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Histoire et violence : Le marquis de Sade



Violence et sexualité : L'érotisme de Sade
La différence entre la sexualité animale et la sexualité humaine = présence de la loi cad du langage et de l'interdit. Chez l'animal, sexe sans loi, pas d'interdit de l'inceste. Chez l'homme, la sexualité est limitée par des interdits, des tabous. L'homme nie sa propre animalité en s'éduquant, c'est-à-dire en s'imposant des interdits - ceux qui portent sur la mort ou sur l'inceste témoignant clairement de cette négation de l'animalité. Selon G. Bataille, les interdits s'articulent autour de deux interdits fondamentaux : la mort et de la sexualité. Deux facteurs de désordre contradictoires avec la vie sociale, et sur lesquels, de ce fait, pèsent tabous et interdits. Mais ces interdits fondent en retour le désir de la transgression. L'érotisme est transgression de ces interdits. Pas de libération sans loi à transgresser. Une société sans tabou empêcherait tout libertinage. D'où l'érotisme ultime du meurtre ou de la torture d'un Sade pour qui le dernier des érotismes est la mort (= « thanatos »). La mort est l'acte ultime de l'amour. Érotisme de la pulsion de mort, nocturne. Sadisme sadien = délinquance sexuelle, relationnelle : jouir de la douleur infligée, imposée à autrui sans qu'il l'ait voulu.
Difficile de faire un portrait du marquis de Sade: soit un avant-gardiste révolutionnaire, soit le dernier féodal réactionnaire. Sade est simultanément révolutionnaire et conservateur, égoïste et généreux, répugnant et sublime, féministe et misogyne, détestable et « divin ». L'œuvre la plus sulfureuse de la littérature. Sade = un enfant terrible des Lumières. La part d'ombre, la part cachée des Lumières. Sade est un progressiste qui s'en prend aux progressistes. Le plus excessif des philosophes. Sonder les abîmes de l'âme humaine, le retour du refoulé chrétien. Détestation de toutes les normes et de tous les carcans sociaux, moraux et religieux. Pour les uns, un penseur de la liberté, pour les autres, un penseur de la cruauté. Il dresse de lui-même ce portrait: « Extrême en tout, d'un dérèglement d'imagination sur les mœurs, qui de la vie n'a eu son pareil, athée jusqu'au fanatisme, en deux mots me voilà. ».
Sade a-t-il mis sa vie dans son œuvre ou son œuvre dans sa vie?



Sade (Donatien Alphonse François), marquis de = Né en 1740 à Paris. Haute et vieille famille aristocratique de Provence. Naissance dans le luxe et l'abondance. Enfant « hautain, despote et colère » dit-il de lui. Le monde est fait pour lui obéir. Famille de sang royal. Père (Jean-Baptiste comte de Sade) diplomate, lettré, séduisant et libertin. Mère (Marie-Eléonore) absente et dépressive (brisée par la perte de 2 enfants en bas-âge). Elle se retirera dans un couvent. Il est élevé par un oncle (Jacques-François de Sade), prêtre mais lui aussi libertin et débauché! Il surprend son oncle au cours de ses « parties fines »! En 1755, Donatien découvre la sexualité au contact de son père qui lui présente ses maîtresses et l'amène dans les maisons closes ! Son père devient son modèle en libertinage. Le credo du père: suivre ses désirs hors de toute préoccupation morale. Donatien sera inconsolable de la mort de son père. Études chez les jésuites. Lycée à Louis-le-Grand. Entre dans l'armée. Officier (capitaine) pendant 9 ans. Il a déjà la réputation d'être joueur, prodigue, violent et débauché. Le 17 mai 1763, Renée-Pélagie Cordier de Launay de Montreuil (noblesse de robe) devient son épouse. Femme aimant son mari et supportant ses frasques. Le marquis fréquente les actrices, les prostituées, les lieux de plaisirs. Sexualité de plus en plus violente. Aventure amoureuse avec sa belle sœur (Anne-Prospère/Sophie de Launay, sœur de sa femme et chanoinesse)! On aurait retrouvé des ossements humains dans sa propriété de Lacoste (Vaucluse). Cynique, opportunisme politique (il est contre la peine de mort car il la risque !). Révolutionnaire par intérêt mais royaliste de cœur. Délinquant sexuel, relationnel (plaisir éprouvé à la souffrance que l'on inflige = sadisme).
3 affaires de mœurs connues:
Sa belle-mère (Madame de Montreuil) le dénonce par « lettre de cachet » (1777). Il fera 30 ans de prison notamment à la Bastille: « Les entractes de ma vie ont été trop longs. » dira-t-il à la fin de sa vie. Enfermé par tous les régimes politiques (Ancien Régime, Révolution, Empire) Détention très aménagée pour l'aristocrate qu'il est (domestique, meubles, bibliothèque, droit de visite). Condamné à l'auto-érotisme. Doublement incarcéré entre les murs et en lui-même, son exutoire sera l'écriture. Sade cherchera dans son imaginaire érotique des compensations à son emprisonnement. Écrire pour ne pas tomber fou. Il attend d'être libéré mais ne l'est jamais. Arithmomanie. Il meurt, obèse, à Charenton (asile-prison d'aliénés) en 1814. Pratique le théâtre avec les aliénés. Il ne veut pas de sépulture chrétienne. Tombe sans nom. Il est redécouvert par les surréalistes via Apollinaire : il devient le « divin marquis ».
Érotisme féodal (sans le consentement de l'autre), aristocratique (inégalitaire): inégalité des hommes, distinction de nature entre victimes et bourreaux. Impératif catégorique du sadisme: « Faites aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'ils vous fassent. ». Alliance entre la jouissance et la souffrance = « Algolagnie » (« algos » = douleur et « lagnia » = volupté). Étroit entrelacs de la douleur et du plaisir. Part de plaisir dans la douleur et part de douleur dans le plaisir. L'étreinte n'est pas une fusion mais une lutte, une mise à mort. La douleur de la victime cause le plaisir du bourreau. Erotisme de la cruauté, éthique de la méchanceté: l'autre est un moyen pour ma propre fin, ma propre jouissance. Anti-kantisme de Sade: la loi du désir contre la loi morale. Instrumentalisation, animalisation, avilissement de l'autre. Surtout des femmes. Détestation du féminin chez la femme. Haine de la mère: on est mal-aimant car on a été mal-aimé. Haine de la procréation, de la maternité, de la jouissance des femmes. Apologie de la sodomie. Détestation des enfants (sauf des siens!). Anti-rousseauisme de Sade: la Nature est cruelle, l'homme est méchant. Le mal n'est pas un accident du bien. Il est l'essence de la nature de l'homme. « Des loups mangent des agneaux, des agneaux dévorés par des loups; le fort qui sacrifie le faible, le faible la victime du fort: voilà la nature, voilà ses vues, voilà ses plans. » (« La Nouvelle Justine »). Mais, comme Rousseau, il conteste à la société de son temps mais pour des raisons opposées au philosophe genevois. La Nature est le lieu du crime permanent, où chacun lutte contre tous pour sa propre survie. Darwinisme sexuel. Parti pris pour le bourreau contre la victime. Règne des forts sur les faibles (« êtres secondaires »). Il s'agit d'imiter la Nature dans sa cruauté: « La cruauté, bien loin d'être un vice, est le premier sentiment qu'inspire en nous la nature; l'enfant brise son hochet, mord le téton de sa nourrice, étrangle son oiseau, bien avant d'avoir l'âge de raison. » (« La philosophie dans le boudoir »). La cruauté est le « premier sentiment » de la nature. Destructivité de la nature (pestes, guerres, famines) dont les criminels sont les serviteurs utiles. Si c'est la nature elle-même qui cause la cruauté, il ne faut pas en blâmer l'homme. Inversion des valeurs chrétiennes: contre la pitié, la charité, la compassion, la bienveillance, la bienfaisance, la famille, le mariage. Invitation au satanisme: « Soyons inhumains et barbares ! ». Sexe sans loi. Sexe sans limite. Le corps débarrassé de Dieu et de la morale est un corps féroce. Soleil noir.
20 février 1781: « Oui, je suis libertin, je l'avoue ; j'ai conçu tout ce qu'on peut concevoir dans ce genre-là, mais je n'ai sûrement pas fait tout ce que j'ai conçu et ne le ferai sûrement jamais. Je suis un libertin, mais je ne suis pas un criminel ni un meurtrier. » (Lettre à sa femme Renée-Pélagie).
« Cent-vingt journées de Sodome » = Evangile du mal. « L'enfer sur papier bible ». Gigantesque catalogue encyclopédique de perversions (600 passions). Fiction d'enfermement. Dans le château de Silling, au-delà du Rhin, dans la Forêt-Noire, 4 libertins (juge, duc, curé, financier) se livrent à des orgies avec 42 victimes qui toutes mourront à l'issue des 4 mois de cette orgie ultime. Les femmes ne sont là que pour satisfaire les perversions des libertins, les « seigneurs » : « Etres faibles et enchaînés, uniquement destinés à nos plaisirs. ». Sexualité aliénée. Crescendo, spirale de violence : 150 passions simples, 150 passions doubles, 150 passions criminelles, 150 passions meurtrières. Catalogue de l'horreur. Livre où se succèdent des scènes sexuelles (toutes les perversions : pédication, voyeurisme, pédophilie, scatologie, ondinisme, maïeusophilie, infanticide, inceste, triolisme, coprophilie, saphisme, acrotomophilie, émetophilie, zoophilie, nécrophilie, taquinisme, saphisme, nécrophagie, irrumations, gamahuchages, fustigations, sodomisations, éjaculations, gérontophilie, fétichisme, cannibalisme, viols, tortures, mutilations, homicides, etc.) et des dissertations philosophiques. Les héros sadiens échauffent leur corps et philosophent ensuite. Sade fait entrer la philosophie dans dans un espace sexuel. Pas de pensée sans corps. Matérialisme (tout est matériel), athéisme (« athée jusqu'au fanatisme »), sensualisme (« Je jouis donc je suis »), fatalisme (on naît victime ou bourreau). Roman pré-fasciste, univers pré-totalitaire. Apologie chez Sade de la rafle, de la déportation, de la sélection, de l'enfermement, du tatouage, de la tonte, du règlement, du registre (comptabilisation des victimes des libertins), de l'extermination. Animalisation, marchandisation des femmes. Imminence de la mort. A la devise républicaine « Liberté, égalité, fraternité », Sade substitue la devise d'une érotique féodale (contre autrui, sans son consentement): « Fatalité, inégalité, cruauté » (≠ L'érotisme républicain et contractuel d'un Sacher Masoch: https://fr.wikipedia.org/wiki/Masochisme_de_Leopold_von_Sacher-Masoch). Sade croit son manuscrit des « 120 journées » perdu lors de la prise de la Bastille, et, en pleure des « larmes de sang ». On retrouvera le manuscrit en 1903 en Allemagne !
Concept d'« isolisme » dans l'œuvre du marquis (= version sadienne, sexuelle du « solipsisme » philosophique) = La matérialité de mon être ne peut pas entrer en communication avec la matérialité d'un autre être. Je suis seul face à la totalité du monde, à la totalité de l'humanité. Je suis clos sur moi-même. L'autre est clos sur lui-même. Logique des forces ou des chocs. La monade n'a pas de fenêtres (Leibniz). Chacun est comme enfermé dans son sac de peau. Invaginé en lui-même. Chacun est emmuré vivant dans son blockhaus intérieur. Je ne jouis jamais la jouissance de l'autre. Je ne souffre jamais la souffrance de l'autre. Si je jouis, c'est moi qui jouis. Si je souffre, c'est moi qui souffre. Je ne jouis pas la jouissance de l'autre, je ne souffre pas la souffrance de l'autre. Ma jouissance n'est pas augmentée par celle de l'autre. La jouissance de l'autre amoindrit ma propre jouissance. Insularité du moi. Égoïsme sexuel intégral chez Sade : on jouit seul. Amour = faire du sexe avec l'autre en ne pensant qu'à soi. Fracture radicale entre les hommes. Éthique de l'incommunicabilité, de l'interchangeabilité. Sexualité sans âme, ni flamme. Logique tragique de l'isolement. Égotisme et individualisme forcenés : il n'y a que le moi qui importe et le reste du monde n'est fait que pour mes caprices et mes fantaisies. Le monde est ma chose. Autrui est ma chose. Je suis seul face au monde, face aux autres. Déni de l'humanité de l'autre. Chosification, animalisation, sexualisation d'autrui. Le sexe comme prédation. L'amour est une lutte à mort.
Critique de Sade :
Sur Justine : http://www.devoir-de-philosophie.com/dissertations_pdf/29152.pdf






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