INDIENS (Amérique latine)
INDIENS (Amérique latine)
Les Indiens en Amérique latine, au nombre d’environ 30 millions (2000), représentent moins de 10 % de la population totale. Ils constituent un archipel de quelque quatre cents groupes ethnolinguistiques, dont les plus importants (nahua au Mexique, quiché au Guatémala, quichua en Équateur, quechua et aymara au Pérou, en Bolivie et au Chili, mapuche au Chili) rassemblent un, deux ou plusieurs millions de personnes et les moins nombreux seulement quelques individus. Le Guatémala est le seul pays du continent à majorité indienne. La Bolivie, l’Équateur, le Pérou et le Paraguay sont fortement indiens. Mais c’est au Mexique qu’on compte le plus grand nombre d’Indiens (environ dix millions), même s’ils ne représentent que le dixième de la population nationale. Tous les autres pays comptent des minorités indiennes plus ou moins importantes. Sauf l’Uruguay et la plupart des îles de la Caraïbe, où elles ont été éliminées dès l’époque coloniale ou après les indépendances, au xixe siècle.
Une renaissance.
Dans le courant du xxe siècle, certains groupes ont continué à décliner, quelques-uns ont disparu, mais depuis les années 1950-1960 la plupart connaissent une expansion démographique et une renaissance qui s’accompagne de profondes transformations. Les Indiens ne vivent plus exclusivement dans des communautés paysannes ou des tribus de la forêt amazonienne. Ils sont de plus en plus nombreux dans les villes, y reconstruisent leur identité et exercent des activités variées. Dans les dernières décennies, des Indiens mexicains et centre-américains sont venus grossir la migration latino-américaine aux États-Unis.
Le renouveau indien s’est traduit par des dynamiques économiques, sociales, culturelles et politiques. De multiples mouvements ont émergé et se sont développés depuis la création de la première organisation ethnique moderne en 1964 par les Shuar (Jivaros) d’Amazonie équatorienne. Parmi les plus marquants : le katarisme en Bolivie, le Conseil régional des indigènes du Cauca (CRIC) en Colombie, le mouvement zapotèque de l’isthme de Tehuantepec dans l’État d’Oaxaca au Mexique… Certains groupes ont été imbriqués et parfois broyés dans des conflits armés : les Mayas du Guatémala, les Miskitos au Nicaragua (années 1980), diverses communautés andines et amazoniennes au Pérou. Avec les grandes mobilisations contre la célébration du cinquième centenaire de la Découverte (en 1992 pour l’Amérique hispanophone, en 2000 pour le Brésil), les mouvements indiens sont montés en puissance et la fin du siècle les a vus faire irruption sur la scène nationale dans plusieurs pays et se projeter sur la scène internationale.
Au Mexique, en Équateur, en Colombie…
Le mouvement zapatiste du Chiapas (Mexique) a condensé et exprimé avec le plus de force et le moins de langue de bois les demandes de justice sociale, d’égalité dans la différence et de démocratie qui sont au cœur de tous ces mouvements. Le projet de guérilla révolutionnaire s’est ici transformé en insurrection indienne et en une tentative de mobiliser la société civile pour changer la culture politique. En se soulevant le 1er janvier 1994, date de l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), et en mettant à profit les nouvelles technologies de communication, les zapatistes ont illustré l’inscription des luttes indiennes dans le nouveau contexte de la mondialisation. Le mouvement a contribué à déstabiliser le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), après soixante-et-onze ans d’exercice du pouvoir. Mais, passé le succès de la marche sur Mexico en 2001, les zapatistes ont de nouveau été contraints de se replier sur le Chiapas.
En Équateur, depuis la naissance de la Fédération shuar, le mouvement indien n’a cessé de s’étendre et d’accumuler des forces dans les basses terres amazoniennes et parmi les Quichua des Andes. Organisé au niveau national dans une Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (Conaie), il est devenu le principal mouvement social dans ce pays et a animé plusieurs soulèvements et marches sur la capitale depuis l’insurrection de 1990 jusqu’à la tentative de coup d’État de janvier 2000. Une partie du mouvement a ensuite participé au gouvernement de Lucio Guttierez, puis s’en est retiré en août 2003.
En octobre de la même année, le président bolivien Gonzalo Sánchez de Lozada a dû quitter le pouvoir après avoir réprimé dans le sang la mobilisation massive des Indiens aymara et quechua contre l’exportation de gaz naturel vers les États-Unis via le Chili. Un an plus tard, la marche des Indiens du Cauca (Colombie) contre les acteurs de la guerre (la guérilla, les militaires et les paramilitaires) a illustré la continuité et le caractère exemplaire de leur mouvement dans un pays où ils ne sont pourtant qu’une petite minorité.
Une image renversée.
Zapatisme, mouvement indien équatorien, Indiens du Cauca : ces expériences et de nombreuses autres au Brésil, au Chili, au Vénézuela, au Panama, au Nicaragua, au Guatémala… illustrent la vivacité et la diversité, mais aussi les contradictions et les limites de la renaissance indienne. Dans la majorité des pays, des réformes constitutionnelles et de nouvelles législations ont intégré la multiculturalité. En nombre encore limité mais croissant, des Indiens occupent des postes de maires, de parlementaires, de ministres. En Bolivie, un Aymara a été vice-président de la République. L’octroi du prix Nobel de la paix 1992 à l’Indienne guatémaltèque Rigoberta Menchú (1960-) a sonné à la fois comme une reconnaissance de dette historique et comme un hommage à une lutte d’émancipation qui, dans la plupart des cas, a résisté à l’engrenage des violences politiques ou s’est efforcée d’en sortir et qui n’a jamais engendré des ethnonationalismes.
Souvent encore, Constitutions, accords et lois indigènes restent lettre morte et le vote indigène a du mal à se dégager des relations clientélistes. Les organisations et les personnalités indiennes n’échappent pas aux divisions et aux dérives bureaucratiques. Mais les mouvements indiens de la seconde moitié du xxe siècle ont d’ores et déjà renversé l’image qui primait auparavant, celle de l’Indien soumis, écrasé et destiné à disparaître. Ils lui ont redonné visibilité et dignité.
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