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Claude Faraggi

Né le 8 mai 1942. Licencié en philosophie. Enseigne dans un établissement de la région parisienne. Premier roman remarqué en 1965 : les Dieux de sable. Prix Fénéon en 1972 pour le Signe de la bête, son quatrième livre. Le sixième, le Maître d’heure, s ’est vu décerner le Prix Femina en 1975. «La réalité est malade », cette phrase du Maître d’heure résume parfaitement l’ensemble de l’œuvre de Faraggi et la quête qui s’ensuit. Le Fou du jour était déjà l’histoire d’un homme qui renonce à tout à cause de cette maladie du réel qui se nomme métier, femme, maison, règles, société. Le narrateur leur échappe, attiré qu’il est par le mystère de la nature, la splendeur solaire de la Provence, la vie « vraie » des marginaux qu’il rencontre : un berger algérien, un assassin, une folle, personnages qui se fondent, épousent le vent, la terre et les saisons. Ainsi rejoint-il des racines trop longtemps ignorées, au cours d’un récit de contre-apprentissage au lyrisme violent mais maîtrisé. La quête s’achève sur une réconciliation : « Quelle fête le monde ! » Les livres suivants de Claude Faraggi iront beaucoup plus loin. Dans le Signe de la bête, notamment, roman à la structure complexe et à l’écriture dense, charriant minéraux « vulgaires » et « précieux » en un même mouvement d’intériorisation. Un archéologue arrive en Crète avec sa femme pour entreprendre des fouilles qui lui révéleront, outre un palais minoéen, le destin irréversible qui le pousse vers la destruction. Plus l'inventaire « approfondit », — strates de récit superposées, entremêlées (mais selon une architecture extrêmement précise et pensée) —, et plus le décodage des lieux et des êtres prend une dimension tragique. Les rapports de l’archéologue avec sa femme se dégradent, jusqu’au bord des gouffres les plus insondables. En effet, l’anecdote (le divorce, la séparation) est toujours dépassée pour atteindre aux mythes. L’écriture se minéralisé au fur et à mesure de la classification des objets et des sentiments. Et parallèlement se développe la bestialité du mari-minotaure. Un soir, il viole sa femme dans une tranchée du chantier. Blessures incessantes, à vif, qui, paradoxalement, accentuent le processus de fossilisation. En des lieux abstraits, anonymes, indéterminés, hors des sentiers du pittoresque et de l’anecdote, se joue le drame essentiel du désir et de la possession, de l’identité et de l’absence. Le Signe de la bête est probablement le livre de Faraggi le plus ambitieux, le plus « fouillé », et sans doute le plus beau. Mais l’Eau et les cendres est à nouveau un roman de la déchirure. Thomas B. se confesse à un narrateur-confesseur. A noter chez Faraggi cet anonymat fréquent des êtres et des lieux qui ressemble à celui de Le Clézio. Il y a chez ces deux écrivains le même refus de la psychologie individuelle, la même recherche de la fracture, de la béance par laquelle s’expriment les forces telluriques qui assiègent la conscience humaine. Nous sommes à nouveau dans une île comme dans le Signe de la bête, dans des paysages monotones cette fois, et morbidement abstraits. Ces lieux d’apocalypse, semble-t-il, épousent le désarroi de Thomas B., cinéaste qui déteste ses propres films. A cet échec s’en ajoute un autre d’ordre sentimental : la séparation d’avec sa femme. Ce double échec lui souffle à travers ses errances dans l’île comme un désir de destruction. La mort se présente à lui sous la forme d’un cadavre de chien empalé sur un pieu. Les fantasmes doivent être poussés à l’excès (— autre trait commun à tous ces jeunes écrivains que l’on pourrait nommer « nouveaux lyriques » —) pour prétendre à quelque valeur révélatrice. Car, en fin de compte, malgré la désolation, l’emporte le pouvoir des mots qui, nommant la « ténébreuse mise à nu », réintroduit « le sens des choses et des êtres ». Cette révélation surgira à nouveau à la fin du Maître d’heure, récit envoûtant de l’initiation de l’ingénieur Hugo. Un ingénieur après un archéologue et un cinéaste, voilà qui montre la continuité de la quête de Claude Faraggi. De même que le thème du voyage, du dépaysement qui conduit ici Hugo dans un village où il doit poursuivre la construction d’une voie ferrée sur un chantier délaissé depuis la disparition mystérieuse de son prédécesseur. La quête intérieure est toujours liée, enracinée dans le matériel, l’organique — autre trait commun avec Le Clézio. Hugo perçoit les pulsations souterraines de la vie du village, ausculte ses strates minérales, imagine son mécanisme intérieur. Mais un autre personnage, le maître d’heure, peintre en cadran) cherche lui aussi à lire la réalité profonde du village et de ses habitants. Son travail sur l’horloge du village, il ne l’achèvera pas, arrêté par les froideurs de l’hiver. Par contre, Hugo, qui lui ne s’élève pas au-dessus de la réalité sur un échafaudage, mais s’enfonce dans le tunnel qu’il creuse sous le village, Hugo, lui, finira par découvrir une grotte funéraire ornée de fresques. Cette « ronde de mort » lui enseignera que les images vraies sont celles-là et que la réalité du dehors n’en est qu’un reflet trompeur, — magnifique inversion du mythe platonicien. Ainsi s’achève l’initiation en ce lieu où « rêver et voir se rejoignent ». Tant pas son sens d’une fantasmatique très moderne, que par la qualité de sa prose qui vise, en un baroque très étudié, à la poésie, Claude Faraggi est peut-être l’un des écrivains de la génération montante dont il est permis de penser qu’il durera. ► Bibliographie

Les Dieux de sable, Grasset, 1965 ; le Fou du jour, Grasset, 1967 ; l'Effroi, Mercure de France, 1969 ; le Signe de la bête, Mercure de France, 1971 ; l'Eau et les cendrés, Mercure de France, 1974 ; le Maître d'heure, Mercure de France, 1975.

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