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FAIT DIVERS AU COUVENT


Dans son Dialogue des miracles, composé entre 1219 et 1223, le cistercien Césaire de Heisterbach rapporte plusieurs cas de suicides (ou de tentatives de suicide) commis par des moines ou des moniales, poussés vers cette tentation par le désespoir, provoqué par l’« acédie », dégoût de Dieu, de soi et du monde.
« Voilà quelques mois, une moniale, chargée d’ans, et d’une grande sainteté, à ce que l’on disait, fut entraînée dans le vice de “ tristesse ” et, tourmentée par l’esprit de blasphème, de doute et de méfiance, en vint à tomber dans le désespoir. Elle se mit à douter de tout ce en quoi elle avait cru et croyait depuis toute petite et refusa, malgré les objurgations, de communier aux divins sacrements.
Quand les sœurs, comme ses neveux charnels, lui demandaient pourquoi elle s’obstinait, elle répondait : “Je suis au nombre des réprouvés, de ceux qui sont damnés. ” « Le prieur, fort troublé, lui dit un Jour : “ Sœur, si tu ne renonces pas à ce manque de foi, je te ferai, à ta mort, ensevelir en plein champ”
[au lieu d’avoir une sépulture chrétienne, au cimetière], ,4 ces mots, elle resta silencieuse. Un jour, des sœurs sortirent du monastère pour je ne sais quelle raison, et elle les suivit en cachette. Arrivée sur les rives de la Moselle, au bord de laquelle le monastère était construit, et alors que le bateau qui transportait les sœurs s’était éloigné, elle se jeta dans la rivière. Ceux qui étaient dans le bateau entendirent le bruit d’une chute dans l’eau mais crurent — cherchant à voir ce qu’il en était — qu’il s’agissait d’un chien. Pourtant l’un d’entre eux, poussé par Dieu, voulut en avoir le cœur net, se précipita, entra dans l’eau et en sortit la malheureuse.
« S’apercevant qu’il s’agissait de la moniale, qui déjà suffoquait, ils furent tous terrifiés ; ils lui portèrent secours, elle vomit son eau et, quand elle put parler, ils lui demandèrent : “Mais pourquoi, sœur, avoir agi avec tant de cruauté ? ”Elle répondit ; “ Ce seigneur, montrant du doigt le prieur, m’a menacé de m’enterrer à ma mort en plein champ.
Mais j’ai préféré me Jeter dans les flots que d’être ensevelie comme une bête en plein champ. ” Us s’en revinrent au monastère, et l’entourèrent des plus grands soins.
« Voici comment l’esprit mauvais mût du désespoir. Depuis son enfance, cette femme avait été élevée au monastère ; ce fut une vierge chaste, dévote, de mœurs austères, pieuse. Et d’après ce que m’a rapporté la maîtresse des novices du monastère voisin, toutes les jeunes filles qu’elle avait instruites étaient plus disciplinées et plus dévotes que les autres vierges. J’espère seulement que Dieu, qui est très miséricordieux, qui tente ses lus de diverses façons, qui l’a libérée de la rivière avec autant de miséricorde, considérera ses peines passées et ne permettra pas sa mort.
« Je pourrais te raconter de nombreux exemples de désespoir de cette sorte qui se sont passés récemment, mais je crains qu’il ne convienne pas que des êtres faibles moralement les lisent ou les entendent. »

(Éd. Joseph Strange, Cologne, 1851,1.1, p. 209-210, trad. Jacques Berlioz.)

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