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Jean Anouilh

Jean Anouilh naît à Bordeaux, le 23 juin 1910. Il a été secrétaire de Louis Jouvet. « Je n ’ai pas de biographie », dit-il. En 1944, Antigone, au Théâtre de l'Atelier. Depuis lors, presque chaque année, une nouvelle pièce.

Anouilh a lui-même classé ses pièces selon leur «couleur», leur «tonalité » : Pièces roses, noires, brillantes, grinçantes, costumées. Cette diversité n’est pas le signe d’une disparate. Qu’une œuvre d’Anouilh soit rose ou noire, il y a toujours en elle ce qui distingue le théâtre d’Anouilh de tout autre, et même du théâtre de Giraudoux, auquel celui de Jean Anouilh ressemble et doit beaucoup. Toujours, un certain ton, une certaine vision du monde. La pièce la plus célèbre, la plus « classique », de Jean Anouilh est sans doute Antigone. Elle a survécu aux circonstances immédiates de sa création, à la Libération : l’affrontement de la Collaboration et de la Résistance ; et la comparaison avec Sophocle ne la rend pas dérisoire. Elle est d’ailleurs exemplaire de toute l’œuvre d’Anouilh, dans sa thématique comme dans sa poétique. Le théâtre, image de la vie, illusion, est plus vrai que la vie. Et qu’est-ce que la vie ? L’opposition irréductible de la souillure et de la pureté. De la révolte et de la compromission. De la naïveté et du désenchantement. Un monde manichéen, donc ? Non. Si le ton de Jean Anouilh est celui du pessimisme, du désenchantement, sa morale, la morale de la fable, est ambiguë. Il peut y avoir de l’humanité dans les compromis et de l’inhumanité dans les plus fiers élans. On pourrait ici invoquer le dire de Lao-Tse : « Les paroles vraies ne sont pas belles, les belles paroles ne sont pas vraies. » Ce théâtre, certes, donne à penser. Mais il est d’abord une merveilleuse machine scénique. Par la justesse de son langage qui mêle grâce et trivialité, la forte architecture des thèmes et des contrastes, l’art peu commun I de la composition.

► Principaux titres:

Pièces roses, édit. Balzac 1942, la Table ronde 1958 ; Pièces noires, édit. Balzac 1942, la Table ronde 1958, Nouvelles Pièces noires, la Table ronde 1946 ; Pièces brillantes, la Table ronde 1952 ; Pièces grinçantes, la Table ronde 1956 ; Pièces costumées, la Table ronde, 1960. La plupart des pièces sont éditées séparément à la Table ronde et reprises dans la collection Folio.

ANOUILH Jean. Dramaturge français. Né à Bordeaux le 23 juin 1910. Ses parents — un père tailleur et une mère professeur de piano (et non pas violoniste comme on l’a beaucoup écrit) — s’installèrent à Paris alors qu’il n’avait que huit ans. Il fit presque toutes ses études au lycée Chaptal. Il découvrit le théâtre tout gamin au casino d’Arcachon où l’on donnait surtout des opérettes. Vivre dans « une troupe » devint son rêve préféré. Ses première essais dramatiques remontent à sa douzième année, et ils étaient en vers. A seize ans, il imite Henri Bataille. Mais, peu après, il découvre les œuvres de ses grands contemporains, à la fois par la représentation et par la lecture. C’est la même année 1928 qu’il fait ses deux rencontres capitales : celle de Giraudoux en écoutant Siegfried à la Comédie des Champs-Elysées et celle de Cocteau en lisant Les Mariés de la Tour Eiffel . Ce qu’il découvre dans ces deux œuvres, c’est la poésie du théâtre : il décide de refuser, dans ses propres pièces, le réalisme. Il cherchera une vérité d une autre sorte, qui ne soit pas prétendue copie de la réalité, mais son expression transposée et interprétée. Il poursuit cependant des études de jeune bourgeois : après son bachot de philosophie, il s’est inscrit à la Faculté de Droit, mais il n’y passa guère plus d’un an. Ayant à gagner sa vie, il entra dans une maison de publicité où travaillaient Jacques Prévert et Jean Aurenche. Il y resta deux ans avant de devenir, pour peu de temps, le secrétaire de Louis Jouvet, qu’il détesta cordialement. Toutefois, entré dans les milieux du théâtre, il ne les quittera plus, si ce n’est pour des incursions dans le monde du cinéma, qui ne l’intéressait que pour des raisons financières. Sa première pièce représentée fut L ’Hermine en 1932, à l’oeuvre. Succès suffisant pour qu’il décide de vivre désormais avec ses seuls droits d’auteur. Il se marie avec l’actrice Monelle Valentin dont il aura une fille, Catherine. Le jeune couple va connaître quelques années difficiles, car La Mandarine (1933) est un four (13 représentations) et Y’avait un prisonnier (1935) ne connaît qu'une modeste carrière. Heureusement, Hollywood achète les droits, pour un film qui ne sera d’ailleurs jamais tourné. En 1937, Anouilh fait deux nouvelles rencontres décisives : celle de deux grands animateurs de théâtre, Georges Pitoëff et André Barsacq. Grâce à eux, il va connaître la vie de troupe dont il rêvait enfant. Il va expérimenter « sur le terrain » toutes les possibilités de l’espace scénique. Il ne sera jamais un auteur dramatique retranché dans un cabinet de travail, il sera « un homme de plateau ». En 1937, Pitoëff monte Le Voyageur sans bagage . En 1938, c’est La Sauvage (créée également par Pitoëff) et Le Bal des voleurs (crée par Barsacq). Ces deux pièces avaient été écrites quelques années plus tôt : La Sauvage en 1934 et Le Bal des voleurs dès 1932. Toutes deux remportent un franc succès qui marque pour Anouilh la fin de toutes les difficultés matérielles. La première s’inscrit parmi les Pièces noires et la seconde parmi les Pièces roses . De la même époque date Jézabel qui ne sera pas jouée, mais publiée plus tard dans le volume Nouvelles pièces noires . Avant la guerre, Anouilh compose encore deux pièces roses : Le Rendez-vous de Senlis et Léocadia . C’est Léocadia qui sera jouée d’abord, en novembre 1940, à la Michodière, avec la distribution la plus parisienne et la plus brillante du moment : Yvonne Printemps, Pierre Fresnay, Victor Boucher, Marguerite Deval. Le Rendez-vous de Senlis sera créé à l’Atelier après l’armistice (en 1941) et c’est Monelle Valentin qui en sera l’interprète principale. C’est elle aussi qui créera, sur la même scène, Eurydice (1942) et Antigone (février 1944). Avec Antigone, Anouilh connaît un triomphe (500 représentations). Dès sa création, on parla de cette pièce comme d’une œuvre classique, destinée à faire date dans l’histoire du théâtre en France. Les seuls reproches qui lui furent adressés concernaient sa portée morale : Anouilh avait fait de son héroïne moins le symbole de la résistance au tyran que l’incarnation d’un refus de toutes les compromissions, lequel conduisait à condamner la vie. Depuis ses débuts, Anouilh avait souvent entendu des critiques de ce genre et il ne cessait guère de les provoquer. En 1945, il prit part à la campagne de signatures en faveur de Robert Brasillach dont il n’était nullement l’ami mais qui avait toujours défendu ses pièces. « Le jeune homme que j’ai été et le jeune homme Brasillach sont morts le même jour et, toutes proportions gardées, de la même chose. » Certains confrères auraient bien aimé qu’on inscrivît le nom d’Anouilh sur les listes noires de l’épuration. Cependant, ils ne trouvèrent rien à lui reprocher sur le plan civique. Les premières pièces qu’il écrivit après la guerre sont encore créées chez Barsacq à l’Atelier : Roméo et Jeannette et la première des Pièces brillantes (1946) qui s’appelle L’Invitation au château (1947). En 1948, la première des Pièces grinçantes, Ardèle ou la marguerite , est jouée à la Comédie des Champs-Elysées où, vingt ans plus tôt, Anouilh avait eu la révélation de Giraudoux. Mais dans Ardèle, c’est l’influence de son ami Roger Vitrac qu'il déclare avoir subie. En 1950, c’est à Barrault qu’il confie La Répétition ou l’amour puni . Il revient chez Barsacq en 1951, avec Colombe . Puis retour aux Champs-Elysées avec La Valse des toréadors (1952). L’année suivante, Anouilh se sépare de Monelle Valentin. Il épouse une autre comédienne, Nicole Lançon, dont il aura trois enfants. Il fait jouer Médée que le public boude, mais il connaît son plus grand succès depuis Antigone, avec L’Alouette (608 représentations), première des Pièces costumées et dont l’héroïne est Jeanne d’Arc. Comme cadeau de vingtième anniversaire pour sa fille Catherine, il écrit Cécile ou l’école des pères . Catherine Anouilh crée la pièce en 1954. Ornifle voit le jour en 1955 et Pauvre Bitos en 1956. Cette dernière pièce provoque des réactions diverses chez les critiques, car elle se situe à l’époque de la Libération et ne manque pas d’implications politiques. Pour sa part, le public applaudit très fort. Pas de création en 1957 et 1958, mais trois nouvelles pièces en 1959 : L’Hurluberlu, La Petit Molière et surtout Becket ou l’honneur de Dieu qui obtint tout de suite un triomphe (618 représentations) et sera repris dès 1971 à la Comédie-Française. Anouilh a signé lui-même la mise en scène de Becketavec Roland Piétri. Désormais il signera lui-même la mise en scène de toutes ses nouvelles pièces avec le même collaborateur. Il ne s’en tiendra d’ailleurs pas à ses propres œuvres : ainsi montera-t-il le Tartuffe de Molière (1960), le Victor ou les enfants au pouvoir de Vitrac (1962), L’Acheteuse de Steve Passeur (1963), le Richard III de Shakespeare (1964), L’Ordalie ou la petite Catherine de Heilbronn de Kleist (1967). Pendant cette période, sa production personnelle est moins abondante : La Grotte (1961), La Foire d’empoigne et L’Orchestre 1962). Aucune création entre 1962 et 1968. Mais les confrères ont tort de croire que le règne d’Anouilh est terminé. Il revient avec Le Boulanger, la boulangère et le petit mitron. Puis c’est un de ses chefs-d’œuvre : Cher Antoine (1969), première des Pièces baroques, que suivront Les Poissons rouges et Ne réveillez pas Madame (1970). Toutefois, la célébrité n’est pas une garantie contre l’insuccès. Anouilh appelle même des « fours » trois pièces qui n’atteignirent pas la centième : Tu étais si gentil quand tu étais petit (1972), L’Arrestation (1975), Le Scénario (1976). Mais ces « fours » dans un théâtre n’empêchaient pas des succès dans un autre : Le Directeur de l’Opéra (1972), Chers zoiseaux (1976). En 1978, il fit représenter une bouffonnerie sur le problème du féminisme : La Culotte. Cette pièce marquait son retour au cher vieux théâtre de l’Atelier. Elle témoignait aussi que, toujours contesté, Anouilh restait le grand maître de la scène française contemporaine. Il n’est pas un auteur de pièces à thèses ou à messages. Il se plaît aussi bien à donner des divertissements qu’à traiter de grands sujets. Il ne craint ni la charge ni la satire. Il est aussi à l’aise dans la fresque historique que dans la tragédie. Avant tout, il tient au jeu théâtral : il a dit qu’il fallait « jouer avec un sujet au lieu de le subir ». C’est par là que, jusque dans ses comédies bourgeoises, il échappe le plus sûrement au boulevard. On n’est nullement surpris qu’il ait largement contribué à faire connaître Samuel Beckett et Eugène Ionesco, en consacrant des articles enthousiastes à En attendant Godot et aux Chaises. Ces pièces joignent le classicisme des sentiments à la nouveauté de la forme dramatique. Jean Anouilh est lui-même classique et novateur. Sa fécondité est également admirable et, à toutes ses qualités, il ajoute encore la modestie et la discrétion. Artiste, il ne se prétend qu’artisan.




Auteur dramatique, né à Bordeaux. Il fut, un temps, secrétaire de Louis Jouvet ; d’ailleurs il a passé toute sa vie au théâtre, où il ne cesse, ainsi qu’en témoignait, en 1970 encore, Cher Antoine, d’accumuler, depuis plus de quarante ans, des œuvres aussi riches que diverses. On n’imagine pas Anouilh écrivant un roman. Mais c’est le définir insuffisamment que l’appeler « homme de théâtre », si l’on n’ajoute qu’il est aussi poète. En faisant abstraction des premières pièces non éditées (Mandarine, 1933 ; Y avait un prisonnier, 1935), on peut dire que, commencée sous le signe de la tragédie (L’Hermine, 1932 ; et surtout Le Voyageur sans bagage, 1937, joué par les Pitoëff), la carrière d’Anouilh le ramène sur le tard à la grandeur et à la gravité (mais peut-être avec une voix moins persuasive). Il est de fait qu’à partir d’Antigone (1943), et, bientôt avec une curieuse « suite dans les idées », il cède à la fascination du mode pathétique, si ce n’est du pathos (depuis Roméo et Jeannette, 1945, et Médée, 1946, mais surtout depuis L’Alouette, 1953 ; Becket ou l’Honneur de Dieu, 1959 ; La Foire d’empoigne, 1962. etc.). C’est sans doute entre ces deux périodes, avec La Sauvage, d’abord (1938, jouée par les Pitoéff), puis tout au début de sa collaboration avec le successeur de Dullin, André Barsacq (Le Bal des voleurs, 1938 ; Léocadia, 1939 ; Le Rendez-vous de Senlis, 1941 ; Eurydice, 1942), qu’Anouilh donne ses ouvrages les plus personnels, c’est-à-dire les plus poétiques. Là, cet homme épris d’idéal, d’infini, de pureté (jusqu’à la candeur), trouvera le seul « absolu » qui l’ait jamais comblé peut-être, dans la gratuité sans mélange. Nul souci de réalisme, ni d’analyse psychologique ; et c’est très bien ainsi. Le monde, qu’il méprise sur le plan social, et la vie, qu’il vomit sur le plan métaphysique, sont ici transposés sous forme d’un chœur d’opéra bouffe, d’une ronde de ganaches, de pitres et de monstres (rendus d’ailleurs inoffensifs, à nos yeux, du fait même de leurs évolutions stylisées et quasi chorégraphiques) entourant de plus en plus près un couple d’adolescents, diaphanes, ardents et chastes, qui, par construction, ne peuvent faire un geste, un pas en avant sans se cogner contre cette barrière circulaire de cloportes, aussi venimeux que pitoyables. Vieux nobles, vieux acteurs, vieux généraux (nantis et ratés tour à tour, ou tout ensemble) et, surtout, parents et beaux-parents : forts en gueule, poussiéreux, vaniteux, veules et laids, mais toujours ignoblement joviaux, si ce n’est égrillards. Comme son héros Orphée, comme son héroïne Eurydice, condamnée à suivre ses parents violonistes dans des tournées miteuses, de casinos en buffets de gare, tous les couples d’amants, chez Anouilh, nous apparaissent dînant d’une tranche de jambon sur un papier dans une chambre d’hôtel, mais à la vérité, semblables aux personnages lunaires du poète Laforgue, qui « vont, se sustentant d’azur », ils ne vivent que d’absolu. Puisque la vie réelle n’a rien d’autre à leur offrir que le relatif, tout leur paraît jeu dérisoire, et plus encore, perpétuelle souillure. Au surplus, dénués d’illusions, ils savent qu’ils ont tort. Et Anouilh lui-même fait la part belle aux « autres » : aux adultes. À cette race des justes, à cette race des riches [...] tous ceux qui ont eu raison depuis toujours (comme dit son héros Jason, dans Médée), à ceux qui doivent tenir la barre du bateau : formule volontairement rebattue qu’il met, à quinze ans de distance, dans la bouche de Créon (en 1943) et de Thomas Bec-ket (en 1959). Oui, ils ont tort contre tout le monde, ces couples d’amoureux infantiles des oeuvres de jeunesse d’Anouilh ; tort contre les hommes véritables (ainsi, dans Roméo et Jeannette : Mourir? mourir? Ce n’est rien. Commence donc par vivre. C’est moins drôle et c’est plus long). Mais Jean Anouilh, quant à lui, leur donne résolument raison, à ces Tristan, à ces Iseut, qui crachent dans la main cordialement ouverte des rois Marc. Par exemple, Thérèse (héroïne de La Sauvage) qui couvre d’imprécations le glorieux et trop heureux Florent, son bienfaiteur ; dure et lucide, Thérèse? Du moins Anouilh nous l’affirme-t-il dans la dernière phrase de la pièce. Et il est vrai qu’elle est lucide (comme d’ailleurs tous les adolescents de toutes ses pièces) ; mais dure ? non. Non, parce qu’Anouilh ne peut s’intéresser - c’est-à-dire, en définitive, donner vie - qu’à des êtres sans défense, et aussi désarmés, devant nous, que s’ils étaient nus. C’est peut-être pourquoi il nous convainc moins sûrement, lorsque, les dernières années, il s’avise de les « costumer ». Non, décidément, la mitre ni l’armure ne vont guère à ce poète. Car enfin le verbe, qu’il sut préserver toujours, a beau se guinder (et l’homme de théâtre, qu’il sut rester toujours, a beau se hisser jusqu’au registre du moraliste), le public qu’il avait longuement formé et amené à lui ne l’a plus suivi ; aussi bien a-t-il dû changer de public. Et l’on peut imaginer sans peine que, depuis L’Alouette, Anouilh n’a pas eu besoin de se retourner pour savoir qui lui emboîtait le pas désormais. (Restent les quelque dix années du jeune Anouilh ; reste l’auteur, entre tant, du Bal des Voleurs et d’Eurydice.)


♦ « Les amateurs de théâtre pour le théâtre ne peuvent rester insensibles à l’art avec lequel la convention est menée et malmenée, à la tendresse amère des croquis de personnages qui s'ébauchent, à cette écriture “à vue” — comme on dit des changements de décors. » Bertrand Poirot-Delpech. ♦ « La solitude qui résulte de l’absence, de la mort, de l’indifférence de Dieu, est commune aux existentialistes et à Anouilh. Ni les personnages de Sartre, ni ceux d’Anouilh n’ont de Dieu pour les aider dans leur choix. » Leonard C. Pronko. ♦ «Anouilh, c’est l’enfance “demeurée”, qui garde sa saveur intacte dans un coin de l’âme du personnage, où nul regard d’adulte n’a jamais pénétré — et qui refuse de mourir. » Robert de Luppé.

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