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L'ART

L’art, au sens actuel, désigne la capacité à produire des objets beaux. En parlant des arts, on entend les beaux-arts. Les œuvres d’art sont d’une très grande diversité : architecture, sculpture, peinture, musique, théâtre, poésie... Cependant, l’objet de la philosophie n’est pas d’examiner les arts en particulier mais de rechercher ce qui fait la spécificité ou l’originalité de l’art en général.

I. — Nature de l’art

A. Finalité de l'art

L'art se distingue de l'artisanat et de la technique par sa finalité. L'artiste qui sculpte le bois ou la pierre, orne les murs de peintures et de dessins crée des œuvres qui ont pour seule fin de plaire par leur beauté. L'objet beau a sa fin en lui-même comme source d'un plaisir esthétique, d'une satisfaction désintéressée. En effet, le plaisir que procure l'œuvre d'art, plaisir de la sensibilité (comme l'indique l'étymologie du mot esthétique) mais aussi plaisir de l'intelligence, n'a rien d'intéressé. On le constate avec évidence lorsqu'on contemple une peinture représentant une nature morte : les fruits, les poissons, les volailles représentés, ne se mangent pas. En revanche, le propre de l'artisanat et de la technique est de produire des œuvres qui ont pour fin l'utilité et qui, de ce fait, plaisent comme moyens d'une satisfaction intéressée. Sans-doute, l'ébéniste ou le menuisier qui fabrique un meuble baroque crée-t-il tout autant une œuvre ornementale et de style qu'un objet utilitaire. Sans doute aussi, l'objet artisanal, à la différence du produit industriel, est-il en même temps une œuvre qui témoigne de l'habileté et du talent d'un individu. Mais il est néanmoins indéniable que l'œuvre artisanale n'a pas pour fonction première de procurer un plaisir esthétique ni même d'exprimer la personnalité de son créateur. Elle tire plutôt son sens d'une intention «mercenaire» : la recherche du gain est, en effet, ce qui motive l'artisan. C'est pourquoi l'artisanat est, comme l'affirme Kant, considéré comme «un travail», c'est-à-dire comme «une activité, qui est en elle-même désagréable (pénible) et qui n'est attirante que par ses effets (par exemple le salaire). Indifférent au principe du gain, l'art apparaît, au contraire, comme « une activité en elle-même agréable, une sorte de jeu ». Par opposition à l'artisanat et à la technique, l'art est à lui-même sa propre fin : l'art est une fin en soi.

B. Les beaux-arts sont les arts du génie

Si le travail artisanal exige une certaine habileté, voire un tour de main qui ne se réduit pas à des recettes d'une application mécanique, il ne requiert cependant aucune faculté d'invention ou génie particulier. Il n'en est pas de même de l'art qui, comme l'affirme Kant, nécessite autre chose que la simple « aptitude à ce qui peut être appris d'après une règle quelconque». Les beaux-arts doivent nécessairement « être considérés comme des arts du génie». Et par génie, il faut entendre, dit Kant, « un talent, qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée». Sans doute, l'art, comme toute production, exige-t-il des règles, mais celles-ci ne précèdent pas l'œuvre. Aussi le génie peut-il être défini plus précisément comme le talent naturel « qui donne les règles à l'art». . Et puisque, dit Kant, « le talent, comme faculté productive innée de l'artiste, appartient lui-même à la nature, on pourrait s'exprimer ainsi: le génie est la disposition innée de l'esprit (ingenium) par laquelle la nature donne les règles à l'art ». Ainsi, le génie doit produire comme produit la nature, c'est-à-dire indépendamment de « toute contrainte par des règles arbitraires». Sans doute, doit-on trouver dans un produit de l'art « toute la ponctualité voulue dans l'accord avec les règles, d'après lesquelles seul le produit peut être ce qu'il doit être; mais cela ne doit pas être pénible». Le génie doit donc donner l'impression de produire avec la même facilité et spontanéité que la nature. Cependant l'art ne se confond pas avec la nature : « En face d'un produit des beaux-arts on doit prendre conscience que c'est là une production de l'art et non de la nature. » L'art, contrairement à la nature, a, en effet, toujours « l'intention de produire quelque chose». Mais si la finalité dans les produits des beaux-arts est intentionnelle, elle ne doit pas paraître intentionnelle; c’est-à-dire que « l'art doit avoir l'apparence de la nature, bien que l’on ait conscience qu’il s’agit d’art». Il s’ensuit que « l’originalité doit être la première propriété» de l’œuvre d’art. Et comme, en outre, l’absurde peut aussi être original, les produits de l’art « doivent en même temps être des modèles, c’est-à-dire exemplaires». Le génie est donc aussi originaire. Autrement dit il doit être à l’origine d’une école à laquelle il transmet les diverses règles et les procédés de son art. Mais si les règles et les procédés d’un art peuvent se transmettre, ce n’est pas sous la forme de préceptes. L’art ne s’enseigne pas et ne devient pas artiste qui veut. Sans doute, autrefois, dans les ateliers de peinture, de sculpture et d’architecture, les élèves pouvaient-ils extraire les procédés et les règles de l’art d’un maître mais ils ne pouvaient en aucun cas apprendre l’art de créer véritablement qui relève du seul talent ou génie de chacun. Ces élèves en restaient souvent à la simple imitation scolaire, travaillant le procédé par lui-même, indépendamment de ce qu’il exprimait dans l’œuvre originale ou bien tombaient dans le maniérisme, cette « forme de singerie qui consiste à n’être personnel (originalité) que pour tâcher de s’éloigner le plus possible des imitateurs, sans posséder le talent d’être en même temps un modèle». Seuls devenaient créateurs ceux qui, à leur tour, inventaient de nouvelles formes, un nouveau style ou donnaient une nouvelle signification aux procédés hérités. L’art exige donc un talent qui est totalement « opposé à l’esprit d’imitation» et qui ne peut être ramené à un savoir transmissible par enseignement. La façon dont l’artiste réalise son produit ne peut ni être exposée scientifiquement ni même décrite : « Le créateur d'un produit qu'il doit à son génie ne sait pas lui-même comment se trouvent en lui les idées qui s'y rapportent et il n'est pas en son pouvoir ni de concevoir à volonté ou suivant un plan dé telles idées ni de les communiquer aux autres dans des préceptes, qui les mettraient à même de réaliser des produits semblables. » En cela, l’art se différencie radicalement de la technique et de la science. Application rigoureuse de la science, la technique repose sur une méthode scientifique précise dont toutes les démarches sont enseignables, transmissibles, répétables : « Newton pouvait rendre parfaitement clairs et déterminés non seulement pour lui-même, mais aussi pour tout autre et pour ses successeurs, tous les moments de la démarche qu'il dut accomplir, depuis le premiers éléments de la géométrie jusqu'à ses découvertes les plus importantes et les plus profondes. » En revanche « aucun Homère ou Wieland ne peut montrer comment ses idées riches de poésie et toutefois en même temps grosses de pensées surgissent et s'assemblent dans son cerveau, parce qu'il ne le sait pas lui-même et aussi ne peut l'enseigner à personne». C'est pourquoi, comme l'affirme Kant, « dans le domaine scientifique», « le plus remarquable auteur de découvertes ne se distingue que par le degré de l'imitateur et de l'écolier le plus laborieux». Mais cette faiblesse est aussi ce qui fait la force de la science et de la technique puisque les connaissances et l'utilité qui en dépend sont toujours susceptibles de progrès. Tandis que l'art rencontre une « limite» au-delà de laquelle « il ne peut aller», « limite qu'il a d'ailleurs vraisemblablement atteinte depuis longtemps et qui ne peut plus être reculée». De plus « l'aptitude propre au génie ne peut être communiquée» et« disparaît donc avec lui».

II. — L'art et la nature

A. L'art consiste-t-il à imiter la nature?

Dans "La République", Platon affirme que l'artiste est un imitateur d'une production « éloignée de la nature de trois degrés». Ainsi, il y a trois sortes de lits : l'un existe dans la nature des choses, un deuxième est celui du menuisier, un troisième celui du peintre. Platon ne semble pas dépasser l'opinion la plus répandue sur la fin que se propose l'art : l'imitation de la nature. Dans "Esthétique", Hegel réfute cette conception. Selon lui le « but essentiel» de l'art ne saurait consister dans l'imitation, c'est-à-dire « dans la reproduction habile d'objets tels qu'ils existent dans la nature», et le plaisir esthétique ne prendrait pas sa source dans « une pareille reproduction faite en conformité avec la nature». Il s'agit en fait d'« une occupation oiseuse et superflue » : à quoi bon « refaire une seconde fois », même si c'est avec d'autres moyens, « ce qui existe dans le monde extérieur» ? Quel besoin avons-nous « de revoir dans des tableaux ou sur la scène des animaux, des paysages pu des événements humains que nous connaissons déjà»? En outre, il s'agit d'« un jeu présomptueux» dont les résultats restent toujours inférieurs à ce que nous offre la nature» : « C'est que l'art, limité dans ses moyens d'expression, ne peut produire que des illusions unilatérales, offrir l'apparence de la réalité à un seul de nos sens; et en fait, lorsqu'il ne va pas au-delà de la simple imitation, il est incapable de nous donner l'impression d'une réalité vivante ou d'une vie réelle: tout ce qu'il peut nous offrir, c'est une caricature de là vie. » Quel but poursuit l'artiste en imitant la nature, sinon celui de rivaliser avec elle? Pour Hegel; une telle entreprise est « dépourvue de signification». C'est ainsi que nous donnant l'exemple de Zeuxis qui « peignait des raisins qui avaient une apparence tellement naturelle que des pigeons s'y trompaient et venaient les picorer», Hegel compare l'adresse de ce peintre à cet homme qui s'était « vanté de pouvoir lancer des lentilles à travers un petit orifice » et auquel Alexandre, devant lequel il exécuta ce tour de force, fit offrir quelques boisseaux de lentilles. Le but de l'œuvre d'art n'est pas de réussir à tromper des pigeons. Enfin en prétendant que l'art consiste « dans une fidèle imitation de ce qui existe déjà, on met en somme le souvenir à la base de la production artistique» et on prive ainsi l'art « de sa liberté, de son pouvoir d'exprimer le beau». En se prononçant contre l'imitation du naturel, Hegel entend dire seulement que « le naturel ne doit pas être la règle, la loi suprême de la représentation artistique». C'est certes, « dans le monde sensible, dans l'immédiat, dans les données de la nature ou des situations humaines que l'œuvre d'art semble puiser son contenu», mais « de là à prétendre que le contenu comme tel, en tant que contenu, doit être tout entier emprunté à la nature, il y a loin». En faisant de l'imitation le but de l'art, on impose « à l'activité de l'artiste des limites qui lui interdisent la création proprement dite».

B. «L’art ne naît de la vie qu’à travers un art antérieur »

S'il est vrai que la nature, la réalité sont des sources auxquelles l'art n'a pu se dispenser de puiser, il n'en est plus de même aujourd'hui où c'est l'art lui-même qui assure l'éducation esthétique de l'homme. Ce sont les artistes qui nous apprennent à observer la nature et qui nous sensibilisent à ses beautés. De même, ce sont les- œuvres des grands maîtres et non la contemplation de la nature qui éveillent le désir de créer: « Ce qui fait l'artiste, dit Malraux, c'est d'avoir été dans l'adolescence plus profondément atteint par la découverte dés œuvres d'art que par celles des choses qu'elles représentent et peut-être celles dés choses tout court. » C'est pourquoi, tout artiste, en ses débuts, ne s'efforce pas de représenter la nature mais -d'imiter un maître. C'est pourquoi aussi, - tout artiste qui innove, qui invente un nouveau « système de formes» ne le -doit, en fait, qu'à son «conflit» avec un autre style : «L'art, dit Malraux, ne naît de la vie qu'à travers un art, antérieur.» Le génie est « dans la faculté d'inventer des formes», mais cette invention se conquiert sur des formes antérieures.

III. — L'acte esthétique comme mode de communication directe de l'homme avec l'homme

A. Le jugement de goût

Lorsque je dis: « le vin des Canaries est agréable» ou bien : « la couleur violette est douce et aimable» ou encore : « j'aime le son des instruments à vent», mon jugement - ne vaut que pour moi-même et j'admets volontiers que le jugement d'un autre ne s'accorde pas avec le mien. Comme l'affirme Kant, le principe «à chacun son goût» est valable pour ce qui est agréable : « Lorsqu'il s'agit de ce qui est agréable, chacun consent à ce que son jugement qu'il fonde sur un sentiment personnel et en fonction duquel il affirme d'un objet qu'il lui plaît, soit restreint à sa seule personne. » En revanche, lorsque j'affirme d'une œuvre d'art qu'elle est belle, je prononce un jugement de goût qui ne vaut pas seulement pour moi-même mais pour quiconque. Je -parle alors de la beauté comme si elle était « une propriété des choses», mais je ne peux justifier par aucun concept cette prétention à l'universalité : « Le beau, dit Kant, est ce qui plaît universellement sans concept. » Tandis que le jugement portant sur l'agréable est borné quant à sa valeur « au seul individu qui juge» : pour moi l'objet est un objet de satisfaction, pour d'autres les choses peuvent être différentes — le jugement de goût esthétique comprend, au contraire « une quantité esthétique d'universalité, c'est-à-dire de valeur pour chacun». Mais si, en matière d'art, on peut discuter du goût et donc « prétendre à l'assentiment nécessaire d'autrui», on ne peut néanmoins décider par preuves : « On ne dispute pas du goût. Ce qui signifie : le principe dé détermination d'un jugement de goût pourrait assurément être objectif mais on ne peut le ramener à dés concepts déterminés; par conséquent on ne peut rien décider par preuves sur le jugement lui-même, bien que l'on puisse en discuter à bon droit. » Certes le goût, en matière d'art, peut se cultiver par l’exercice de la discussion et de la critique. On peut ainsi acquérir des renseignements sur la nature sociale et historique d'une œuvre ou encore sur les matériaux et les techniques employés par l'artiste, mais les concepts sont impuissants à nous dire pourquoi telle œuvre est belle ou non, , ni à quoi il faut s'attacher pour en saisir la beauté.

B. Le plaisir esthétique comme sentiment de l’universelle communicabilité.

Pour Kant, nous nous trouvons devant l'antinomie suivante: « 1. Thèse. Le jugement de goût ne se fonde pas sur des concepts car autrement on pourrait disputer à ce sujet (décider par des preuves). 2. Antithèse. Le jugement dé goût se fonde sur dés concepts; car autrement on ne pourrait même pas, en dépit dés différences qu'il présente, discuter à ce sujet (prétendre à l'assentiment nécessaire d'autrui à ce jugement). » La solution de l'antinomie tient au fait que l'universalité du jugement esthétique ne se fonde pas sur l'objet lui-même : le beau n'est pas une qualité de d'objet mais renvoie à la manière dont le sujet le saisit. Autrement dit, il se trouve que devant une œuvre d'art un grand nombre de personnes «s'accordent à son sujet» tout simplement parce que les sujets sont « organisés de manière uniforme». Ainsi lorsque j'énonce le jugement de goût : « c'est beau», j'ai le sentiment que c'est l'objet lui-même qui est beau objectivement, mais en fait, si j'éprouve ce plaisir particulier qu'on nomme esthétique et si je peux le faire partager à autrui, c'est tout simplement parce que autrui est constitué comme moi, c'est-à-dire dispose des mêmes facultés représentatives qui sont l'imagination et l'entendement. Or le beau nous met dans un état où nous avons le sentiment du « libre jeu des facultés représentatives», c'est-à-dire du libre jeu de l'imagination et de l'entendement. Le plaisir esthétique provient de l'harmonie de ces facultés, du sentiment d'un accord, purement intérieur au sujet, entre l'imagination et l'entendement. En effet, la perception d'une œuvre d'art met en branle. l'intelligence, mais celle-ci est impuissante à saisir pleinement la richesse de l'objet et exige donc un retour à la perception. C'est ce va-et-vient infini entre la perception ou imagination et l'entendement, cet accord spontané entre deux facultés, qui dans la vie .quotidienne sont séparées, qui produit le plaisir esthétique. Or ce plaisir, reposant nécessairement en chacun sur les mêmes conditions, explique pourquoi celui qui juge avec goût peut attribuer sa satisfaction procédant de l'objet « à tout autre homme et admettre que son sentiment est communicable universellement et cela sans la médiation des concepts». Ainsi, pour Kant, dans l'acte. esthétique se révèle l'intersubjectivité : non seulement l'unité de notre être mais aussi notre unité avec autrui. L'homme, par l'affirmation de l'universalité de son sentiment, dépasse son «moi» et rejoint « autrui», et cela, sans le détour ou la médiation du concept. L'acte esthétique est donc communication directe de l'homme avec l'homme.

Sujets de dissertation

1. L'art consiste-t-il à imiter la nature? 2. Qu'est-ce que le beau?

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