaires de grands troupeaux de moutons s'emparent des terres communales et que la misère se développe (on notera comme un trait caractéristique que toutes les utopies sont égalitaristes).

3b) Contre-utopie et histoire. Dans les contre-utopies du XXe siècle, il s'agit d'univers angoissants, tout aussi dépaysant. Les dystopies ont pour but de faire prendre conscience aux lecteurs qu'il faut corriger notre monde en lui faisant prendre conscience de ses défauts et possibles dérives. Exemple : cas de la contre-utopie : Le Meilleur des mondes annonce les dangers de la programmation génétique ; 1984 nous met en garde contre les dangers du totalitarisme ; plus récemment la série Black Mirror dénonce les usages tyranniques des nouvelles technologies, etc. Ces utopies ou contres utopies décrivant des mondes dont la perfection (ou l'imperfection) s'éloignent de la réalité ont un but précis : elles servent de contre-point critique ou prémonitoire à la société contemporaine. La contre-utopie dénonce l'utopie de l'utopie, cad la part cauchemardesque de nos rêves.

1c) Les gouvernants doivent être pragmatiques. On ne peut plaquer des modèles abstraits sans tenir compte du fonctionnement réel de la société, et en particulier du fait qu'il y a autant de volontés que d'individus. S'il est légitime de gouverner selon des idéaux, on ne peut prévoir de manière trop contraignante ce que doivent être les rapports entre les individus. Il faut laisser la société fonctionner spontanément, quitte à corriger ses erreurs et ses outrances lorsque cela est nécessaire.

2c) La société idéale abolit les injustices. More imagine sur une île un État idéal où la propriété serait abolie, l'argent n'existerait pas, les honneurs seraient méprisés, la tolérance religieuse régnerait. Les utopies ultérieures, notamment celles des penseurs socialistes, s'en souviendront. Le rêve d'une société idéale est commun au christianisme, au socialisme et à toutes les doctrines qui rejettent le pouvoir de l'argent et l'oppression des faibles par les forts. More paya de sa vie son opposition au despotisme d'Henri VIII.

3c) Utopie et espoir. L'utopie provoque l'imagination prospective. En redonnant confiance en la puissance inventive de l'esprit de l'homme et en la générosité de son coeur, elle soutient la dynamique sociale et préserve la conscience malheureuse de la désespérance. La véritable utopie, parle soupçon et la critique qu'elle instaure, est libératrice. Elle est un éternel principe d'espérance, car toujours « haut dressé sur les décombres d'une civilisation ruinée s'élève l'esprit de l'indéracinable utopie » (E. Bloch). Ainsi peut-on, avec Kant, faire de l'utopie un idéal régulateur de la raison politique, une condition limite du progrès moral et politique. L'utopique n'est l'atopique.

TRANSITION :

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CONCLUSION :

N'avons-nous pas besoin d'utopie pour imaginer la société parfaite de demain ? L'utopie n'est-elle pas le désir d'un mieux ?

Toute utopie n'est-elle pas révolutionnaire ? Le monde de main n'est-il pas contenu dans nos utopies d'aujourd'hui ? Toute grande invention ou avancée de l'homme n'a-t-elle pas d'abord été une « idée folle » qui a germé dans l'esprit de l'inventeur ?

More a imaginé une société idéale sur l'île d'Utopie. C'était sa manière à lui de critiquer le despotisme de la monarchie anglaise et de proposer un autre type de gouvernement qui rendrait ses concitoyens heureux. Dans la réalité, toutefois, il semble que les utopies sont condamnées à rester des rêves nés dans les cerveaux de visionnaires ou d'idéalistes, impossibles à appliquer au risque de créer des monstres comme le Comité de Salut public sous la Révolution française ou le stalinisme. Même si on ne peut nier que de tels « rêves » sont nécessaires: on ne peut gouverner la société sans avoir une vision de ce qu'elle devrait être. Oscar Wilde disait qu'il n'y a « Aucune carte du monde [qui] n'est digne d'un regard si le pays de l'utopie n'y figure pas ».

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