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Fichte: Raison

Raison

• La raison fîchtéenne, héritière de la raison kantienne, en est cependant la concrétisation. Alors que, chez Kant, la raison est originairement séparée, dans l’être raisonnable fini qu’est l’homme, de la sensibilité à laquelle elle impose son identité du dehors, Fichte étend son pouvoir jusqu’à lui faire poser en elle le sensible en son sens de sensible. Elle unifie donc dû dedans, de façon immanente, une nature qu’elle peut ainsi par principe progressivement spiritualiser à travers la culture. Le contenu du rationalisme fîchtéen est par là, aussi bien dans l’usage théorique que dans l’usage pratique de la raison, moins formel que celui du rationalisme kantien, et sa méthode, la déduction et non plus la simple subsomption ou soumission, en liant plus intimement la forme et la matière du connaître et du faire, accroît la systématicité ou la scientificité du discours philosophique.

•• Pour Kant, la raison, en tant que telle, est bien attribuée à des personnes, mais elle est en elle-même pure universalité, non pas singularité ; Fichte, en revanche, la définit comme la singularité universelle. Kant la comprenait bien, en tant qu’unifîcation, comme spontanéité ou activité, à l’opposé de la réception sensible ou passive du divers ; Fichte discerne que, l’agir n’étant vraiment tel que s’il ne s’exerce pas sur autre chose que lui qui, comme tel, le limiterait et en ferait un pâtir, mais est agir sur l’agir, agir sur soi, réflexion même de l’agir sur lui-même, la raison est l’être-pour-soi de l’universel, le Moi en son sens général, la Moïté. Le grand ouvrage sur le droit naturel commence par cette définition de la raison : « Le caractère de la rationalité consiste en ceci que l’agissant et l’objet de l’action sont une seule et même chose ; et cette caractérisation épuise la sphère comme telle de la raison. L’usage de la langue a déposé ce concept élevé... dans le mot Moi ; c’est pourquoi la raison en général a été caractérisée par la Moïté » (SW, 3, p. 1). Une telle transparence à soi de l’activité rationnelle fait que tout ce qui est pour et dans la raison est par elle, même si cette présence s’explique par sa limitation originaire. Toute la vie de la raison finie, du Moi dont nous avons l’expérience, consiste bien à s’expliquer, à se rendre intelligible, à identifier à son propre être, ce qu’elle saisit d’abord comme son Autre, comme un Non-Moi, comme un objet, à se libérer concrètement de celui-ci. La raison fîchtéenne ne fait pas simplement postuler la liberté, elle est l’auto-affîrmation même de la liberté. Le principe suprême de la raison est bien celui de l’indépendance de l’être raisonnable, en tant que raisonnable : la raison est pour elle-même, et, pour elle, il n’y a aussi qu’elle-même. D’où l’optimisme absolu, théorique et pratique, du rationalisme de Fichte.

••• Cependant, cet optimisme est celui d’un rationalisme militant, non pas triomphant, et c’est ce qui fera, notamment aux yeux d’un Hegel, sa limite. Donner sens à son Autre, poser sa propre négation dans l’agir en soi limité de l’effort, bref : rationaliser la fînitude de la raison, ce n’est pas la supprimer. Ne faut-il pas dire alors que la raison fîchtéenne ne peut pas rendre raison d’elle-même comme raison finie ? La différence entre l’auto-position du Moi dans le premier principe et son opposition à soi dans le deuxième principe n’est-elle pas, pour la première Doctrine de la science, insurmontable ? Tout comme, dans la dernière, est infranchissable l’hiatus entre l’Etre et son être-là ou son savoir ? Il est vrai qu’un tel irrationnel n’est lui-même là que pour une raison ! Et, qui plus est, pour une raison qui se sait précisément finie !

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