Databac

La mondialisation, toile de fond des replis identitaires

La mondialisation, toile de fond des replis identitaires La montée du fait national paraît s'imposer comme une évidence. S'agit-il d'une valeur immuable qui imposerait sa marque à l'Histoire, ou est-ce plutôt, dans une période de transition, une recherche de nouvelles formes d'identité? Le fait national paraît aujourd'hui bien différent de la question des nationalités du XIXe siècle, ainsi que du mouvement des libérations nationales qui a porté la décolonisation. Cela apparaît d'autant plus net si on analyse ce mouvement dans le contexte de la mondialisation qui domine cette fin de siècle. La mondialisation est une tendance lourde, prenant la forme aujourd'hui de l'extension et de la primauté du marché mondial et d'abord du marché mondial des capitaux. Les formes d'organisation très avancées du capital que sont les firmes multinationales en ont balisé et organisé le champ. La mondialisation est la forme majeure de la nouvelle modernité. C'est par elle que passent la modernisation économique et sociale, l'accès aux nouvelles technologies, les nouvelles façons de produire. Elle est aussi porteuse d'une modernisation politique. Avec la nouvelle définition des libertés politiques et de la démocratie minimum - pluralisme et multipartisme, élections libres, liberté de l'information - se dessine en effet ce qui pourrait constituer une nouvelle norme internationale de la démocratie. Accentuation des exclusions et des discriminations La mondialisation renforce certaines des anciennes formes d'exclusion et en génère de nouvelles, en marginalisant tous ceux qui ne sont pas en prise avec le marché mondial. Elle exclut les pays pauvres et les couches sociales pauvres des pays riches. Elle est marquée par une extension considérable des flux financiers non maîtrisés, de la spéculation, et de la corruption. La pauvreté, forme majeure de l'exclusion, devient une donnée structurelle, en progression. A l'Est, comme en Asie ou en Amérique latine, les exclusions, les inégalités et les discriminations se sont accentuées. Le minimum démocratique internationalement admis, tout en constituant un progrès, montre ainsi ses limites. Le réveil brutal et douloureux qu'ont connu les Allemands de l'Est en 1990-1991, confrontés à la réalisation simultanée de l'unification et du marché, en a témoigné. La restructuration de la production mondiale pilotée dans une hermétique sphère financière développe un grand sentiment d'impuissance et de frustration. Avec sa religion technologique et sa nouvelle rationalité, la mondialisation produit en réaction quasi mécanique une montée de l'irrationnel et des intégrismes chez ceux qui se sentent exclus de cette nouvelle rationalité, de cette nouvelle modernité. Mais la mondialisation est aussi celle du travail. Elle se traduit par un gigantesque redéploiement de la production et par la mise en mouvement, à travers les migrations économiques et politiques, de masses considérables d'hommes et de femmes. Avec des inerties et des contretemps, les flux migratoires sont surdéterminés par l'organisation et la gestion de ce marché mondial du travail. Dans les régions d'arrivée, la tendance à la fusion et à l'intégration, dominante en deux ou trois générations, coexiste avec l'exacerbation des différences et les replis communautaires. La violence des transplantations donne naissance à une mosaïque de diasporas, politiques et économiques, nostalgiques des paradis perdus et soucieuses de la dégradation des régions d'origine. Le fait national gagne en force dans cet éloignement, il se nourrit des solidarités communautaires et se distancie des contradictions et des blocages des sociétés d'origine. La mondialisation et l'espace de la mondialisation s'opposent aujourd'hui à l'espace géopolitique qui leur a donné naissance. La mondialisation se distingue de l'internationalisation, le système international organisé par les États pour définir les formes de leurs rapports. La mondialisation, comme on peut le voir à l'Est ou ailleurs, s'oppose à l'espace de chaque pays. Elle conduit à la gestation, difficile et parfois improbable, de grandes régions économiques à la recherche de solidarités géopolitiques, historiques et culturelles. Entre le local et le mondial, l'État est doublement remis en question. La "montée" des pouvoirs locaux résulte de la revendication démocratique. La mondialisation lui enlève ses moyens de régulation. Elle accélère la crise du modèle de l'État-nation. Alors que la séparation de l'Église et de l'État n'est pas encore partout réglée, la séparation de la nation et de l'État est déjà à l'ordre du jour. Les nouvelles définitions de la nationalité et de la citoyenneté sont partout en chantier. Le fait national qui trouve sa place dans l'espace de la culture et du droit ouvert par la crise de l'économisme et par la défaite idéologique du communisme reste toutefois confronté à la revendication démocratique. D'abord soucieux de frontières, d'homogénéité et de souveraineté, il n'est en effet pas spontanément démocratique. La montée du fait national apparaît ainsi comme une forme de résistance à la modernité portée par la mondialisation. Cette résistance parvient difficilement à s'abstraire de formes archaïques et à faire évoluer, sans se laisser imposer ceux de la nouvelle modernité, les concepts de frontières, d'État, de droits fondamentaux des personnes et des peuples. Comment faire la part, dans cette recherche éperdue d'identité, de la crispation devant le changement et de la découverte de nouvelles solidarités?

Liens utiles