Conjoncture : Nouvelles technologies de l'information et de la communication (2005-2006)
Conjoncture : Nouvelles technologies de l'information et de la communication (2005-2006)
Dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), quatre thématiques ont dominé l'année 2005-2006 : une mise en débat de la société de l'information à l'échelle mondiale ; le durcissement des « fractures numériques » et l'émergence d'initiatives pour les contrer ; l'extension de pratiques associées au logiciel libre vers de nouveau domaines d'échange ; la popularité croissante des réseaux de diffusion sans fil.
Sommet mondial sur la société de l'information
Organisée par l'Union internationale des télécommunications (UIT, agence de l'ONU), la deuxième phase du Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI) – après le « sommet » de Genève en 2003 – s'est tenue à Tunis (16-18 novembre 2005), réunissant près de 20 000 participants. À côté des représentants officiels des gouvernements et des entreprises, de milliers d'experts et journalistes, les débats ont mobilisé, pour la première fois, des représentants de la « société civile » qui pouvaient officiellement prendre part aux débats. Le Global Knowledge Partnership (GKP), réseau de bailleurs de fonds et porte-parole d'organisations non gouvernementales (ONG), a ainsi préparé 41 ateliers. La présence des réseaux internationaux de militants altermondialistes s'en est consolidée lors de ce « sommet ».
L'économiste américain Eli Noam (université de Columbia) a soutenu que le SMSI avait été l'occasion de voir apparaître un troisième visage d'Internet, davantage politisé (après le premier, apolitique, des informaticiens créateurs d'Internet, et le deuxième, marchand, suscité par l'émergence du marché néolibéral des dotcom – entreprises dont l'activité se fait sur Internet – à partir de 1995). Bien que plusieurs observateurs aient douté du poids politique des porte-parole de la « société civile » dans les décisions issues de ce « sommet », force est de constater que ces nouveaux réseaux de militants avaient permis de débattre publiquement des orientations du développement technologique dans les sociétés du Nord et du Sud. Si l'objectif avoué du SMSI était la mise en place d'une institution internationale ayant pour finalité d'organiser la « gouvernance d'Internet », pour contrebalancer l'influence écrasante des États-Unis via l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, organisme américain contrôlant tous les noms de domaines), de nombreux débats furent consacrés aux stratégies possibles pour contrer les « fractures numériques ».
Fracture numérique : projet d'ordinateur portable à 100 dollars
L'expression de « fracture numérique » (digital divide) a intégré les discours des décideurs politiques. Ce terme désigne les inégalités constatées à l'échelle du monde dans l'accès aux équipements et aux réseaux, de même que dans la capacité de contribuer à la diffusion d'informations et à la production de connaissances nouvelles via ces moyens techniques. Ces disparités sont liées aux inégalités socioéconomiques, souvent exacerbées par la mise en place d'infrastructures technologiques et par l'offre de nouveaux dispositifs pour communiquer. Ces déséquilibres suivent les lignes de clivage entre pays du Nord et du Sud, entre zones urbaines et rurales, entre segments scolarisés ou non, économiquement favorisés ou non, à l'échelle du globe. Ce phénomène de développement inégal est perçu comme « technocentré » et ne tenant pas suffisamment compte de la diversité culturelle et linguistique des populations concernées.
Le projet de création d'un ordinateur portable au coût de 100 dollars É-U a été développé par le Media Lab du Massachusetts Institute of Technology (MIT), aux fins de contribuer à combler ce « fossé numérique », et présenté au SMSI de Tunis ; le projet n'aurait apparemment aucune visée commerciale (pas de vente aux particuliers). Des négociations ont été engagées avec les autorités de différents pays, notamment le Brésil, le Cambodge et l'Argentine, pour l'achat et la diffusion de masse. Ce projet visant, selon ses promoteurs, à favoriser le développement intellectuel et la créativité des enfants des pays pauvres par l'activité informatique a suscité des critiques de la part d'organisations militantes latino-américaines (notamment au sein du collectif électronique Mistica). Selon ces groupes, au-delà de la question du coût de l'équipement se pose celle de l'appropriation de l'outil selon les contextes sociaux et culturels. Certains questionnaient les implications de la possession de ce portable pour la sécurité des enfants des bidonvilles. D'autres s'interrogeaient sur l'élimination écologique des ordinateurs une fois qu'ils seraient périmés. Par ailleurs, de nombreux pays en développement présentent des cultures d'usage collectif. Ainsi en est-il des « télécentres » servant de points de rencontre et de service pour les communautés concernées, en Amérique latine et en Afrique notamment. Certaines organisations craignaient que les dépenses considérables engendrées par ce projet – perçu comme une « solution » provenant de l'avant-garde technologique des pays du Nord – ne privent les États destinataires de sommesécessaires au développement d'infrastructures.
Alternatives sociotechniques : extension du domaine du logiciel libre
Les tenants du logiciel libre – free software ou open source – proposent un modèle de développement du logiciel où le code source est librement accessible, modifiable et réutilisable par tous. Ces perspectives – nées au milieu des années 1980 aux États-Unis – ont suscité un vaste mouvement de coopération à l'échelle internationale, qui a permis la production de logiciels dont quelques-uns, tels Firefox et OpenOffice, sont maintenant largement diffusés. Le logiciel libre a suscité depuis 1999 l'intérêt de différents gouvernements, en particulier en Amérique latine. Le Brésil a ainsi adopté des mesures de passage au logiciel libre au sein de son administration, notamment par la mise en place de télécentres les utilisant. Au Vénézuela, un décret du gouvernement Chavez amènera l'ensemble de l'administration publique à migrer vers le logiciel libre à échéance de la fin 2006. Même si cette évolution risquait de prendre plus de temps que prévu, l'implantation se poursuivait par la mise en place de formations universitaires en « informatique libre » et par la création d'entreprises sociales de « services en libre ».
Le modèle du « libre » s'est progressivement étendu à d'autres types de contenus numériques. Des initiatives sont apparues visant à maintenir les œuvres numériques dans le domaine public. L'ensemble de licences Creative Commons, qui laisse à l'auteur le choix des protections qu'il souhaite accorder à son œuvre, est le cas le plus connu inspiré directement du modèle légal du logiciel libre. Wikipedia, encyclopédie en ligne créée de façon coopérative le 15 janvier 2001 et dont le contenu est libre d'utilisation, apparaît aussi comme un cas d'extension du domaine du « libre ».
Cette situation semblait loin d'être stabilisée, les grandes industries des médias et du logiciel « propriétaire » cherchant à exclure le logiciel libre de secteurs éventuellement rentables, en particulier les outils multimédias et l'informatique mobile (lecteurs multimédias, streaming vidéo – consultation de contenus sans téléchargement – systèmes informatiques intégrés dans les téléphones portables).
Infrastructures : les réseaux sans fil
Les technologies sans fil se sont banalisées dans plusieurs parties du monde : téléphones mobiles, ordinateurs portables, télécommandes pour appareils domestiques. L'étape nouvelle consiste à implanter des réseaux sans fil (WiFi) dans lesquels au moins deux terminaux peuvent communiquer sans liaison filaire. Un utilisateur a ainsi la possibilité de rester connecté tout en se déplaçant dans un périmètre géographique déterminé. Tant dans les milieux urbains des sociétés informatisées que dans les régions où les infrastructures de télécommunications sont déficientes (zones rurales, pays en développement), les réseaux sans fil permettent d'assurer la connexion au sein d'importants segments de population en évitant le coût de la mise en place d'infrastructures lourdes. Dans bien des cas, de telles initiatives proviennent de très petits entrepreneurs privés (TPE), voire de groupes associatifs, plutôt que des grands opérateurs de télécommunications, même si ceux-ci sont de plus en plus présents dans ce secteur. Organisés autour du travail de bénévoles, certains groupes associatifs impliqués dans ces projets définissent leur action comme une participation citoyenne à la vie de leur communauté. À Montréal, l'organisme Île sans fil (regroupant une quarantaine de volontaires) a mis en place un réseau de points d'accès gratuits dans une cinquantaine de cafés de la ville. D'autres groupes similaires ont émergé comme NYC Wireless (New York), Paris sans fil ou Seattle Wireless. La liaison entre ces initiatives en matière de « sans fil » a pris la forme d'une alternative sociotechnique comme l'ont montré le Sommet mondial pour les infrastructures libres, tenu à Londres en septembre 2005, ou le National Summit for Community Wireless Networks, organisé à Saint Louis (Missouri) en mars 2006.