KANT : LA LIBERTÉ FAIT PEUR
KANT : LA LIBERTÉ FAIT PEUR
Si nous sommes « condamnés à être libres », nous ne pouvons qu'être angoissés : ce que Sartre nomme la « mauvaise foi » est l'effort (contradictoire) par lequel nous cherchons à nous libérer de notre liberté, à choisir de ne plus choisir. Kant analyse à sa manière des conduites analogues.
« La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d’une direction étrangère, restent cependant volontiers leur vie durant, mineurs, et qu’il soit si facile à d’autres de se poser en tuteurs des premiers. Il est si aisé d’être mineur ! Si j’ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n'ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n’ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c’est une chose pénible, c’est ce à quoi s’emploient fort bien les tuteurs, qui, très aimablement, ont pris sur eux d’exercer une haute direction de l'humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n'aient pas la permission d’oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace, si elles essaient de s'aventurer seules au dehors. Or ce danger n’est vraiment pas si grand ; car elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher ; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte détourne ordinairement d'en refaire l’essai. Il est donc difficile pour chaque individu de sortir de la minorité, qui est presque devenue pour lui nature. »
Kant, Qu'est-ce que les lumières ?
ordre des idées
1) Une observation : bien qu'ils aient la capacité de choisir leur existence, beaucoup d'hommes restent mineurs leur vie durant, se contentent d'obéir à d'autres, leurs tuteurs. 2) Une première explication : les mineurs choisissent de rester mineurs, dépendants, asservis, par peur des risques que suppose l'exercice positif de la liberté. 3) Illustration de cette situation. On reste mineur : a) intellectuellement (lorsque des livres guident le jugement) ; b) moralement (en se donnant un directeur de conscience) ; c) sur le plan de la santé (on s'en remet à un médecin). 4) Une seconde explication : les tuteurs ont tout intérêt à développer chez leurs subordonnés une peur de la liberté dont ils tirent eux-mêmes bénéfice. 5) Thèse finale de Kant : en dernière analyse, les hommes peuvent réellement exercer leur liberté, s'ils ont le courage de travailler à devenir responsables de leur existence. (Cf. Rousseau : renoncer à sa liberté serait renoncer à sa condition d'homme).
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