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La planète devrait compter 25 mégapoles de 7 à 25 millions d’habitants en 2025

La planète devrait compter 25 mégapoles de 7 à 25 millions d’habitants en 2025 La planète regroupait 45 % d’urbains en 1995 ; elle en comptera 55 % en 2015. Ce basculement symbolique s’accompagne d’un impressionnant processus de concentration de la population dans les très grandes agglomérations. Une part importante du milliard de nouveaux citadins attendus dans le prochain quart de siècle vivra dans les vingt-cinq mégapoles de 7 à 25 millions d’habitants que la planète devrait compter en 2025. Les trois quarts d’entre eux vivront dans les pays du Sud. Parler d’« explosion » urbaine masque cependant la réalité d’une décrue. Le temps de doublement de la population des mégapoles les plus dynamiques, qui était inférieur à dix années au début des années 1980, se situait à la fin des années 1990 entre quinze et vingt ans. Le croît naturel interne l’emporte désormais sur l’apport migratoire, tandis que l’on constate une relance du dynamisme des villes petites et moyennes. Les figures statistiques de l’urbanisation mettent en évidence la diversité croissante d’une planète urbaine où s’opposaient naguère Nord et Sud. Dans bon nombre de mégapoles latino-américaines, un mode d’urbanisation « mature » caractéristique des grandes villes du Nord en voie de vieillissement se substitue progressivement au mode d’urbanisation en expansion qui demeure l’apanage de l’Afrique et de l’Asie. Mais, partout, les villes dévorent leur espace environnant sans logique apparente. Les mutations morphologiques subies par l’aire métropolitaine de Bangkok (plus de 150 000 ha pour une dizaine de millions d’habitants) au cours des deux dernières décennies du xxe siècle ont complètement brouillé les figures spatiales classiques de l’urbanisation. Mégapoles et villes moyennes se structurent autour de « non-lieux » tels qu’aéroports, banlieues dortoirs sans architecture ni urbanisme, supermarchés et échangeurs d’autoroutes. La réalité de l’espace urbain, qui croît sans règle ni mesure, échappe largement à la vue des privilégiés retranchés dans quelques îlots d’opulence de la banlieue résidentielle ou occupés à réinvestir l’hypercentre avec ses consommations sophistiquées. Le contraste s’accuse entre extrême richesse et extrême pauvreté. De Houston à Chicago, de Los Angeles à New York, la tuberculose gagnait du terrain dans les quartiers déshérités au début des années 1990. Dans les barriadas de Lima ou les bustees de Calcutta, la pauvreté n’est en revanche pas nouvelle, et ses manifestations extrêmes conduisent à douter qu’elle constitue vraiment un « progrès » par rapport à la misère rurale. Ce qui frappe, au cours des deux dernières décennies du siècle, c’est la brutalité des phénomènes de paupérisation. Entre bidonvilles et bunkers, la ville éclatée Cette montée spectaculaire de la pauvreté s’accompagne d’un creusement non moins impressionnant des inégalités. Le fossé qui sépare riches et pauvres hypothèque toute chance de communication entre eux et, à défaut de solutions adéquates favorisant la mixité spatiale et sociale, cette évolution est lourde de risques d’ébranlements. En lieu et place d’une recherche de cohésion sociale, la violence (celle des pauvres et aussi celle faite aux pauvres) s’installe au cœur du débat social avec une intensité et dans des configurations variables selon les villes. Partout également sont à l’œuvre des recompositions sociales et identitaires profondes, mais c’est sans doute en Afrique subsaharienne qu’elles ont été les plus rapides. Confrontées aux difficultés économiques et aux nouveaux modes de vie urbains, les anciennes solidarités familiales et communautaires fonctionnent de moins en moins bien. De leur côté, les femmes, que l’on trouve de plus en plus souvent en position de chef de ménage, s’en sortent plutôt moins mal que les hommes. Les étrangers et les minorités de toutes sortes sont désignés comme victimes expiatoires face aux difficultés à vivre la mégapole. Rien ne semble susceptible d’inverser la tendance à l’éclatement de la ville en une somme de territoires étanches fortement autocentrés sur l’expression de cultures propres. Les métropoles où se concentrent les pouvoirs économiques et financiers et les villes qui ne puisent pas leur dynamique interne dans la production ont-elles un avenir ? Mike Davis décrit un Los Angeles peuplé de nantis prompts à criminaliser la pauvreté. À Waterford Crest, non loin de Los Angeles, mais aussi à Alphaville dans le grand São Paulo ou dans les condominiums de Bangkok, la société de contrôle se met en place progressivement avec architectures sécuritaires et milices privées. La forme achevée de cette société urbaine est celle du bunker protégé de la planète des sans-abri et de l’habitat précaire où campent les « nouveaux barbares ». Quelle citoyenneté pour quelle « citadinité » ? Les recettes de la « bonne gouvernance urbaine » s’apparentent à celle du pâté d’alouette. Balançant entre polarité sociale et polaritééconomique, entre le « tout quartier » et le « tout marché », les politiques de la ville peinent à trouver leurs marques. Réduits à leurs dimensions technique, juridique et financière, les problèmes de la ville sont en quelque sorte exclus du champ politique. Et que dire lorsque cette politique se résume à une juxtaposition d’interventions sectorielles financées de l’extérieur dans le cadre d’un pilotage à vue pour le moins chaotique. Le Dr Maluf, maire de São Paulo entre 1992 et 1996, fit le choix de coller au modèle du city manager. Sacrifiant les investissements sociaux engagés par son prédécesseur, il éventra littéralement le centre-ville, comme si l’entrée convoitée dans le cercle fermé des « villes globales » passait par l’investissement dans le béton. Antanas Mockus, maire de Bogota entre 1994 et 1997, séduisit les électeurs en empruntant une voie radicalement différente. Dans une des mégapoles les plus violentes du monde, il entreprit une campagne spectaculaire de « rééducation citoyenne », oubliant au passage de s’occuper concrètement de déchets, d’eau potable et de transports. On s’interrogera sur la finalité d’un tel discours qui, tout en identifiant des problèmes réels comme celui de l’incivilité, place les populations exclues dans une position de responsabilité qu’elles ne sont évidemment pas en mesure d’assumer. Faut-il se résigner à une impuissance définitive de l’action publique sur la ville ? Le « mouvement brésilien de la réforme urbaine » a heureusement ouvert une fenêtre en prônant un nouveau partage de la ville, conçu et mis en pratique grâce à l’engagement effectif des citadins-citoyens. En permettant aux habitants d’intervenir directement dans les choix gestionnaires, l’expérience de « budget participatif » de Porto Alegre combine de manière originale démocratie représentative et démocratie participative. On peut toutefois s’interroger sur la compatibilité entre un tel projet urbain et la volonté affichée par ses édiles de faire de cette ville une vitrine de la mondialisation à l’échelle latino-américaine. Convaincus de son caractère irréversible et intrinsèquement lié à la mondialisation, la plupart des responsables se contentent d’aménager l’exclusion ou d’en atténuer les manifestations les plus scandaleuses. Or l’invention d’une nouvelle civilisation urbaine passe par la prise en considération d’une question majeure : celle de la démocratie et de la construction d’un nouvel espace public. Faute de quoi, les scénarios de « fin de l’âge urbain » où les « nouveaux barbares » submergent les ghettos de l’infime minorité placée aux postes de commande s’inscriront dans la réalité.

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