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Extase (Ekstasis) - Schelling

Extase (Ekstasis)

• Ne doit pas être confondue avec ce que le vocabulaire religieux ou mystique entend par ce terme. Il ne s’agit pas d’un ravissement (raptus), mais, à rigoureusement parler, de l'être-posé-hors-de-soi. •• Le terme d’extase, qui n’entre à vrai dire qu’assez tardivement dans le lexique schellingien, ne fait au fond qu’approfondir et radicaliser ce que dit déjà celui d’existence : « l’existence, dont le nom ne signifie au fond rien d’autre qu’ extase ». Ce terme souligne la dimension d’extériorité radicale de ce qui ne se contente pas d’être, mais s’arrache au contraire à cette bienheureuse torpeur (« tout à la douceur d’être et de n’être pas », dirait Valéry) pour être hors de soi.

••• Le terme d'extase et son importance ont été mis en relief par de récentes interprétations de Schelling (J.-Fr. Courtine, puis M. C. Challiol-Gillet, après Luigi Pareyson). « Extase » est une vox anceps, qui indique de manière générale l’éloignement ou le « dérangement » (Entsetzung) de quelque chose qui ne se trouve plus à sa place, toute la question étant de savoir si son nouvel emplacement lui revient (extase au bon sens du terme, ou salutaire), ou si ce qui vient l’occuper y est parfaitement déplacé (extase au mauvais sens du terme, ou maléfique). Il convient de ne pas oublier que le terme grec ekstasis appartient, au moins depuis Aristote, à un lexique strictement philosophique, comme chez Heidegger encore. Schelling n’ignore pas le phénomène mystique ou parapsychique de l’extase dans son lien avec le magnétisme alors en vogue, et il évoque prudemment dans Clara ce mode de relation privilégié avec ceux qui se sont endormis du sommeil de la mort, ou avec le « monde des esprits » ; Franz von Baader avait publié en 1817-18 un opuscule sur l’extase ou l’état de ravissement de ceux qui parlent en état d’hypnose. Mais de cette extase magnétique il faut distinguer rigoureusement l’extase spéculative, celle qui fait dire à Schelling que « la raison est extatique », l’« extase de la raison ». L’extase dit la confrontation de la raison à l’extériorité. Elle est ainsi une exigence purement et pleinement rationnelle, qui, loin d’équivaloir à une démission ou à une abdication de la raison, met la raison au défi d’accueillir ce qui l’excède et la traumatise, ce qui s’offre à elle tout en la débordant, l’étonnant au sens hamannien. Face au pur existant, la raison est frappée de stupeur, ébahie, atterrée, subjuguée et comme anéantie, comme en une sorte de vertige qui la saisit au bord de l’abîme. Les termes expressifs et suggestifs dans lesquels l’extase se trouve décrite rejoignent souvent le vocabulaire de la frayeur religieuse. Mais l’abîme de la raison n’engloutit que la pensée incapable de se reprendre, qui cède et succombe à son propre vertige. Le propre de la raison est de ne pas se laisser abattre, de se remettre de ce à quoi il lui a d’abord fallu se soumettre. L’extase de la raison articule, comme un moment charnière, philosophie négative et philosophie positive, qui ont toutes deux pour ainsi dire l’extase en commun, celle-là comme sa fin, celle-ci comme son commencement. Elle est le point cardinal dans la mesure où la philosophie négative va du discours au silence, et la philosophie positive du silence au discours.

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