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Conjoncture : biotechnologies (2005-2006)

Conjoncture : biotechnologies (2005-2006) Les débats en cours autour des OGM (organismes génétiquement modifiés), cellules souches, brevets et géno-banques alimentent, dans de nombreux pays, les « guerres des biosciences », qui se sont substituées, depuis les années 2000, aux « guerres culturelles ». Les biotechnologies confortent, à travers leurs extraordinaires avancées, l'imaginaire de puissance des sociétés contemporaines. Des outils empruntés à l'ingénierie automatisée, à la robotique et à l'informatique équipent désormais les plates-formes biotechnologiques des laboratoires à travers le monde. Synthétiseurs de gènes, séquenceurs de protéines, bio-puces, robots automatisés, bio-banques, et puissants logiciels explorent les structures moléculaires des micro-organismes, des végétaux, des animaux et des humains. Ces outils imposent une cadence endiablée à la bio-industrie, amplifiant la compétition entre les compagnies, privilégiant les produits commercialisables, exigeant des sociétés biotechnologiques une capitalisation sans cesse plus forte et suscitant des questionnements éthiques inédits. Les scientifiques du secteur continuent à être divisés sur les conséquences de leurs recherches. On prend de plus en plus conscience du fait qu'il revient aux gouvernements et à l'ensemble de la société de décider, en dernière instance, du bien-fondé de ces évolutions. Une bio-industrie mondialisée de plus en plus compétitive La Chine, l'Inde, le Brésil et d'autres pays du Sud comptent aujourd'hui parmi les acteurs majeurs de la bio-industrie. Les conditions sont désormais présentes dans ces pays pour des recherches biotechnologiques de pointe : équipement adéquat des laboratoires ; aide gouvernementale accrue ; collaboration accentuée entre universités, industrie et instituts technologiques ; consolidation de pôles d'excellence ; allégement des normes administratives et éthiques ; création de bureaux de transfert biotechnologique ; retour au pays, surtout en Inde, des biologistes, informaticiens et ingénieurs travaillant à l'étranger. 134 000 brevets relevant en majorité des biotechnologies ont été déposés en 2005 à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (soit 9,4 % de plus qu'en 2004), émanant des États-Unis à hauteur de 33,6 %, du Japon (18,8 %), de l'Allemagne (11,8 %) et de France (4,1 %). La Chine (1,8 %) a enregistré la plus forte croissance (plus de 40 %). À la suite de récentes fusions, quelque dix groupes pharmaceutiques (Glaxo SmithKline, Pfizer, Eli Lilly, Merck...) se partageaient en 2006 environ 50 % du marché mondial des médicaments, générant des bénéfices colossaux pour leurs actionnaires et finançant la R&D en proportion des profits des ventes. La « Big Pharma » se maintenait en excellente position sur les marchés boursiers. En conséquence, le complexe médico-industriel se désintéresse des patients non rentables : seuls 10 % de la R&D concernent les maladies affectant 90 % de la population du globe (paludisme, tuberculose, sida). Une vigoureuse industrie pharmaceutique se met en place au Brésil, en Thaïlande, en Afrique du Sud, au Kénya, en Chine et particulièrement en Inde, laquelle fournit 22 % des médicaments génériques du monde et une part importante des vaccins destinés aux pays en développement (PED). Dans les pays du Sud, l'industrie pharmaceutique est en effet largement basée sur la production de génériques et s'oppose à la « Big Pharma » sur la question des brevets depuis que la loi du 23 mars 2005, adoptée par l'OMC, interdit la copie des médicaments. À la conférence de l'OMC de Hong Kong, en décembre 2005, les pays africains ont réclamé d'adopter un système de règles stables pour l'importation des génériques ; démarche infructeuse puisque le principe des clauses dérogatoires s'est maintenu. En 2005-2006, le spectre d'une épidémie mondiale de grippe aviaire a fait renaître les débats sur la nécessité de contourner les brevets, les laboratoires produisant les antiviraux n'ayant pas la capacité de contrer le virus H5N1 à grande échelle. Cette épidémie virtuelle tend cependant à masquer les maladies bien réelles qui, à elles seules, démontrent l'inadéquation du régime actuel des brevets. Clones et OGM : des marchés d'avenir Le clonage commercial des animaux de compagnie (chat, chien) a commencé, à des coûts avoisinant les 30 000 dollars É-U l'unité. Par ailleurs, on élève déjà des centaines de cochons, de vaches et d'autres animaux clonés aux États-Unis et la Food and Drug Administration pourrait prochainement autoriser la vente du lait et de la viande d'animaux clonés. En Europe, le principe de précaution a continué à prévaloir concernant l'utilisation de produits issus de clones, et l'étiquetage est exigé pour les produits transgéniques. L'industrie agroalimentaire devra se situer face à des consommateurs de plus en plus résistants, du moins en Europe, à l'introduction des produits génétiquement modifiés dans les supermarchés. Sur le front des plantes et des semences, le transgénique a poursuivi sa progression sous la pression de Monsanto, DuPont, Syngenta, Bayer, regroupés dans la multinationale AgroBio, dont l'objectif est de créer partout « un climat propice à l'utilisation des biotechnologies dans l'agriculture ». Les principaux pays africains producteurs de coton ont demandé que soit dissocié le dossier coton de celui de l'agriculture à l'OMC, réclamant notamment de pouvoir discuter de l'introduction des OGM que les États-Unis tentent d'imposer dans leurs rapports bilatéraux avec les pays d'Afrique. Au Mexique, de grosses entreprises privées comme Maseca achètent le maïs à grande échelle et exigent une uniformisation de la marchandise, disqualifiant le maïs criollo, issu de semences traditionnelles non brevetées. Sous la pression des multinationales de l'agroalimentaire, le Parlement mexicain a voté le 16 février 2005 une loi sur la biosécurité autorisant la culture des OGM (interdite depuis 1999) et l'importation du maïs transgénique. En novembre 2005, le Brésil a été le deuxième pays après l'Inde à interdire les semences Terminator. Ces procédés de génie génétique permettent aux entreprises de commercialiser des plantes dont les semences issues des récoltes sont stériles. Différents mouvements d'opposition ont conduit les multinationales à commencer à retirer les Terminator du marché. Dans la plupart des pays du Sud, les paysans réclament, au nom de la préservation de la biodiversité, le droit à la variété des plantes (adaptées à chaque environnement). Des cadres législatifs très variables Les experts ont confirmé, fin 2005, que le chercheur coréen Hwang Woo-suk avait bel et bien falsifié les résultats de ses recherches sur la production de cellules souches à partir de clones d'embryons humains. L'espoir a ainsi reculé de fabriquer des cellules souches « sur mesure », compatibles avec les gènes d'un individu donné, mais la recherche se poursuivait : en Chine et au Royaume-Uni notamment, la compétition fait rage entre chercheurs récusant toute impossibilité biologique. Des banques de sang provenant du cordon ombilical et du placenta existent depuis plus de dix ans, mais les perspectives de transformer sous peu les cellules totipotentes du sang en cellules permettant de guérir des maladies incurables restaient controversées. La législation sur les cellules souches et le clonage varient d'un pays à l'autre. Mais le clonage reproductif reste unanimement rejeté, sans qu'il existe cependant de traité international l'interdisant. Au niveau du clonage thérapeutique, une différence est faite entre la création de lignées de cellules et l'utilisation de cellules déjà créées. Des chercheurs anglais de Newcastle ont été autorisés à remplacer le noyau d'un ovule surnuméraire (prélevé sur une femme ayant subi une fécondation in vitro) par celui d'une cellule souche embryonnaire humaine provenant d'un échantillon déposé à la banque britannique des cellules souches. De telles pratiques étaient en cours un peu partout sans qu'elles soient encadrées par des règles éthiques précises. En Asie, tout ou presque semblait permis. En Chine, la recherche sur l'embryon n'est pas entravée : aucune loi n'y encadre la recherche sur les cellules souches, pas plus que sur les OGM. En Inde, une quinzaine de laboratoires travaillent sur les cellules souches. En Corée du Sud, la création de lignées de cellules souches embryonnaires humaines est légale sur autorisation gouvernementale. En Europe, le Royaume-Uni, la Belgique et la Suède disposent d'une législation plutôt permissive pour le clonage thérapeutique (obtention de cellules souches par la création d'un embryon), alors que l'Allemagne et l'Italie sont beaucoup plus restrictives. Aux États-Unis, la législation n'autorise les chercheurs à travailler que sur les 22 lignées créées avant août 2001 ; les chercheurs du Massachusetts Institue of Technology (MIT) et de l'Advanced Cell Technology travaillent à produire des cellules souches sans détruire l'embryon, ce qui réduirait une partie des problèmes éthiques. De nombreux pays occidentaux comptent recourir à des marqueurs génétiques et biométriques stockés sur des cartes à puce électronique comme méthode d'identification de leurs citoyens. Les États-Unis ont déjà recours à des contrôles aux frontières utilisant la biométrie des personnes, procédures qui ont commencé à se répandre en Europe. Au Canada, la question de l'adoption d'une carte d'identité nationale à haute sécurité pouvant contenir des marqueurs biométriques était en discussion. La porte était ainsi ouverte à un contrôle de plus en plus grand des individus, sur fond d'eugénisme. C'est dans une lecture, désormais possible, du génome de chaque individu que l'on risque de vouloir débusquer l'identité, au détriment des marqueurs sociaux.

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