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Ethnie, tribu, des concepts passe-partout

Ethnie, tribu, des concepts passe-partout L'idée selon laquelle il existe une hiérarchie entre des sociétés occupant des positions voisines dans l'espace n'est pas nouvelle. Les Grecs opposaient ainsi les ethnè (sing. ethnos) et la polis ("cité"). Les sociétés de culture grecque, mais auxquelles "manquait" l'organisation en cités-États, étaient des ethnè. L'ethnologie prise au pied de la lettre serait donc une science des sociétés "apolitiques" et privées, à ce titre, d'être des "sujets" de leur propre histoire. Pendant longtemps, on n'a établi aucune distinction entre les populations européennes et les tribus du reste du monde qui étaient désignées du terme de nation. Ce n'est qu'à partir du XIXe siècle que le sens ancien du mot ethnie a été repris par les théoriciens modernes, mais uniquement en référence à une problématique raciale. Dans l'Essai sur l'inégalité de races humaines (1854), le Français Joseph Gobineau utilise l'adjectif ethnique d'une façon ambiguë. D'un côté, il est employé concurremment avec les notions de race, de nation et de civilisation, mais par ailleurs on a également le sentiment que le mot désigne chez lui le mélange des races et la "dégénérescence" qui en résulte. C'est à peu près le même sens et la même ambiguïté qu'on retrouve chez Vacher de Lapouge qui est le premier à avoir introduit la notion d'ethnie dans la langue française. Dans son livre Les Sélections sociales (1896), il tente de rendre compte de la séparation de populations racialement homogènes dont les différents segments entrent en contact avec d'autres races, et finissent - par la cohabitation prolongée avec celles-ci - à ressembler, du fait de la mixité linguistique et culturelle, davantage à ces dernières qu'au segment initial dont elles s'étaient séparées. Ces nouveaux ensembles, que l'auteur nomme nations, peuvent cependant à leur tour être morcelés sans que cesse l'attraction entre leurs parties dissociées. Pour signifier cette cohésion de groupe, Vacher de Lapouge utilise les termes d'ethne ou d'ethnie, le premier vocable lui semblant plus correct et le second plus facile à prononcer. Plus tard, la définition strictement raciale du concept d'ethnie chez certains auteurs comme le Russe G. M. Shirokogoroff influencera à la fois les anthropologues racistes sud-africains et les anthropologues soviétiques qui s'en serviront pour définir la notion de narodnost, unité sociale de base des investigations anthropologiques en URSS et fondement de la politique d'exclusion des minorités. L'apparition et la spécification tardives des termes tribu et ethnie conduisent à poser le problème de la congruence entre une période historique (domination européenne sur le reste de la planète) et l'utilisation de ces notions. Si ces termes ont acquis un usage généralisé au détriment d'autres mots comme celui de nation, c'est sans doute qu'il s'agissait de classer à part certaines sociétés en leur déniant une qualité spécifique. Cette qualité qui les rendait dissemblables et inférieures à nos propres sociétés, c'est l'historicité, et en ce sens les notions d'ethnie et de tribu sont liées aux autres distinctions par lesquelles s'opère le grand partage entre anthropologie et sociologie: société sans histoire/société à histoire, société préindustrielle/société industrielle, société sans écriture/société à écriture, communauté/société.

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