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Fernando Arrabal

Né à Melilla en 1932. Enfant, vit la guerre civile espagnole et la dictature franquiste dont son père, républicain, sera une victime tandis que sa mère, catholique et royaliste, accepte l’ordre et la terreur nouveaux. Arrivé en France en 1955 avec une bourse, Arrabal s’y exilera. Il écrit ses pièces directement en français. Mais son œuvre ne s’impose en France qu 'assez lentement grâce aux mises en scène de Jorge Lavelli, Victor Garcia et Jérôme Savary, alors que sa renommée est beaucoup plus rapide et importante à l’étranger (notamment en Amérique). Néanmoins, dans les années 60, Arrabal devient peu à peu le « pape » d’une certaine avant-garde théâtrale : le théâtre « panique ». En 196 7, étant retourné en Espagne pour une séance de signatures, il est emprisonné dix semaines à la prison de Carabanchel pour avoir écrit la dédicace suivante : « Je me fous de Dieu, de la Patrie et de tout le reste. » Après la mort de Franco, et la libéralisation du régime, Arrabal est enfin joué et découvert par le public espagnol. Marquée par l’horreur goyesque de la guerre civile, l’œuvre d’Arrabal est peuplée de terreurs et de fantasmes, de victimes et de tortionnaires, d’enfants pervers et meurtriers (Fando et Lis), de violence et de provocation. Procédant d’une rage iconoclaste, elle s’en prend à tous les mythes, même à ceux qui paraissent être les plus sacrés pour l’auteur, mouvement irrésistible d’autodérision. Ainsi, dans Guemica (1961), symbole de la Passion et de la résistance du peuple basque au fascis me, les martyrs sont représentés par deux vieillards pleurnichards. Destructeur au départ, singeant même la crucifixion dans le Cimetière des voitures, le théâtre d’Arrabal va évoluer vers une forme rituellique qui réintroduit quelque peu une dimension sacrée au sein d’un univers chaplinesque et déboussolé. Issues du théâtre de l’absurde, les pièces d’Arrabal mettent en scène des personnages inadaptés à un monde toujours cruel. Ainsi, dans Pique-nique en campagne, les parents du soldat Zapo apportent à leur fils des provisions jusqu’au champ de bataille. Tout ce joli monde capture le soldat ennemi Zepo. On l’invite néanmoins à partager le pique-nique. Ils seront tous tués par une rafale de mitrailleuse. Ailleurs, des couples laissent parler leurs rêves, leurs fantasmes, leurs désirs, dans un style comico-onirique où la spontanéité se mêle au sadisme. Puis, sous l’influence conjuguée du surréalisme, du théâtre de la cruauté d’Artaud, du happening, et des expériences théâtrales menées en Amérique par le Living Theater ou en Pologne par Grotowski, Arrabal va s’orienter vers un théâtre « panique », un théâtre qui préconise le retour aux sources dionysiaques, le mélange du théâtre et de la vie, du désir et du rêve, la libération de l’individu aliéné. L’arme privilégiée, c’est l’agression sur tous les fronts de l’acteur et du spectateur. «Nous faisons du théâtre une fête, une cérémonie d’une ordonnance rigoureuse. La tragédie et le guignol, l’amour et l’érotisme, le happening et la théorie des ensembles, le mauvais goût et le raffinement esthétique, le sacrilège et le sacré, la mise à mort et l’exaltation de la vie, le sordide et le sublime s’insèrent tout naturellement dans cette fête, cette cérémonie “panique ” » (Commentaire au Théâtre IV). Le théâtre est un « opéra mundi » où se jouent tous les fantasmes. Arrabal refuse le langage dit «poétique», la véritable poésie naissant pour lui du cauchemar, « des relations qu 'entretiennent le quotidien et l’imaginaire ». La dérision vise paradoxalement à une sacralisation de l’acte théâtral qui devient sublime, porteur de nouveaux espoirs en la création artistique. Si dans l’Architecte et l’Empereur d’Assyrie, Arrabal écrit : « Tout ce qu’il y a d’atroce, de nauséabond, de fétide et de vulgaire se trouve résumé en un mot : Dieu », il n’empêche que le rite cannibalique qui préside à l’évolution des deux personnages débouche sur une dialectique quasi-mystique de la métaphysique et de l’obscénité. De cela, Arrabal fait à nouveau table rase après 1968, avec des pièces plus politiques où le cérémonial cède le pas à la représentation clownesque des effets du capitalisme comme dans Bella ciao ou la guerre de mille ans (1972). Mais après ce détour par un antithéâtre gauchisant, Arrabal semble être revenu à ses racines, à ses thèmes obsessionnels les plus forts, les plus tragiques et les plus poétiques aussi. Par exemple, dans la pièce Sur le fil que l’on a pu voir à l’automne 1975 au Théâtre de l’Atelier, réapparaît l’univers de son film Vivà la muerte !, la quête de l’enfance et de la liberté perdues, à travers une expérience funambulique du langage et de l’imagination qui, entre ciel et terre, touchent à l’essentiel. Malgré ses inégalités, ses outrances et ses complaisances, l’œuvre d’Arrabal occupe une place de choix dans « le grand cérémonial » du théâtre contemporain auquel il aura fait redécouvrir, à la suite d’Artaud, les vertus du jeu et du rituel, la force décapante de l’univers onirique, le labyrinthe d’un imaginaire traversé par une fantasmatique sado-masochiste qui est, quoi qu’on veuille, le signe de notre époque.

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