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HEGEL : PAS DE RÉELLE PENSÉE SANS LANGAGE

3. Le langage comme condition de la pensée.

 
Thèse de Hegel: « C'est dans le mot que nous pensons. » « La pensée demeure incommensurable avec le langage » (Bergson)
Pour Hegel (début XIXe) : L'ineffable, c'est la pensée informe, c'est-à-dire une pensée usurpée, une pensée qui n'en est pas vraiment une. Pour mériter ce nom, pour être vraiment la pensée, celle-ci doit en passer par l'épreuve de l'explicitation.
// « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément. » Boileau (1636 – 1711) = l'énonciation claire est la condition de la bonne conception.
Pourquoi faire un brouillon avant une dissertation ? Pour expliciter le flux d'abord confus de l'inspiration qui nous traverse, pour incarner cette matière, cette pensée virtuelle en une réalité objective, réalité que les mots que nous écrivons lui donnent. Plus la pensée est faible, plus la maîtrise de la langue est fragile.
Oscar Wilde = « nos pensées naissent tout habillées ». Ce qui signifie que la pensée est un langage intérieur, un dialogue de l’âme avec elle-même. La pensée est inséparable des mots à travers lesquels elle s’exprime.
Une pensée au-delà du langage (Bergson) n'est pas autre chose qu'une pensée qui n'existe pas encore, qu'il n'est pas de pensée sans langage, qu'une pensée non formulée dans le langage n'est qu'un fantôme qui s'évanouit aussitôt qu'il surgit.
Le langage est le véhicule approprié de la pensée.
Les paroles ne trahissent pas en fait notre pensée. Nos sentiments et nos impressions, qui nous paraissent inexprimables ou mal rendus par les possibilités expressives de la langue, ne sont en fait que confus. Ineffable = « la nuit où toutes les vaches sont noires » (Hegel)
 
« C'est dans le mot que nous pensons. […] Par conséquent, vouloir penser sans les mots est une tentative insensée. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu'il y a de plus haut, c'est l'ineffable. Mais c'est là une opinion superficielle et sans fondement ; car en réalité, ce qu’on nomme l’ineffable n’est rien d’autre que le non vrai, l’irrationnel, […], l’ineffable c’est la pensée obscur, la pensée à l’état de fermentation (*) qui ne devient clair que lorsqu’elle rencontre le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et plus vraie. » HEGEL.

 (*) Par la métaphore de la "fermentation", Hegel montre que la pensée avant le mot n'est que virtuelle, qu'elle doit devenir ce qu'elle est, et que, comme tout ce qui fermente, elle peut moisir, et ne germera qu'avec le mot qui est bien ainsi la condition du passage des linéaments de la pensée à la pensée proprement dit: ce qui ne sait se formuler ne mérite pas le nom de pensée.


Conclusion / Synthèse :



Sans le langage, la pensée resterait inexprimable. Sans la pensée, le langage resterait un outil inutile. Il y a donc interaction entre la pensée et le langage. Ces deux fonctions sont solidaires, co-originaires.
Ainsi que l'écrit Jean Piaget dans Problèmes de psychologie génétique : « Il y a une intelligence avant le langage, mais il n 'y a pas de pensée avant le langage. »
 
Illustration : Lorsque l’on a un médiocre niveau dans une langue étrangère, on ne pourra exprimer que de médiocres pensées.
Problématisation partie suivante: S'il n'y a de pensée que dans et par le langage (Hegel) et de langage que dans et par la pensée (Descartes), ne peut-on pas craindre que notre pensée soit modelée par notre langage (ou plus précisément par notre langue)? Le langage n'instaure-t-il pas une certaine vision du monde ? Les frontières de mon langage sont-elles les frontières de mon monde ?

Cours résumé IA :






HEGEL : PAS DE RÉELLE PENSÉE SANS LANGAGE

Contre la thèse plaçant la pensée dans sa réalité profonde au-delà du langage, lequel ne saurait l'exprimer parfaitement, Hegel pense au contraire que la véritable pensée, la pensée réfléchie, ne se réalise que dans et par le langage.
« C’est dans les mots que nous pensons. Nous n’avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et par suite nous les marquons d’une forme externe, mais d'une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute. C'est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l'externe et l'interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c'est une tentative insensée. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu'il y a de plus haut, c'est l’ineffable. Mais c’est là une opinion superficielle et sans fondement ; car, en réalité, l'ineffable, c’est la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. » Hegel, Philosophie de l'esprit.

ordre des idées

1) Un fait fondamental : Nous pensons dans les mots.
2) Une explication : Une pensée réelle, achevée et déterminée, doit être une pensée consciente. Or dès qu'un sujet qui pense a conscience de ses pensées, ses pensées sont posées pour lui comme des « objets » de sa conscience, c'est-à-dire qu'elles sont posées comme séparées du sujet qui les pense, en d'autre termes, le sujet leur donne une « forme objective ». Cette forme objective, c'est le mot (= quand une pensée est formulée en mots, elle est objectivée, elle devient quelque chose de distinct du sujet qui l'a pensée).
3) Une conséquence : il y a une double absurdité à — vouloir penser sans le langage ; — considérer le langage comme quelque chose qui gêne la pensée. La pensée qu'on prétend informulable par le langage, l'ineffable, n'est donc en réalité qu'une pensée obscure, non achevée.


Hegel : 1770-1831. Naquit à Stuttgart. Étudia au séminaire de Tübingen où il connut Schelling. Nommé professeur à l'université d'Iéna en 1806, il publia en 1807 La Phénoménologie de l'esprit. En 1818 il fut nommé à l'université de Berlin. Sa philosophie est centrée sur l'idée de l'intelligibilité complète : le réel est rationnel. Œuvres principales : Logique, 1812-1816 ; Leçons sur la philosophie de l'histoire (posthume).

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