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La terre est ronde ? Armand SALACROU, 1938

• Drame en trois actes. L'action se déroule à Florence au moment où Colomb vient de découvrir le Nouveau Monde. Dans la ville des Médicis, où, sous Laurent le Magnifique, a triomphé le culte du plaisir et de la beauté, un moine dominicain, frère Jérôme Savonarole, dénonce les dépravations dont souffre l'Église, prêche contre le pape Alexandre VI Borgia, élu en 1492, s'empare du pouvoir au nom de Dieu et instaure la dictature du Christ-Roi afin de sauver les hommes du péché (1492). • Le premier acte peint la fièvre qui brûle la ville pendant le carnaval : le moine Fra Mariano et les honorables veuves Dame Margherita et Dame Clarisse ne songent qu'à la galanterie; le marchand Minutello oppose vainement à ses filles Faustina et Lucciana des principes qu'il ne suit pas lui-même; le jeune Silvio le lui prouve cruellement en l'amenant à faire la cour à Faustina que dissimule un masque (I,1 et 2). Cependant, frère Jérôme fait voeu dans sa cellule de sauver les Florentins de l'enfer (I, 3). Deux mois plus tard (I, 4), il a commencé d'établir son autorité. Faustina s'est enfuie à Rome où elle est la maîtresse d'un cardinal, tandis que Lucciana résiste mal aux entreprises de Silvio. Au deuxième acte, l'ordre moral s'installe. Silvio, converti, a revêtu le froc (II, 1). Il mène les perquisitions au nom de Dieu, et vient tourmenter Lucciana qui est mariée au pharmacien Manente (II, 3). Le troisième acte montre comment le fanatisme corrompt l'oeuvre de Savonarole. La ville est terrorisée et excédée. Faustina, revenue de Rome, raille la foi de Silvio au nom du bonheur terrestre, et pousse Fra Mariano à défier Savonarole de s'offrir au jugement de Dieu sur le bûcher. (Si Dieu l'approuve, les flammes ne le brûleront pas.) Silvio prétend relever le défi et le crie dans la rue (III, 1). Savonarole se sent condamné par cette exigence de miracle (III, 2). La foule le renie en effet, et la scène finale le montre en prison face au bourreau qui torturait jusqu'alors en son nom. (Il périt ainsi en 1498.) • En 1938, le public a voulu voir dans la dictature de Savonarole des allusions aux dictatures fascistes. Niant toute intention politique, Salacrou a repris à son compte les propos d'un critique qui avait reconnu dans sa pièce l'angoisse d'un problème éternel, celui de la lutte entre la chair et l'esprit, Dieu et le péché.


SALACROU Armand. Auteur dramatique français. Né à Rouen le 9 août 1899. Etudes au lycée du Havre avec Georges Limbour et Jean Dubuffet. Fervent lecteur du « Catéchisme républicain », il refuse de faire sa première communion. A 15 ans, déjà amateur de tableaux, il achète son premier Dufy pour 1 F. 25; quelques années plus tard, il achètera son premier Modigliani pour 20 francs. En 1916, L’Humanité publie L’Eternelle chanson du gueux, un conte suggéré par la vision misérable des émigrants en gare du Havre. L’année suivante, il fonde « Les Jeunesses socialistes » du Havre. Devenu externe des Hôpitaux de Paris, il entre à L’Humanité et lance le concours « Quel est le plus mauvais patron de Paris ? » (Réponse : Louis Renault). Il abandonne définitivement la médecine pour passer une licence de philosophie, suivie d’un diplôme d’études supérieures avec un mémoire sur Benedetto Croce (juillet 1921), puis il prépare une licence en droit. En 1925, il entre aux « Ciné-Romans » dans l’espoir de devenir assistant de cinéma. En mai 1929, il lance sa première campagne publicitaire : il imagine de faire passer la publicité qui se trouvait alors en dernière page des journaux, en troisième page, au milieu des informations et sous la forme de faux faits divers qui sont ainsi lus de tout le monde. Le succès est fulgurant. Auteur dramatique célèbre, il est élu à l’Académie Goncourt le 6 janvier 1949. Une inquiétude qui semble témoigner d’une prise de conscience de la difficulté d’être tourmente Salacrou et accompagne toute son œuvre. « Il n’y a qu’un scandale, un seul. La vie, l’existence » (L’Archipel Lenoir , 1946). Spirituellement en avance sur son époque, le théâtre de Salacrou annonce les grandes intuitions d’un Queneau, d’un Sartre ou d’un Camus. Tour à terre, sa première pièce, est créée à « L’Œuvre » : échec monumental la veille de Noël (1924); il en est de même avec Atlas-Hôtel (1931), Patchouli (1930), Les Frénétiques (1935) mais Dullin a pris l'engagement de jouer les cinq pièces suivantes de son auteur. Il lui faut attendre Une Femme libre (1934) pour connaître enfin le succès — que confirma l’année suivante L’Inconnue d’Arras . Son théâtre repose sur une extrême liberté. Tantôt il se joue des surprises du temps et de l’espace, quitte à risquer le succès de la pièce sur un malentendu (La Terre est ronde 1938), tantôt il effectue des ballets psychologiques (Le Pont de l’Europe, 1919). Une contradiction domine presque toute l’œuvre de Salacrou : le besoin de Dieu et l’impossibilité d’y croire. Il le rend responsable du destin indigne de l’homme car Dieu, dit-il, n’est que « l’autre nom du silence terrible dans lequel nous vivons ». Les personnages recherchent alors les certitudes enfantines et l’amour. Mais pourront-ils donner un sens à l’existence ? La Rue noire, publiée en 1967, qui paraît être le testament spirituel de Salacrou, réunit en elle tous les thèmes de l’auteur. C’est la fin de la quête. Elle débouche sur le néant que le jeune homme du Casseur d’assiette (1924) entrevoyait vaguement au terme de la vie. Pourtant, malgré leur mal de vivre, il y a chez les personnages de Salacrou une volonté positive, une acceptation de la vie malgré tout. Cette attitude naît probablement de la foi de l’auteur dans un déterminisme mécaniste qui, selon lui, peut donner le calme nécessaire et permettant de vivre. Ce n’est pas une solution mais un abri où l’on peut se réfugier pour supporter la naissance, la vie, la mort : un jugement amer sur l’humanité.

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