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Jean Duvignaud

Né à La Rochelle en 1921, professeur de philosophie, Jean Duvignaud a été maître de conférences à la Faculté de Tunis. Il est professeur à la Faculté des Lettres de Tours et directeur de l’institut de sociologie de l ’art. Ecrivain, il a publié plusieurs romans, fait représenter une pièce de théâtre, Marée basse, au Théâtre des Noctambules en 1956 et collaboré au cinéma avec Bertucelli (les Remparts d’argile) et Edouard Luntz. Il fut l’un des animateurs de la revue Arguments comme il l'est aujourd’hui de Cause commune. Jean Duvignaud semble avoir poursuivi une double carrière, de sociologue et d’écrivain. D’un côté des essais : Sociologie du théâtre, l'Acteur, sociologie du comédien, le Langage perdu, Fêtes et civilisations, etc., de l’autre, des romans : le Sommeil de juillet, l’Or de la République, l’Empire du milieu, etc. Mais au centre, points d’articulation et d’éclairage, Marée basse, Chébika, le Ça perché : une pièce que Roger Blin met en scène, une enquête sociologique qui, devenant retransmission d’une écoute, de la parole collective d’un village tunisien prend valeur de récit et dont Bertucelli fera un film, un livre qui, autant qu’une autobiographie (on y découvre l’importance des racines rochelaises et vendéennes, du grand-père instituteur et de la tante Octavie, de la lutte clandestine, de l’engagement au P.C. après la .Libération et des déceptions du militant défroqué) est élucidation d’un parcours et de ses méandres, mise en perspective de recherches apparemment diverses et qu’anime toujours, malgré tout, une sorte de quête utopique, celle d’une société où se réconcilieraient la vie et la fête, le réel et l’imaginaire. On ne peut guère séparer le sociologue de l’écrivain (pas plus le critique, le journaliste de l’homme de théâtre). Ils ont le même regard, les mêmes passions (l’un habite et réinvente la scène, l’autre en dit l’histoire ou démonte les mécanismes de la représentation ; l’un s’engage contre l’occupant, participe aux luttes politiques, découvre le tiers monde, l’autre dans de vastes récits brasse, recrée les drames contemporains). Ils diffèrent seulement par la manière d’aborder les mêmes réalités, de vivre les mêmes expériences — par exemple les rapports du quotidien et de l’imaginaire (thème capital pour des essais comme le Langage perdu ou Fêtes et civilisations ou à la revue Cause commune, mais aussi pour un roman comme l’Or de la République où ce qui fut vécu de 1933 à 1944 est repris en partie — éclairé et métamorphosé, mythifié — dans un film dont la réalisation aussi est racontée). Et s’ils n’ont pas même écriture, celle du sociologue — surtout dans les derniers livres où le langage, la fête, l’imaginaire sont en jeu — est toujours celle d’un écrivain. Cela dit, l’écrivain chez Duvignaud est d’abord romancier — et dramaturge avec cette pièce sur le bagne de Rochefort qu’est Marée basse et qui par sa dramaturgie marqua ce qu’on appelait le nouveau théâtre. Sans doute, dans le Ça perché, évoquant l’époque de son premier roman, Duvignaud dit : « Je colle mal au personnage de l’écrivain. Je n’ai pas écrit le Sommeil de juillet pour entrer dans la république du langage, mais pour m’en emparer. L'écriture était un acte de violence, de contestation. » Mais dans tous ses romans, ce sont cette violence, cette volonté de contestation — tout ensemble de la société et du langage qu’elle parle, de la rhétorique dans laquelle elle se fige — qui l’ont porté et qui ont fait de lui un écrivain. Ecrivain à la fois de l’engagement et de la rupture, attentif au réel et à ses bouleversements mais les recréant, et à chaque fois avec plus de force, d’ampleur dans une sorte de grand imaginaire baroque. Dans les Idoles sacrifiées, où un groupe d’anarchistes d’avant la guerre de 1914 est confronté au problème delà trahison et de la justice (peut-on interpréter comme un aveu les silences de Semenov ?), Duvignaud posait encore en termes dramatiques, un peu à la manière de Malraux, les rapports de l’homme à son engagement. L’Or de la République était déjà une grande fresque mêlant l’histoire et les destins individuels, la réalité et sa représentation et annonçait ce grand roman qu’est l’Empire du milieu. Là le récit se déploie sur l’Europe et l’Amérique du Sud, est traversé par la figure de Nietzsche (dont la mort est comme l’ouverture d’une vaste symphonie, d’un opéra où se jouerait la fable de notre civilisation) comme par celle de révolutionnaires sud-américains, d’anciens nazis et d’intellectuels français. Jouant sur le temps et l’espace, mettant en scène les idéologies modernes, mais aussi tous les fantasmes de la société contemporaine, l’Empire du milieu use à l’évidence de toutes les techniques du roman moderne, mais pour transformer celui-ci en une sorte de saga baroque où le livre devient la lieu de rencontre entre notre histoire et notre imaginaire.

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