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La violence (fiche de révision)

La violence

• Distinguez bien la force de la violence, dont le sens philosophique est généralement profondément opposé. • Le problème essentiel soulevé dans ce chapitre est celui des sources de la violence. Elle relève, en fait, d'une multiplicité de fondements, fort bien dégagés par Hegel (§ 2), Freud (§ 3) et Sartre (§ 4). • Il existe une bonne et une mauvaise violence : la violence est profondément ambiguë (§ 5 et 6). • La guerre n'échappe nullement à cette ambiguïté inhérente à toute violence : elle est parfois simultanément négative et constructive (§ 7).

I - Force et violence

Le mot «force», dans son usage courant, a mauvaise réputation : la force est bien souvent conçue comme contrainte, voire comme brutalité. Mais elle est aussi, en son sens philosophique fondamental, énergie et maîtrise de soi (songeons, par exemple, à la fermeté stoïcienne). C'est pourquoi, envisagée comme principe de puissance et d'action, comme déploiement de la volonté souveraine, la force doit être distinguée de la violence, cette puissance déchaînée, non maîtrisée par la raison et le discours, cette impatience dans le rapport à autrui, qui choisit le moyen le plus court pour forcer l'adhésion. La violence diffère profondément de la force : c'est une puissance corrompue, à base de colère, par laquelle j'exerce une contrainte sur autrui, de telle sorte qu'il exécute et réalise ce qui est cependant contraire à sa volonté et à ses fins. Ainsi la violence se situe-t-elle à l'opposé de la force, cette maîtrise du vouloir, puisqu'elle refuse de convaincre par persuasion pour contraindre l'interlocuteur.

II - Les causes de la violence

a - La lutte à mort des consciences Quelles sont les sources de la violence? Loin de privilégier un facteur unique, nous trouvons des fondements multiples - essentiellement trois métaphysique, psychologique et historique - qui s'additionnent et convergent. La violence se comprend, tout d'abord, sur le plan philosophique, à partir du mouvement des consciences de soi opposées. Comme le note Hegel, chaque conscience poursuit et veut la mort de l'autre. C'est cette lutte à mort en vue de la reconnaissance qui forme un des noyaux des relations humaines. Sans ce conflit de pur prestige, sans cette interrelation de violence en vue de dominer l'autre, la conscience humaine ne pourrait s'engendrer. La violence crée, par conséquent, le moi, mais aussi le processus historique. Hegel enracine ainsi la violence au plus profond de l'homme et de l'univers. Non seulement elle traduit la négativité inscrite en tout être humain, ce «travail du négatif» par lequel nous détruisons et, en même temps, construisons, mais elle exprime le jeu des contraires, le conflit des opposés, la dialectique' de l'univers mobile, changeant, en perpétuel devenir. «... l'homme ne peut se réaliser et se révéler pleinement, c'est-à-dire se satisfaire définitivement, que par la réalisation d'une Reconnaissance universelle. Or si, d'autre part, il y a une pluralité de ces désirs de Reconnaissance universelle, il est évident que l'action qui naît de ces Désirs ne peut être - du moins de prime abord - rien d'autre que Lutte pour la vie et la mort. Une lutte, puisque chacun voudra soumettre l'autre, tous les autres, par une action négatrice, destructive. » (A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, NRF, 1947)

III - Les causes de la violence

b - L'agressivité selon Freud La psychologie et la psychanalyse confirment, dans l'ensemble, l'analyse de Hegel. Freud, aux environs des années 20, a réfléchi sur la violence enfouie dans le coeur de l'homme, soulignant l'existence d'instincts de mort dirigés vers soi-même ou vers autrui : il est possible, a-t-il montré, de mettre en évidence une agressivité naturelle à l'homme, consubstantielle à lui-même. Ainsi, Malaise dans la civilisation (1929) étudie soigneusement ces pulsions d'agression et de mort. C'est un noyau de haine que Freud discerne au coeur même de l'homme. «Tu aimeras ton prochain comme toi-même», proclame le christianisme, qui s'est emparé de la maxime de la société civilisée. Étrange formule ! Elle semble, en vérité, bien étrangère à l'esprit de notre monde, qui charrie davantage la haine que l'amour. Homo homini lupus! Nous pouvons déceler sans difficulté, en nous-mêmes et en autrui, une tendance à l'agression, facteur principal de perturbation dans les rapports intersubjectifs et dans les sociétés humaines globables. «L'homme n'est point cet être débonnaire, au coeur assoiffé d'amour, dont on dit qu'il se défend quand on l'attaque, mais un être, au contraire, qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d'agressivité. Pour lui, par conséquent, le prochain n'est pas seulement un auxiliaire et un objet sexuel possibles, mais aussi un objet de tentation. L'homme est, en effet, tenté de satisfaire son besoin d'agression aux dépens de son prochain, d'exploiter son travail sans dédommagements, de l'utiliser sexuellement sans son consentement, de s'approprier ses biens, de l'humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus : qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l'histoire, de s'inscrire en faux contre cet adage?» (Freud, Malaise dans la civilisation) Cette agressivité ne se confond certes pas avec la violence, mais elle semble bien la matrice originelle de la violence, le terrain prédisposant à toute contrainte morale ou physique.

IV - Les causes de la violence

c - La rareté (Sartre) La violence ne relève pas seulement de causes naturelles, mais bien aussi de facteurs historiques, qui peuvent exacerber une agressivité en quelque sorte consubstantielle à la psyché humaine. Ainsi, dans la Critique de la raison dialectique, Sartre a-t-il analysé la violence dans la perspective de l'histoire. Tous les besoins de l'homme ne peuvent, en effet, être satisfaits. Les matières premières, nécessaires à la reproduction de la vie, sont sur notre globe en quantité limitée et insuffisante. Cette rareté et cette pénurie constituent une donnée de base de notre existence historique. Or, même quand cette rareté tend à disparaître ou à s'effacer de notre champ historique, elle continue à hanter profondément le coeur de l'homme, angoissé par le manque millénaire toujours possible. Cette angoisse, profondément intériorisée en nous-mêmes, est la source fondamentale de la violence. L'Autre est, en puissance tout au moins, celui qui peut me voler mes biens disponibles. Cette hantise gît au plus profond de nous, même chez le riche qui jamais ne souffrira de la pénurie. « Dans la pure réciprocité, l'Autre que moi, c'est aussi le même. Dans la réciprocité modifiée par la rareté, le même nous apparaît comme le contre-homme en tant que ce même homme apparaît comme radicalement Autre (c'est-à-dire porteur pour nous d'une menace de mort). » (Sartre, Critique de la raison dialectique, Gallimard, 1960)
V - Ambiguïté de la violence
Ainsi, la violence semble profondément enracinée en nous, sous l'effet d'une multiplicité de facteurs. C'est une donnée de fait de notre existence. Mais quelle est sa valeur? Il semble bien qu'il ne faille pas nécessairement la condamner, sous peine de préférer les idées abstraites aux réalités. En vérité, la violence est ambiguë. Ce qui paraît condamnable sans retour, inconditionnellement, c'est la violence nue, gratuite, celle qui donne naissance au monde de la terreur, de la raison du plus fort, à l'écart de toute valeur profonde : ce mouvement démesuré, illimité, bafoue la rationalité et la justice. Mais toute violence ne se ramène pas à la loi du plus fort. Ce qui est hors humanité, c'est la violence réduite à elle-même, ce désespoir de l'humain « Réduite à elle-même, la violence est absurdité pure, désespoir de l'humain. Le légionnaire romain tue Archimède; le milicien nazi massacre le savant juif, l'artiste non conformiste... La faiblesse de la violence nue est si évidente qu'elle doute de soi : chaque régime de force cherche, par tous les moyens, au besoin en se mystifiant lui-même, à s'autoriser en se référant à une instance qui le dépasse. » (G. Gusdorf, La vertu de force, PUF, 1956)

VI - La violence « constructive »

Si cette violence-ci est pure négativité, d'autres formes de violence se manifestent, plus positives et plus constructives. Ainsi, la violence que décrit Hegel est édificatrice : elle est à l'origine de la conscience et de l'histoire humaine. Mais on pourrait également parler, dans la perspective marxiste de la lutte de classes, d'une violence révolutionnaire, accoucheuse de toute nouvelle société. La violence représente alors l'effort brutal et l'effet de contrainte inévitable de toute classe sociale désireuse de s'émanciper, de se dégager d'un pouvoir révolu en détruisant des formes politiques figées et mortes.

VII - La guerre

La guerre, emploi quasi illimité de la force entre deux sociétés dont l'une impose finalement sa loi, est, elle aussi, porteuse de l'ambiguïté de la violence. Les destructions, les souffrances sans mesure qu'elle entraîne, représentent l'aspect évident de cette négativité. Mais les guerres sont également porteuses de création. Des nations sont nées de la guerre : la nécessité de se faire reconnaître par d'autres nations s'est, en effet, imposée à des groupes historiques tout entiers. Tel est le cas des États-Unis d'Amérique ou de l'Allemagne de Bismarck, par exemple. La guerre peut également être rendue nécessaire par la défense de certaines valeurs liées à la personne humaine ou à la société. Elle peut alors être considérée, sous cet angle, sinon comme «juste», du moins comme justifiable. Solution de désespoir, la guerre reste perçue comme le mal absolu et cependant inhérent aux sociétés humaines, ainsi qu'en témoigne la guerre permanente que l'on constate de nos jours sur tout le globe.

Conclusion: La violence, moyen parfois nécessaire
L'étude de la violence conduit essentiellement à distinguer la violence comme négativité et la violence constructive et fondatrice, véhiculant des valeurs, édifiant des institutions nouvelles. Il ne faut pas confondre la violence pure et «la violence en tant que moyen, parfois nécessaire, d'une politique rationnelle.» (R. Aron, Histoire et dialectique de la violence, NRF, 1973)

SUJETS DE BACCALAURÉAT

- Y a-t-il des guerres justes ? - Le discours peut-il abolir la violence? - La guerre est-elle absurde? - La violence a-t-elle un rôle dans l'histoire? - La liberté peut-elle s'affirmer sans violence? - La violence peut-elle avoir raison ? - L'ordre politique exclut-il la violence? - Est-il juste de combattre la violence par la violence? - Peut-on faire la paix?




L'homme, en général, n'aime guère la violence, si ce n'est comme spectacle ou comme récit. Certains soutiennent cependant que la violence est partout dans notre monde et que certaines violences sont nécessaires et légitimes.

I. NATURE ET FORMES DE LA VIOLENCE

- A - Définitions. On appelle violence, en droit civil, une action telle qu'«elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent» (Article 1112 du Code civil); c'est une cause de nullité des contrats. Il y a, en effet, dans l'idée de violence, deux aspects : d'une part, en général, l'idée d'une force puissante et redoutable (une violente tempête); d'autre part, sur le plan humain, l'idée d'un «emploi illégitime ou du moins illégal de la force» (Lalande). Le problème est précisément de savoir si l'emploi de la violence, ordinairement considéré comme illégal, n'est pas quelquefois légitime (violence révolutionnaire). On peut aussi se demander s'il n'y a pas une forme de violence qui se développe à l'abri des lois (violence institutionnelle).
- B - La violence révolutionnaire. Ceux qui veulent changer la société se divisent en réformistes et révolutionnaires. Les premiers pensent qu'on peut y parvenir par des changements réalisés dans le cadre des institutions existantes ; les seconds soutiennent qu'il faut renverser ces institutions par la violence. Bien que le marxisme soit d'esprit révolutionnaire, il n'exclut pas la possibilité d'un passage sans violence de la société capitaliste à la société communiste. En revanche, Georges Sorel (Réflexions sur la violence, 1908) soutient que «la violence éclairée par l'idée de grève générale» peut seule faire triompher le socialisme (les travailleurs, dit-il, doivent « barrer le chemin aux corrupteurs bourgeois en répondant à leurs avances par la brutalité la plus intelligible»).
- C - La violence institutionnelle. On justifie volontiers, aujourd'hui, la violence révolutionnaire en disant qu'elle ne fait que répondre à une forme camouflée de violence exercée par les classes dominantes et qu'on peut appeler violence institutionnelle. C'est ainsi que pour J.-P. Sartre, par exemple, il y a toujours un élément de violence dans toute loi établie, à laquelle le révolutionnaire doit opposer une autre violence, moralement supérieure, puisqu'elle vise à instaurer un ordre d'où la violence aura disparu. De même L. Althusser estime que l'État bourgeois exerce une double violence : d'une part, ouvertement, par l'intermédiaire de son appareil répressif (Armée, Police, Tribunaux, etc...), d'autre part, plus profondément, par l'intermédiaire de ses appareils idéologiques, l'École notamment, qui modèlent les consciences. On peut ajouter qu'il existe aussi, du moins dans certains pays, des appareils idéologiques de destruction de l'État (AIDE...) qui constituent une autre forme de violence.

II. PROBLÈMES

- A - La violence est-elle juste ? Aux yeux de la morale classique, la violence est évidemment injuste, puisqu'elle ne respecte pas la dignité de la personne humaine. Mais dans une perspective que l'on pourrait qualifier de pragmatiste et qui évalue le bien et le mal en fonction des résultats de l'action, on peut évidemment condamner la violence institutionnelle et approuver la violence révolutionnaire, la première ayant pour effet de maintenir l'homme en esclavage et la seconde visant à le libérer. Cela suppose évidemment que la fin justifie les moyens et l'on peut toujours se demander s'il est raisonnable de viser une fin en employant des moyens qui lui sont contraires (la violence pour parvenir à la non-violence, la guerre pour parvenir à la paix).
- B - La violence est-elle efficace ? Laissant de côté le problème moral, on peut en effet observer : 1) que la violence est par elle-même contraire à la raison : libérer la violence, c'est libérer des forces aveugles et aveuglantes dont nul ne sait si on pourra en reprendre le contrôle; 2) que la violence engendre la violence : la répression du terrorisme tend inévitablement à se faire terroriste et déclenche une escalade dans la violence qui est sans fin; 3) que la violence ne résout rien : aucun problème de droit ne peut être réglé par la force ; ce que le vaincu est obligé d'accepter, il le remettra en question dès qu'il apercevra la possibilité de sortir vainqueur d'une nouvelle épreuve de force ; il n'y a de solution par la violence que si l'on va jusqu'à l'extermination totale de l'adversaire (la «solution définitive» de Hitler).
- C - La violence est-elle nécessaire ? L'efficacité de la violence est donc douteuse et Léon Blum remarquait que «la nature impose après coup aux révolutions les délais qu'aurait exigés une évolution régulière» (A l'échelle humaine). Mais le recours à la violence n'est pas toujours utile : comme l'avait noté Comte, la puissance de l'homme est d'autant plus grande qu'elle s'exerce sur des phénomènes plus complexes, ce qui veut dire que dans l'ordre social de petits changements peuvent avoir des répercussions considérables. Il ne faut pas oublier, d'autre part, que l'opinion publique, lorsqu'elle peut s'exprimer, est finalement toute-puissante et que le vrai problème est donc celui de la liberté de pensée et d'expression.

CONCLUSION La violence qui croit s'exercer contre un ordre social déterminé est, en réalité, destructrice de tout ordre et finalement de l'humanité même. On ne remarque pas assez que la non-violence est plus efficace que la violence et qu'elle suppose à la fois plus de générosité, plus de courage et plus de raison.



NON-VIOLENCE Attitude de résistance (à l’oppression, à la colonisation, au pouvoir, etc.) qui refuse l’exercice de la violence et s’appuie sur une maîtrise de soi s’ouvrant en amour de l’humanité et comptant sur sa force de contagion.

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