La mondialisation de l’économie du crime s’accompagne de la criminalisation de l’économie mondialisée
La mondialisation de l’économie du crime s’accompagne de la criminalisation de l’économie mondialisée
À l’instar de toutes les grandes entreprises, le crime organisé a, au cours des années 1990, diversifié ses activités et ses structures. Il a su s’adapter aux exigences d’une économie internationalisée au sein de laquelle il a pris une place considérable. Cette mondialisation de l’économie criminelle se double d’une criminalisation de l’économie mondiale et les deux tendances relèvent désormais d’une logique commune.
L’existence d’une véritable internationale du crime s’était révélée dès les années 1970, quand les autorités américaines obligèrent la police française à démanteler la French connection. Mais son élimination n’a pas eu l’effet escompté puisqu’elle a marqué au contraire le début d’une dissémination des réseaux de drogue dans le monde entier. Aujourd’hui, on estime raisonnablement à 400 milliards de dollars au moins le chiffre d’affaires annuel des trafics de drogue dans le monde, ce qui en ferait le premier marché mondial des matières premières.
Si la drogue fut et demeure l’activité dominante de l’économie internationale du crime, elle n’est cependant pas la seule. Tous les trafics suscités par l’existence de différentiels de valeur, comme dans n’importe quel autre système économique, se sont développés au niveau international. Selon le FMI (Fonds monétaire international), le produit criminel brut mondial s’élèverait à 1 000 milliards de dollars par an, et de 2 % à 5 % du PIB de la planète proviendraient du blanchiment de l’argent sale. On pense selon l’ONU qu’un milliard de dollars sont blanchis chaque jour dans le monde.
Trafics d’armes, d’êtres humains (réseaux d’immigration illégale, de prostitution, de travail clandestin, etc.), trafics d’objets d’art, de matières rares ou dangereuses, pillage des aides publiques..., tout peut être objet de trafic transnational dès lors que sa commercialisation en un autre point de la planète est source de profit. La seule différence, à cet égard, entre l’économie criminelle et l’économie légale est que la première spécule sur l’interdiction ou la restriction du commerce d’une denrée (l’homme étant lui-même une marchandise) pour faire des bénéfices que les acteurs de la seconde s’interdisent de faire.
Une division internationale du travail
Outre les activités, ce sont les réseaux criminels qui se sont eux-mêmes internationalisés : les acteurs de l’économie illégale se sont disséminés tout autour de la planète, au fur et à mesure de l’ouverture des frontières et de la libéralisation des échanges. Les diasporas, en particulier, ont joué et continuent de jouer un rôle primordial dans la diffusion du modèle sociologique mafieux : des relations claniques suscitant l’émergence, au sein d’une communauté minoritaire et fermée, d’une élite régulatrice des rapports internes. Le monde criminel emprunte ainsi l’un des traits de la mondialisation, à savoir des formes de socialisation de plus en plus locales et communautaires, servant de base à de nouveaux rapports économiques.
Cette diffusion du modèle mafieux a, à son tour, suscité une autre tendance également caractéristique de la mondialisation. Comme toute économie structurée, l’économie criminelle a atteint un stade avancé de division du travail et on y observe des phénomènes de sous-traitance, d’externalisation des tâches et d’optimisation des fonctions. Désormais, la production de cocaïne appartient par exemple aux cartels colombiens et sa commercialisation aux cartels mexicains. Les trafiquants sud-américains ont importé chez eux la culture du pavot, en liaison avec les producteurs d’héroïne asiatiques, afin de diversifier leurs productions et renouveler leurs offres de produits, tandis que les transports internationaux de drogue sont souvent concédés aux Nigérians. Les mafias et les organisations criminelles peuvent ainsi conclure des joint ventures, pour lancer des opérations de trafic de drogue : les unes financent, les autres produisent ou commercialisent, d’autres transportent, chacun exerçant sa spécialité en coopération avec les autres.
Des structures extrêmement flexibles
Une des évolutions les plus importantes de l’économie criminelle est pourtant l’une des moins bien comprises. La répression qui s’est en effet abattue sur les mafias siciliennes et nord-américaines a pu faire croire que les mafias étaient atteintes dans leur expansion, et que leur éradication était en vue. C’est une lourde erreur d’appréciation : la répression n’a fait en réalité que permettre la modernisation des structures du crime organisé, en éliminant les structures obsolètes, parce qu’organisées sur un modèle centralisé et hiérarchique qui n’a plus cours dans une économie mondialisée. L’époque est aux organisations - légales ou non - flexibles et mobiles, ordonnées sur un modèle en réseau et non plus en pyramide. Les cartels de Medellin et de Cali ont laissé place à une multitude de structures familiales ou claniques qui maillent l’économie de la cocaïne. Les familles de la Cosa Nostra sicilienne - même si elles ont souffert de la répression -, la N’drangheta, la Sacra Corona Unita et surtout la Camorra, où les relations sont souples, voire informelles, sont aujourd’hui florissantes.
La loi du marché, selon le dogme de la globalisation, ne peut souffrir d’autre régulation qu’elle-même. L’affaiblissement des législations qui encadraient les rapports sociaux et les relations économiques et financières laisse les entités productives de plus en plus maîtresses de leurs propres réglementations. Une firme mondiale réagit plus aujourd’hui à des règles internes déterritorialisées qu’aux législations des États où ses établissements sont implantés. Les risques de pénétration criminelle de l’économie officielle ne sont plus, dès lors, des hypothèses d’école, comme l’ont révélé les réseaux financiers de l’organisation terroriste al-Qaeda, mis au jour après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Les affaires «Elf», «fonds Abacha», «Kremlingate», «Clearstream»... ont montré que les frontières entre économies légale et illégale n’existent plus. Et qui s’étonne encore, par exemple, de voir la Banque centrale de Russie dissimuler 50 milliards de dollars dans une filiale offshore de Jersey ?
Lessiveuses et paradis fiscaux
Dominée par la logique financière, l’économie mondiale sert de havre à toutes les activités criminelles en quête de recyclage de leurs capitaux. Marchés financiers opaques et paradis bancaires et fiscaux sont ainsi devenus les vecteurs privilégiés d’un système global qui rend de moins en moins visibles les limites entre une économie criminelle qui s’infiltre dans l’économie légale et une économie légale qui se criminalise. Les îles Cayman, à elles seules, comptaient au tournant de siècle plus de 570 banques dont les dépôts dépassaient 500 milliards de dollars. La région caraïbe recevait 61 milliards de dollars de dépôts financiers en 1986, contre 300 milliards en décembre 1993, 341 milliards en juin 1994... Les États-Unis, l’Europe, l’Asie, tous ont leurs paradis bancaires, fiscaux et judiciaires à portée de main.
La criminalisation mondiale et la mondialisation criminelle ont ainsi provoqué un double paradoxe. Plus les capitaux accumulés par les organisations criminelles sont importants, plus ils peuvent se dissimuler dans les recoins opaques créés par la dérégulation économique et financière. Il est plus facile de blanchir un million de dollars que 20 000 car les contrôles sont inexistants sur les marchés financiers. Ce premier paradoxe s’explique par le second : plus les activités criminelles sont vastes et organisées, plus elles doivent avoir une façade légale insoupçonnable. La fusion entre l’économie légale et l’économie criminelle paraît donc aujourd’hui accomplie.
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