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HOMÈRE

HOMÈRE
Homère est regardé comme le père de la poésie grecque. On ne sait rien sur le lieu et la date de sa naissance, pas plus sur sa vie. On le croit fils de Méon, et il vit vraisemblablement au Xe ou au XIe siècle avant J.-C. Les diverses traditions s'accordent à le faire aveugle, mais il ne le devient probablement qu'à la fin de sa vie. Sept villes se disputent l'honneur d'être sa patrie: Cumes, Smyrne, Chios, Colophon, Pyles, Argos et Athènes. Au XVIIIe siècle a surgi en Allemagne une théorie qui nie l'existence d'Homère et prétend que ses œuvres ne sont pas homogènes que l'Iliade et l'Odyssée ne sont ni de la même main, ni de la même époque. Les œuvres d'Homère, qui nous retracent les mœurs et la vie guerrière des Grecs, sont le plus ancien document de leur histoire.
Homère (Homeros, probablement VIIIe s. av. J.-C.). Poète épique grec.
1. Dans l’Antiquité, Homère fut considéré principalement comme l’auteur de L’Iliade et de L’Odyssée ; d’autres poèmes épiques lui furent parfois attribués, le plus souvent Margites et Batrachomyomachia, mais les spécialistes ont rejeté ces suppositions. Les Grecs eux-mêmes ne savent rien de certain sur sa vie ; on a suggéré des dates diverses, allant de la guerre de Troie (au début du xiie s. av. J.-C.) jusqu’à cinq cents ans plus tard. Hérodote le fait remonter à environ 850 av. J.-C. Les savants modernes, utilisant les preuves fournies par l’histoire, l’archéologie, et la langue, font généralement remonter ces poèmes à la fin du viiie siècle, longtemps après les événements de la guerre de Troie et leurs répercussions. De nombreuses villes se targuent d’être le lieu de naissance d’Homère; il est cependant plausible que Smyme et Chios soient le foyer des Homérides. Les Grecs anciens représentaient Homère comme un ménestrel aveugle, ayant souffert de la pauvreté et du malheur au cours de sa vie errante jusqu’à sa mort et à son enterrement sur l’île égéenne d’Ios.
2. Le point de vue de certains savants hellénistiques, les « séparatistes » (chorizontes), selon lequel L’Iliade et L’Odyssée n’ont pas été écrites par la même personne, a été adopté par certains savants modernes, qui s’appuient sur la langue, les coutumes sociales et l’attitude envers les dieux : selon eux, L'Odyssée fut peut-être composée une génération après L Iliade. D’autres savants modernes (« les unitaristes »), estiment que les différences entre les deux poèmes peuvent s’expliquer par celles existant entre leurs sujets; ils croient, tout comme les Grecs anciens, que les deux poèmes sont l’œuvre d’un seul homme. Qu’il y ait deux poètes ou un seul, il est clair que les deux poèmes furent composés dans une partie de la Grèce où l’on parlait le dialecte ionien, que L'Odyssée fut conçue comme une suite de L'Iliade, dont elle suppose les événements connus, et que les personnages qui apparaissent dans les deux poèmes, ont, d’une manière reconnaissable, la même individualité.
3. Non seulement il a été suggéré qu’il y avait deux poètes, mais on a douté qu’il y en eut même un seul. Depuis la fin du XVIIIe siècle, la science homérique a été dominée par le problème de la définition de la paternité, ce qu’on a appelé la « question homérique ». On avait toujours souligné que la langue de ces poèmes était un amalgame artificiel tiré de différentes parties du monde grec et de différentes périodes et, dans une moindre mesure, que la société ainsi que les institutions homériques manquaient d’authenticité; actuellement, on porte plus d’attention aux graves contradictions (ainsi qu’on les ressentait) dans les récits eux-mêmes. On a alors suggéré que chaque poème avait été créé grâce à la compilation de poèmes plus courts, du type de la ballade, des «lais», et qu’ils avaient été portés à leur longueur actuelle grâce à des accrétions naturelles et par un effort collectif, ou peut-être grâce à l’activité éditoriale d’un seul homme dont il serait impossible d’apprécier la contribution individuelle. En fait, l’étude poussée de matériaux épiques comparables, tels que ceux qui continuaient d’exister en Yougoslavie jusqu’au xxe siècle, semble avoir établi que ces poèmes sont le résultat final d’une tradition de poésie orale vieille de plusieurs siècles; il se peut que cela puisse expliquer les éléments disparates et les discordances apparentes pour des lecteurs capables de revenir en arrière dans un livre, mais que l’on ne remarquerait pas au cours d’une récitation. Cette théorie explique aussi l’une des caractéristiques les plus spécifiques d’Homère, le fait que son langage est hautement «formulaire», c’est-à-dire répétitif. Le poète ne cesse de répéter non seulement des épithètes et des phrases, mais des vers et des passages entiers; des scènes sont également répétées, par exemple celles qui décrivent des activités «typiques», la préparation d’un repas ou celle d’une armée avant la bataille. Le poète, possédant déjà en mémoire un large répertoire de formules traditionnelles, pouvait improviser un récit d’une certaine importance, raconter sans préparation une histoire qu’il pouvait avoir au préalable répétée mentalement.
4. Certains des éléments traditionnels des poèmes peuvent remonter, comme on le prétend souvent, à la période mycénienne de la préhistoire grecque (disons de 1400 à 1200 av. J.-C.), mais ceux-ci ne sont guère nombreux. Peut-être les poèmes rappellent-ils une guerre qui marqua le dernier effort concerté de la Grèce mycénienne contre un ennemi étranger; l’archéologie confirme qu’en fait Troie fut détruite entre 1250 et 1200 av. J.-C. Peu après, la civilisation mycénienne elle-même s’effondra, peut-être dans le sillage de l’invasion dorienne. Les poèmes font vaguement allusion aux gloires et aux usages de cette société palatale, mais la période de formation de la poésie épique homérique, et la société dont elle rend plus ou moins compte, sont celles des «siècles obscurs» de la Grèce, les IXe et VIIIe siècles av. J.-C.
5. On a supposé que la manifeste réintroduction de l’écriture en Grèce vers la fin du VIIIe siècle (voir alphabet) a été le facteur de détermination essentiel quant à la forme des poèmes, qui donna à un poète exceptionnel — Homère — l’occasion de méditer et peut-être de dicter à un scribe un poème (ou des poèmes) plus long et infiniment plus complexe que ce qu’autrement il aurait pu composer ou réciter. Les poèmes qui en sont sortis étaient destinés à une récitation orale (la poésie épique était en fait chantée ou déclamée, le poète s’accompagnant de sa lyre) ; par ailleurs, le fait que la narration était continue montre que ces poèmes étaient censés être entendus entièrement, L’Iliade en particulier, étant difficile à scinder en épisodes. Leur longueur, néanmoins, interdisait qu’on les récitât en une seule séance : une récitation ininterrompue de L'Iliade prendrait en gros vingt heures et n’aurait peut-être été possible que lors d’une grande fête. C’est pourquoi il est probable qu’en général les poèmes étaient chantés en extraits par des rhapsodes.
6. Selon ces indications, chaque poème était donc conçu comme une unité et fut composé par un poète individuel (ou par deux poètes) qui travaillait selon la tradition ionienne de la composition orale; on a en général l’impression que la cohésion et l’art subtil que révèle chaque poème n’auraient pu être atteints par la seule activité d’un éditeur ; dans la Poétique, Aristote mentionne élogieusement l’emprise d’Homère sur l’unité artistique. De plus, il ne faudrait pas ignorer l’unanimité des Grecs anciens au sujet de l’existence d’«Homère». Une histoire dont l’authenticité est douteuse raconte comment le tyran athénien du vie siècle, Pisistrate, trouvant de la confusion dans les textes d’Homère, se rendit responsable de les avoir fait remettre en ordre et réciter à la fête des Panathénées. Les éléments athéniens dans quelques épisodes, et peut-être même des traces de dialecte attique, indiquent qu’à un certain stade Athènes a joué un rôle dans la transmission du texte. En fait, c’est une version athénienne du texte qui apparaîtrait comme la source de tous les manuscrits d’Homère; elle peut même être à l’origine de la division des poèmes en vingt-quatre livres chacun. A la fin du vie siècle av. J.-C. commencent à apparaître en grandes quantités des citations d’Homère et des références à son œuvre; à partir de celles-ci et de citations qui ont suivi, de même que d’après des fragments fournis par les papyrus, il est clair qu’à cette époque les textes contenaient des variations considérables, même si elles étaient superficielles; pendant quelques siècles, il y eut probablement une transmission orale qui fut maintenue par les rhapsodes, en même temps qu’une transmission écrite. Néanmoins, c’est à partir du IIIe siècle av. J.-C., sur les travaux d’édition des savants d’Alexandrie, Zénodote, Aristophane de Byzance et principalement Aristarque, que repose le texte moderne.
7. Depuis leur création, on n’a jamais cessé de lire les poèmes homériques, d’abord en Grèce, et ensuite en Europe. La plupart des Grecs considéraient Homère avec révérence ; il était la source (avec Hésiode) de leur connaissance des dieux, c’était lui qui avait formulé leur code de conduite héroïque, il était la pierre de touche de la sagesse, et on ne cessait de le citer. Des poètes latins imitèrent ou traduisirent fréquemment certains passages (Lucrèce et Virgile); L'Odyssée fut traduite en vers saturniens latins par Livius Andronicus. La comparaison homérique, caractéristique stylistique très imitée, se développe en vignette indépendante à partir d’un point de départ; elle peut être descriptive, viser un effet émotionnel ou soulager une tension, en particulier dans L'Iliade où elle introduit souvent, dans un passage épique sur la guerre, une vision momentanée de la vie ordinaire et paisible. Depuis les temps les plus reculés, Homère a été considéré comme un poète dépassant tous les autres : « dans le style grave, le poète des poètes », « sans rival dans la diction et dans la pensée», prétendait Aristote dans la Poétique. Homère, ajoute-t-il, a enseigné aux poètes le véritable art de l’illusion, restant lui-même à l’arrière-plan, en permettant à ses personnages de se révéler eux-mêmes. Dans une phrase célèbre, le poète et critique anglais Matthew Arnold (XIXe s.) dans De la traduction d'Homère caractérisa les traits dominants du style homérique : rapidité, clarté, franchise et noblesse ; il ajoute que ce qu’Homère a en commun avec le poète Milton, une application noble et profonde des idées à l’existence, est l’essentiel de la grandeur poétique. Le savant anglais Richard Bentley, qui écrivit au début du xviiie siècle, protesta contre la notion selon laquelle Homère « conçut ses poèmes pour l’éternité afin de plaire à l’humanité et de l’instruire»: «Croyez-en ma parole, le malheureux Homère n’a jamais aspiré à de semblables pensées. Il a écrit une suite de chants et de rhapsodies, destinée à être chantés par lui pour de petits gains et de la bonne chère. Il a fait L'Iliade pour les hommes et L'Odyssée pour l’autre sexe. »
8. La première édition imprimée d’Homère parut à Florence en 1488. Elle fut préparée par Chalcocondyle d’Athènes, savant immigré qui enseignait le grec en Italie. Une autre date importante des études homériques fut la publication en 1795 des Prolegomena ad Homerum («Introduction à Homère») de F. A. Wolf, dans lesquels il essaya de prouver que L'Iliade et L'Odyssée n’étaient pas l’œuvre d’un auteur unique, mais le mélange d’un grand nombre de poèmes transmis oralement, et unifiés par un travail ultérieur. De célèbres traductions en vers furent écrites à l’âge élisabéthain, par George Chapman (qui a inspiré le sonnet de Keats On first looking into Chapman 's Homer, et, dans les années 1720, par Alexander Pope. Le jugement de Bentley sur la traduction de Pope est bien connu: «un très joli poème, mais il ne faut pas qu’il l’appelle Homère». L'Odyssée de Pope contient un vers qui devint bientôt célèbre, Welcome the coming, speed the parting guest («Bienvenue à l’hôte qui arrive, bonne chance à celui qui s’en va»). Les traductions en prose de la fin de l’époque victorienne, de L'Iliade par Lang et par Myers, et de L'Odyssée par Butcher et Lang, écrites en un anglais délibérément archaïque et noble, s’en tiennent étroitement à l’original. Les traductions de E. V. Rieu, pleines de verve, dans le style de la conversation et souvent assez libres, eurent beaucoup de succès.
Homère. Tout ce qu’on sait sur ce poète possède un caractère légendaire. Cependant, ce qui paraît acquis, c’est qu’il a existé un poète de génie auquel on peut donner son nom, et qu’il a vécu en Ionie au début de l’époque archaïque. Plusieurs villes d’Asie Mineure et des îles avoisinantes se sont disputé l’honneur de lui avoir donné le jour ou d’avoir accueilli sa tombe, mais il est bien possible qu’il ait appartenu à une famille d’aèdes vivant dans l’île de Chios, où, à une époque postérieure, résidait une dynastie d’aèdes se transmettant la tradition épique d’Homère et appelés les homérides. On place son existence au Xe ou au IXe s. av. J.-C., mais il semblerait qu’il ait plutôt vécu au VIIIe s. C’est en tout cas la date la plus communément admise comme étant celle de la rédaction des deux grands poèmes épiques qu’on lui attribue : l'Iliade et l'Odyssée. Ces deux poèmes ont nourri toute la sensibilité des Grecs, qui les étudiaient dès leur enfance et dans lesquels ils trouvaient des modèles tout autant de comportement que de pensée. On a pu dire qu’ils ont été leur « Bible », de sorte que les temps « héroïques » décrits par Homère ont pu influer sur tout le comportement historique des Grecs. Ainsi Alexandre le Grand emporta dans ses campagnes les deux poèmes, et plus d’une des ses actions trahit sa fervente admiration pour Achille.
homérique (période). On entend par période homérique les coutumes et les croyances qui constituent le fond de ces deux poèmes, mais qui, à des faits contemporains de l’auteur, joignent des faits appartenant à l’époque antérieure, où les Achéens, maîtres de la Grèce, vont à la conquête de Troie avant de voir leur civilisation détruite par les Doriens ; période dite des « âges obscurs », qui sépare la fin du monde mycénien de la naissance de la cité — polis — au VIIIe s. Mais les poèmes homériques, comme source historique, doivent être pris avec précaution. Œuvre littéraire avant tout, le monde décrit par Homère participe autant de la réalité (celle des « âges obscurs » et de la période où vit l’auteur) que d’un imaginaire qui nous renvoie aux temps héroïques de la civilisation achéenne. Il est parfois bien difficile de distinguer ces différents niveaux.

 

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