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LAO-TSEU ET LE TAOISME

LAO-TSEU, philosophe chinois, fondateur présumé du taoïsme (VIe s. ou Ve s. av. J.-C?). Sa vie quasi légendaire est connue surtout par le Che Ki, une histoire de la Chine écrite vers l’an 100 av. J.-C. par Sseu-ma Ts’ien. Le sage serait né dans le Ho-nan, vers 604 av. J.-C.; son nom était Li Tan (Lao-tseu signifiant «Vieux Maître», surnom donné sans doute lorsqu’il atteignit la vieillesse, signe de sagesse), et il serait parvenu à un très grand âge. Il fut archiviste à la cour des Tcheou. Sa rencontre avec Confucius est célèbre. Il vécut retiré, puis, d’après les traditions, disparut à l’Ouest. Ses méditations et préceptes font l’objet de son livre le Lao-Tseu, appelé plus tard le Tao-tö king, qui le met au rang des grands classiques chinois.

LAO-TSEU ou LAO-TAN, philosophe chinois (VIe s. ou Ve s. av. J.-C.). On le connaît par des légendes. Archiviste à la cour des Tcheou, rebuté par la décadence de son époque, il serait parti vers l'Occident. En franchissant la frontière du royaume, il aurait dicté le Tao-tö king au gardien, avant de disparaître. Les taoïstes devaient prétendre que Lao-tseu partit vers l'Inde et que sa doctrine est devenue le bouddhisme. Le Tao-tö king se présente comme un traité sur le principe des choses et la vraie « voie » ou destinée de l'homme.

TAOISME. Système métaphysique élaboré en Chine à partir du Tao-Te-King (ou « livre de la Voie et de la Vertu ») de Lao-Tseu, qui vécut entre les ve et vie siècles avant J.-C. Le « tao » est à la fois le principe unique divin (source de toute la manifestation du monde sensible) et la « voie » qui y mène. Le principe essentiel du taoïsme est le « non faire « (wouwei), silence du mental et du comportement qui exclut les agitations, ambitions, avidités et angoisses qui caractérisent l’existence de l’homme ordinaire. « Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas » et encore « Le Sage agit comme n’agissant pas. Il enseigne sans parler. Il donne sans posséder, travaille sans rien attendre, fait le bien sans s’y attacher et pour cela ses œuvres subsistent. » (Lao-Tseu.) Ce principe du « non agir » a rencontré en Chine au Ve siècle après J.-C. la doctrine bouddhique de « l’illusion du Moi » et il en est né le ch’an (ou zen, voir ce mot). Le taoïsme s’appuie sur un autre principe dont l’origine se perd dans la nuit des temps, celui de l’alternance complémentaire des deux principes : yin (principe féminin) et yang (principe masculin) dont l’interaction crée, entretient et dissout toutes les formes d’existence de l’Univers. Les différents modes de combinaison possibles du yin et du yang sont codifiés dans le plus vieux livre chinois, le I-King (livre du principe unique, dit « Livre des métamorphoses ») dont l’origine est dite remonter à 3 000 ans avant J.-C. Ces modes de combinaison sont synthétisés sous la forme de 64 hexagrammes, figures composées de six traits superposés, continus (yang) ou brisés (yin), et qui symbolisent l’ensemble des réalités. Considéré longtemps comme un traité de divination, le « I-King » semble être en fait un moyen pour permettre au sujet qui le consulte d’entrer en contact avec les contenus de son inconscient, en induisant chez lui une ouverture à ses dynamismes profonds. C’est sous cet angle que le « I-King » est parfois utilisé par certains psychothérapeutes jungiens dans le cours d’une analyse (cf. le chapitre v, par Jolande Jacobi, dans L'homme et ses symboles. La complémentarité Yin-Yang se condense dans le symbole du Tai-ki : cercle divisé en deux parties égales (l’une blanche et l’autre noire), par une ligne en forme de « S », et comportant un point noir dans la partie blanche et blanc dans la partie noire : exprimant ainsi que yang et yin sont totalement inséparables, et distincts tout en étant unis. Ce symbole se rapproche de celui de l’Androgyne primordial.



LAO TSEU. L’auteur présumé du livre intitulé Lao tseu ou Tao-tö king est un des personnages les plus obscurs de l’Antiquité chinoise. Vers l’an 100 av. J.-C., l’historien Sseu-ma Ts’ien ne possédait déjà plus que des renseignements si confus et si contradictoires à son sujet que la biographie qu’il lui consacre dans le Che Ki (ch. 63) est fort décevante. De plus, le texte en est particulièrement vicié. C’est cependant cette biographie qui est notre seule source d’information et ce sont les renseignements qu’elle fournit qu’il nous faut examiner et critiquer. Sseu-ma Ts’ien commence par décliner l'état civil de Lao tseu : il nous dit que son nom de famille (sing) était Li, son appellation (tseu) Po-yang; son nom posthume (che) Tan. Tel est du moins le texte actuel du Che Ki. Mais des citations anciennes semblent prouver que le texte original disait que le nom personnel (ming) de Lao tseu était Eûl; Tan était son appellation (tseu), et non un nom posthume, auquel, d’ailleurs, il n’avait pas droit n’appartenant pas à l’aristocratie. La leçon du texte actuel est vraisemblablement due aux biographies hagiographiques taoïstes. L’appellation de Po-yang, en particulier, qui apparaît dans le Lie-sien tchouan, est empruntée à deux personnages plus ou moins légendaires de l’Antiquité : un du temps de l’empereur mythique Chouen; l’autre, appelé aussi Po-yang fou, grand astrologue à la cour des Tcheou, sous le roi Yeou (VIIIe siècle av. J.-C.) et en qui les taoïstes, qui voulaient glorifier la longévité de leur maître, reconnaissaient déjà Lao tseu. Les historiens chinois sont donc d’accord pour écarter « Po-yang » comme appellation de Lao tseu; Eûl et Tan leur semblent en effet plus satisfaisants : il y avait normalement entre le ming et le tseu un rapport sémantique. Or Eûl signifie « oreilles » et Tan « longues oreilles » Mais, d’un autre point de vue, c’est précisément ces noms qui peuvent paraître suspects : c’est en effet à la longueur de ses lobes auriculaires que se reconnaissait un sage doué de longévité. Il paraît difficile d’admettre que ces noms soient autre chose que les noms légendaires d’un héros non moins légendaire, héros qui avait précisément pour caractéristique d’être un sage qui vécut très longtemps. Pourquoi, en effet, Li Eûl est-il devenu Lao Tan ou Lao tseu ? Selon certains commentaires anciens, Lao-tan était un nom donné aux vieillards dans les temps antiques; selon d’autres, Lao tseu était né avec des cheveux blancs, c’est pourquoi on l’appelle « le vieil enfant » (Lao tseu). Il est vrai que quelques érudits modernes voient dans Lao un nom de famille (sing) et l’on aurait alors tout naturellement un philosophe ou Maître Lao « Lao tseu », comme on dit le Maître K’ong « K’ongtseu » (Confucius) ou « Mong tseu » (Maître Mong : Mencius). Sous les Han, Lao aurait été changé en Li, nom de famille plus courant à cette époque, alors que, à l’époque Tch’ ouen-ts’ieou, le sing Li n’existait pas encore. Mais on peut se demander alors pourquoi les anciens interprètes ne l’ont pas dit. Il paraît plus vraisemblable que Lao a toujours gardé son sens de « vieillard » et aussi de « vénérable », car dans l’ancienne Chine, le grand âge était un signe de sagesse et de puissance vitale. Le texte du Che ki indique ensuite le lieu de naissance de Lao tseu : « Lao tseu était originaire du village (li) de K’iu-jen, canton (hiang) de Lai, sous-préfecture (hien) de K’ou, dans le pays de Tch’ou. » Bien que, là aussi, le texte présente des variantes, celles-ci ne soulèvent pas de grosses difficultés. L’une dit en effet Tch’en au lieu de Tch’ou, et Siang au lieu de K’ou. K’ou et Siang étaient deux localités voisines dépendant, sous les seconds Han, du royaume de Tch’en. Plus anciennement, elles avaient dépendu de la principauté du même nom qui fut absorbée par Tch’ou, un des grands « royaumes combattants », en 479 av. J.-C. Actuellement, l’emplacement se trouve à l’est de Lou-yi hien, dans le Ho-nan oriental; c’est un peu à l’est de cette ville que l’on montre le tom beau de la mère de Lao tseu, le tombeau de Lao tseu et son temple appelé T’ai-ts’ing kong. Enfin, l’historien nous indique la fonction de Lao tseu : il était archiviste-astrologue (che), conservateur de la bibliothèque des Tcheou. Les « che » (terme qui désigne dans la langue classique et moderne les historiens) étaient anciennement des savants spécialisés dans les sciences astrologiques, divinatoires, médicales et autres; c’était en réalité une fonction d’ordre religieux; vraisemblablement, les che étaient chargés de la garde des écrits considérés comme sacrés. Dans un autre chapitre, il est dit que Lao tseu fut astrologue-archiviste (che) du bas de la colonne (tcnou-hia che), fonction qui consistait à garder les écrits magiques conservés au bas d’une colonne. On ne sait ce que signifiait cette colonne : peut-être symbolisait-elle le caractère sacré des écrits en question. Selon une autre explication, le tchou-hia che était un censeur et un juge qui portait un couvre-chef en forme de colonne ou de corne. Mais c’est bien la tradition qui faisait de Lao tseu un astrologue-archiviste des Tcheou qui paraît la plus ancienne et c’est celle qu’adopte Sseu-ma Ts’ien. Après avoir ainsi exposé l’état civil de Lao tseu, le Che ki raconte une entrevue célèbre mais douteuse que Confucius aurait eue avec Lao tseu : « Confucius se rendit au pays de Tcheou avec l’intention de consulter Lao tseu au sujet des rites. Lao tseu lui répondit : « Les gens dont tu parles (c’est-à-dire ceux qui instituèrent les rites), leurs os même sont tombés en poussière, il ne reste que le souvenir de leur parole. De plus, 1 nomme supérieur ne se déplace en carrosse que lorsque les circonstances sont favorables; sinon, il s’en va au gré du vent comme une feuille morte. D’après ce que j’ai appris, le bon marchand cache si bien ses richesses qu’il semble démuni. L’homme supérieur qui possède une vertu complète ressemble à un sot. Renonce à cet air orgueilleux et à tous ces désirs, à cette attitude suffisante et à ces ambitions excessives : tout cela ne peut t’être d’aucun profit. Voilà tout ce que j’ai à te dire. » Confucius, s’étant retiré, dit à ses disciples : « Je sais que les oiseaux volent, que les poissons nagent, que les quadrupèdes courent. Les animaux qui courent peuvent être pris au filet, ceux qui nagent peuvent être pris à l’hameçon, ceux qui volent peuvent être atteints par les flèches. Quant au dragon, je ne puis dire comment il s’élève vers les cieux sur les vents et les nuées. Aujourd’hui, j’ai vu Lao tseu : il n’est comparable qu’au dragon. » L’entretien de Confucius et de Lao tseu a suscité en Chine de longues discussions sans que les historiens soient parvenus à une solution. En dehors du Che ki (où elle est encore mentionnée au chapitre consacré à K’ong tseu), il en est question aussi dans les textes suivants : dans le Kia-yu [Propos de Confucius] où les paroles de Lao tseu sont à peu près identiques à celles qui, dans le chapitre Tseng tseu wen du Li ki, sont citées par Confucius rappelant des propos que Lao Tan aurait tenus en quatre occasions différentes. L’une de celles-ci pourrait être datée de l’an 518 av. J.-C. Enfin, le Tchouang tseu raconte plusieurs scènes où Confucius est en conversation avec Lao tseu; dans un de ces passages, Confucius était âgé de cinquante et un ans lorsqu’il vit pour la première fois Lao Tan à P’ei non loin de l’actuel Siu tcheou. Il faut ajouter que plusieurs des pierres sculptées du Chan-tong qui ornaient des tombes du IIe siècle de notre ère représentent la visite de Confucius à Lao tseu. Mais les textes ne sont d’accord ni sur le lieu (à la capitale de Tcheou ? à P’ei ? à Lou ?), ni sur l’époque (Confucius aurait eu dix-sept ans, trente-quatre, cinquante et un ou cinquante-sept ans), ni sur le nombre des entrevues. Celles-ci semblent bien relever de la légende comme d’ailleurs le voyage vers l’ouest dont Sseu-ma Ts’ien vient à parler peu après : voyant que les Tcheou tombaient en decadence, Lao tseu partit. Arrivé à la passe, le gardien de la passe, Hi (Kouan ling yin Hi) dit : « Vous allez disparaître dans la retraite; il faut auparavant que vous écriviez un livre pour moi. » Alors Lao tseu écrivit un livre en deux parties où il exposait ses idées sur le Tao et le Tö en plus de cinq mille caractères. Puis il partit et l’on ne sait ce qu’il advint finalement de lui. Cette histoire du départ de Lao tseu vers l’ouest devait donner lieu plus tard à la légende inventée par la propagande taoïste selon laquelle le Maître taoïste se serait rendu dans les pays d’Occident (dans l’Inde) où il serait devenu le Bouddha et aurait converti les Barbares à la doctrine taoïste. En réalité, tout ce que ce texte semble dire, c’est que Lao tseu est allé dans le pays situé à l’ouest de la passe connue sous le nom de Hien-kou et qui était la porte du pays de Ts’in. Cet épisode est l’événement crucial de la vie de Lao tseu, puisque c’est le moment où le Tao-tö king aurait été rédigé, et la personnalité du Gardien de la Passe, auquel ce livre fut révélé pour la première fois, est naturellement de première importance. Malheureusement, ce personnage est encore plus mystérieux, si possible, que Lao tseu lui-même. Le dernier chapitre du Tchouang tseu (qui est un exposé des diverses écoles philosophiques écrit par des taoïstes de l’école de Tchouang tseu) parle des idées de « Kouan Yin et Lao Tan », ce qui est anormal si Lao tseu était le maître et l’aîné de Kouan Yin, car dans ce cas Lao Tan devrait être nommé le premier. Ce Kouan Yin était donné comme l’auteur d’un ouvrage taoïste qui figure dans le catalogue de l’histoire des Han (Han chou) : l’auteur de ce catalogue note : « Le Gardien de la Passe avait pour ming (nom personnel) Hi; lorsque Lao tseu franchit la passe, Hi quitta sa fonction et le suivit. » De même, une glose du Lu che tch’ouen ts’ieou dit que le chef de la passe, Hi, écrivit un livre sur le tao en neuf chapitres. D’après ces textes, kouan-yin est un nom de fonction. Mais dans d’autres textes, ces deux caractères deviennent des noms propres : Kouan est alors un nom de famille et Yin un nom personnel (ming) ou une appellation (tseu). En tout cas, les anciens ouvrages ne parlent que de Kouan Yin ou de Kouan Yin tseu, et non de Kouan ling yin Hi comme le Che ki. Ling-yin était un nom de fonction spécial au pays de Tch’ou et n’était pas employé à Tcheou ou à Ts’in. De plus, c’était un nom de fonction trop importante pour un chef de passe, de sorte que le caractère ling pourrait être interpolé dans le texte du Che ki. Mais il est possible aussi que Kouang ling indique la fonction, et Yin Hi les sing et ming du personnage. En réalité celui-ci paraît être purement légendaire. Aussitôt après avoir raconté le voyage de Lao tseu et la rédaction du livre, Sseu-ma Ts’ien mentionne un personnage nommé Lao Lai tseu, auteur d’un livre taoïste en quinze chapitres, contemporain de Confucius et identifié parfois à Lao tseu; puis il ajoute : « Lao tseu aurait atteint l’âge de cent soixante ans; certains disent plus de deux cents ans; et cela, parce qu’il savait entretenir sa longévité en pratiquant le Tao. Cent vingt-neuf ans après la mort de Confucius, l’histoire note que le grand astrologue (t’ai-che) des Tcheou, Tan (autre graphie que le "Tan" de Lao Tan), rendit visite au duc Hien de Ts’in. Certains disent que ce Tan n’était autre que Lao tseu, mais d’autres disent que non, de sorte qu’il est impossible de savoir si c’est vrai ou non. » Les anciens Chinois admettaient que des hommes supérieurs pouvaient vivre cent à deux cents ans ou plus, et il est normal que les taoïstes, dont l’idéal était précisément de vivre éternellement, aient attribué à leur maître une longévité peu commune ou même l’immortalité. Mais c’est là une tradition tardive propre aux adeptes de la religion de l’immortalité et que Tchouang tseu ignorait, puisque ce philosophe parle de la mort de Lao tseu. Quoi qu’il en soit, si l’on admet l’existence d’un Lao Tan contemporain de Confucius, il ne peut avoir été identique au grand astrologue Tan. Cependant, de nombreux critiques, impressionnés par le fait que certains passages du Tao-tô king actuel ne peuvent avoir été écrits jusqu’à l’époque des « royaumes combattants » (vers l’an 300 av. J.-C.) admettent que ce t’ai-che Tan est l’auteur véritable. On tire argument aussi de la généalogie des descendants de Lao tseu que donne le Che ki : le fils de Lao tseu aurait été, d’après ce livre, un certain Tsong. Or ce personnage, qui est connu, ne peut avoir été le fils de Lao Tan, mais pourrait (à la rigueur) avoir été le fils du t’ai-che Tan. D’où l’on conclut que c’est ce dernier qui est le véritable auteur du Lao tseu. Devons-nous admettre cette solution ? Nous ne le croyons pas, car il est exclu que le Tao-tö king, tel que nous l’avons, soit l’œuvre d’un seul auteur et le produit d’une seule époque. C’est un livre qui provient d’un milieu, ou même de plusieurs milieux philosophiques ou religieux. Il me paraît impossible de lui assigner une date ou un auteur. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il a été remanié à des époques tardives, vers l’an 300 ou plus récemment. Mais il est non moins certain qu’il représente un mouvement de pensée qu’il n’est pas exagéré de faire remonter à l’époque de Confucius ou même plus haut. La vérité est sans doute dans cette petite phrase de Sseu-ma Ts’ien : « Lao tseu était un sage caché. » Durant toute l’histoire de Chine, il a existé de ces hommes qui choisissaient de vivre dans une retraite plus ou moins rigoureuse, fuyant la vie mondaine, ses tracas et ses honneurs. Confucius eut l’occasion de rencontrer quelques-uns de ces personnages qui lui tinrent des propos dans le goût taoïste. Un de ceux-là peut avoir été Lao Tan. Mais comme ils vivaient en marge de la société et de l’histoire, il n’est pas surprenant que nous ne sachions rien de leur biographie. Cependant, dans le cas de Lao Tan, en raison de l’importance du Tao-tô king, les historiens ont tenu à percer le mystère de sa personnalité; il en est résulté une grande confusion, plusieurs personnages plus ou moins légendaires, tous plongés dans une égale obscurité, étant identifiés avec le non moins obscur Lao tseu. Aussi vaut-il mieux avouer que nous ne savons rien de positif en dehors de l’existence même du Tao-tö king. En plus de cette biographie de Lao tseu des Mémoires historiques, nous n’avons que quelques mentions sporadiques dans les ouvrages des anciens philosophes (Tchouang tseu, Lu che tch’ouen ts'ieou) et des biographies légendaires conservées dans des ouvrages taoïstes. Ces hagiographies sont intéressantes pour l’histoire de la formation du taoïsme religieux où la divinisation de Lao tseu a joué un rôle important. Les plus anciennes de ces biographies légendaires sont celles du Lie-sien tchouan et du Chen-sien tchouan, deux recueils de biographies d’immortels taoïstes. Le premier de ces recueils qui remonte au IIe siecle de notre ère (mais avec des parties plus tardives) raconte que Lao tseu « aimait nourrir son souffle, il prisait l’art d’acquérir de l’énergie vitale et de ne pas la dépenser », faisant de Lao tseu un adepte des pratiques taoïstes de longue vie, lesquelles comprenaient des méthodes respiratoires et gymnastiques et une hygiène sexuelle. Bien que ces pratiques soient surtout attestées à partir de l’époque des Han, il n’en est pas moins vrai que certains passages du Tao-tö king impliquent que son auteur les connaissait. Le Lie-sien tchouan dit encore à propos d’un autre immortel, Jong Tch’eng-kong, considéré comme le patron des méthodes sexuelles d’immortalité taoïste, qu’il fut le maître de Lao tseu, ce qui indique que les adeptes de ces méthodes se sont très tôt annexé Lao tseu. Le Chen-sien tchouan, écrit par Ko Hong dans la première moitié du IVe siècle de notre ère, raconte les légendes qui avaient cours parmi les adeptes du taoïsme religieux et qui faisaient de Lao tseu un personnage mythique; entre autres, plusieurs versions de sa naissance miraculeuse, dont une au moins est influencée par la légende de la naissance du Bouddha : sa mère le porta dans son sein pendant soixante-douze ans; au moment de sa naissance, il sortit en fendant le flanc gauche de sa mère. Une autre légende prétend donner une explication de son nom de famille Li : sa mère le mit au monde au pied d’un prunier (li); Lao tseu, qui sut parler en naissant, désigna le prunier en disant : que ceci soit mon « sing » (nom de famille). Ko Hong n’accepte cependant pas ces légendes, car pour lui Lao tseu fut un grand taoïste, un grand maître de diététique, mais non un personnage divin. La divinisation de Lao tseu, cependant, était déjà ancienne : elle commença dès l’époque des Han postérieurs, au IIe siècle de notre ère. A ce moment, Lao tseu recevait déjà un culte au lieu supposé de sa naissance (à K’ou-hien), ce qui incita un empereur à y offrir des sacrifices officiels en 165. C’est alors que Lao tseu commença à prendre l’aspect d’un démiurge (l’univers est le corps de Lao tseu); puis il fut assimilé au Tao lui-même, identification qui devint peu à peu l’idée centrale de la religion taoïste. Enfin, sous l’influence de la théologie bouddhique, on en vint à distinguer la personnalité authentique de Lao tseu (devenu Lao kiun) qui est l’essence immatérielle et imperceptible du Tao, et les apparences sensibles qui ne sont que le Tao (et Lao tseu) en quelque sorte incarné et multiplié. A ce stade, Lao tseu est présent dans tous les hommes; il est devenu un principe métaphysique. L’importance accordée à Lao tseu à partir des seconds Han, qu’on l’ait transformé en divinité ou qu’on se soit contenté de voir en lui le fondateur de la religion, a permis au taoïsme de trouver l’unité qui lui manquait. En effet, encore à la fin des Han, le taoïsme n’existait point en tant que doctrine unifiée; à ce moment, il y avait de nombreuses branches et écoles qui n’avaient pas beaucoup de points communs, et qui chacune prétendait être le Tao (la Voie, la Méthode) pour parvenir à l’immortalité. L’unité se fit autour de Lao tseu.

Lao-Tseu (v. vie-ive siècle av. J.-C.) ; philosophe chinois.
Donner des précisions sur la vie du grand philosophe chinois L., « le vieux maître », est aussi difficile que de déchiffrer la signification de nombreux paragraphes du Tao-tö King, Le Livre de la Voie et de la Vertu, le livre qui contient sa doctrine. Sseu-ma Ts’ien le grand historien de l’époque Han, mort vers 90 avant J.-C., en fait un contemporain, plus âgé, de Confucius. D’autres savants croient qu’il a vécu au IVe siècle avant J.-C. S’il n’est pas un personnage légendaire il aurait pu être archiviste à la cour des Chou. Il avait été l’un des hommes les plus cultivés de son temps mais, à la fin de sa vie, il se retire de la vie publique et se dirige vers l’Occident, monté sur un boeuf, selon la tradition. Celle-ci ajoute que, avant de quitter le pays, sur la demande du gardien de la frontière, il consigne sa doctrine dans le Tao-tô King. Ce récit respire l’esprit taoïste, qui se dégage aussi du Tao-tô King et se distingue nettement des dogmes du confucianisme. Comme remède aux problèmes sociaux et au chaos politique de leur époque, L., tout autant que Confucius, propose l’exercice du « Tao » , mais tandis que le Tao se manifeste pour Confucius sous la forme d’un ordre social strict, dans lequel chacun a sa place et ses devoirs à remplir pour conquérir la paix, L. fait commencer ses commandements par la constatation que le « Tao dont on peut parler n’est pas un Tao absolu ». Il continue en disant que toutes les choses ne peuvent être réglées que par «l’activité passive», c’est-à-dire par l’absence d’action. Il ne croit pas que l’humanité puisse atteindre le bonheur tant qu’elle sera gouvernée. La paix et l’harmonie ne lui semblent garanties que si on laisse toutes les choses suivre leur propre cours, tandis que Confucius engage chacun à s’en tenir à ses droits pour atteindre ce but. L. ne se contente pas de prêcher « l’absence d’action » ; il réclame « l’absence d’être » en prenant comme exemple la cavité creuse d’un récipient d’argile, les interstices entre les rayons d’une roue, les ouvertures des portes et des fenêtres, et l’intérieur des maisons. Leur vide est justement ce qui rend ces choses utiles. Ainsi l’homme doit se débarrasser de ses désirs et devenir passif. Il justifie sa théorie selon laquelle la passivité est supérieure à l’activité, la douceur à la dureté, la faiblesse à la force, en se référant à l’eau, « car rien n’est plus faible, plus doux et plus souple qu’elle, et pourtant, il n’y a rien qui soit supérieur à l’eau pour pénétrer et attaquer ce qui est dur ». Cette doctrine ne concerne pas seulement l’individu, elle est aussi applicable aux gouvernements. Ainsi L. prétend que le nombre des pauvres dans l’État augmente avec le nombre des interdictions, comme celui des voleurs et des brigands avec celui des lois. La position des taoïstes vis-à-vis de l’ordre social traditionnel est si négative qu’on est guère étonné de voir leur peu d’influence sur l’histoire chinoise. Mais l’attrait du taoïsme pour l’individu est si fort qu’il est devenu, avec le confucianisme et le bouddhisme, ce que l’on appelle une des « trois grandes religions » de la Chine. Le Chinois est souvent confucianiste et taoïste en même temps, aussi opposées que puissent être les deux doctrines. En tant que membre de la société dans laquelle il vit, il peut agir et penser en confucianiste, mais être taoïste en tant qu’individu, surtout quand il a peu de réussite dans sa vie extérieure. Le taoïsme a aussi un autre aspect, celui de la magie et de la superstition. Cet aspect a eu une grande influence sur les classes inférieures en Chine ; certaines personnes croient que la réticence des Chinois à l’égard de la science et de la technique moderne est issue de ces racines taoïstes considérées par les confucianistes comme vulgaires. Au XIXe siècle, le taoïsme est devenu à la mode en Europe, un peu comme le confucianisme au XVIIIe siècle, et une centaine de versions du Tao-tô King environ ont paru dans diverses langues. Si on les comparait, on aurait peine à croire qu’elles se réfèrent au même original, étant donné la richesse et la variété des interprétations auxquelles se prête le testament de L.


♦ « Lao tseu, écœuré par la déchéance morale que l'éducation exige, en revient à la vie simple et naturelle de l'enfant. Le nouveau-né qui ne peut encore distinguer le bien et le mal, qui est encore un « pur insensé », est l'image qu'il aime à donner de la bienheureuse absence de culture... Lao tseu n 'a pas vécu seulement pour la Chine et pour son époque; il est un des maîtres les plus purs et les plus profonds de l'humanité. » E.V. Zenker.

Mouvement philosophique et religieux qui a exercé une influence presque aussi grande que le confucianisme dans l'histoire et la civilisation chinoises. Son fondateur serait Lao-tseu (* 604 ?, † 517 av. J.-C.), auquel on attribue l'ouvrage intitulé Tao-tö king. À la différence de Confucius, qui rompait avec les anciennes préoccupations théologiques et magiques pour ne s'intéresser qu'aux problèmes pratiques de l'homme dans la famille et la société, les taoïstes abandonnent l'humanité à ses vices et à ses crimes, renoncent aux intérêts et aux passions terrestres et recherchent l'identification par l'extase à la grande énergie du monde, l'Absolu impersonnel, le Tao. L'indifférence souveraine est l'attitude caractéristique du sage taoïste, qui enseigne une morale du non-agir (wouwei). Mais le taoïsme, qui avait été à l'origine une mystique d'ermites et de solitaires, ne tarda pas à dégénérer en une religion constituée de pratiques magiques, censées assurer aux fidèles l'immortalité par la participation au Tao éternel. C'est sous cette forme que le taoïsme fut à la mode à la cour des Han (Ier s. av. J.-C./IIe s. apr. J.-C.). Le plus fameux des magiciens de la secte fut alors Tchang Taoling († 156), dont les descendants, auxquels il aurait transmis ses secrets, portèrent le titre de Maître du Ciel jusqu'en 1926. Au IIe s. de notre ère, un autre magicien taoïste, Tchang Kio, se mit à annoncer l'avènement prochain de la Grande Paix et déclencha en Chine orientale le grand mouvement populaire des Turbans jaunes, qui mit en danger le pouvoir impérial. Taoïsme et bouddhisme exercèrent l'un sur l'autre une influence réciproque : c'est par l'intermédiaire des concepts taoïstes que le bouddhisme, exportation indienne, put s'acclimater en Chine ; mais, pour résister à la rivalité du bouddhisme, le taoïsme acheva de se transformer en une véritable religion, avec ses dieux, ses génies et ses saints, son code moral, ses pénitences et ses enfers, son clergé et ses moines.

LAO-TSEU ou LAOZI (v. 570-v. 490 av. J.-C.). Philosophe chinois fondateur d'une religion, le taoïsme ; sa biographie est en grande partie légendaire.

Lao Tseu signifie « Maître Lao » ou « Vieux Maître ». Représenté comme un vieillard à la barbe blanche, ce sage chinois serait né dans le royaume des Zhou vers 600 avant Jésus-Christ. On lui attribue le livre de la Voie et de la Vertu ou Dao De Jing, un texte majeur du taoïsme.

Lao-Tseu, contemporain de Bouddha, est considéré comme le fondateur du taoïsme et l'un des personnages mythiques de la Chine
ancienne. On sait très peu de choses sur sa vie. Le tao vise à épurer l'homme et à le conduire vers la juste voie et la vertu. L'une de ses doctrines principales est celle du non-agir qui doit inciter l'humain à ne pas dépenser d'énergie inutilement et à se détacher des désirs i encombrants.

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