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Cinquante millions de réfugiés et de déplacés vivent une précarité durable

Cinquante millions de réfugiés et de déplacés vivent une précarité durable S’il y a une illusion dont les années quatre-vingt-dix ont dû faire le deuil, c’est bien celle que la fin de la « guerre froide » allait contribuer à l’arrêt des guerres et à la résolution de la question des réfugiés. Non seulement leur nombre a massivement augmenté, mais la nature du problème est devenue plus complexe. Il est vrai que, depuis la chute du bloc soviétique et la vague de démocratisation qui a suivi, des conflits longs et meurtriers ont pris fin en Afrique (Éthiopie, Mozambique et Afrique du Sud) et en Amérique centrale (El Salvador, Guatémala), et que des millions de réfugiés ont pu regagner leur pays. Mais la nouvelle donne géopolitique a aussi réveillé des tensions. Dans les Balkans, dans le Caucase et en Afrique centrale, on a assisté dans la décennie quatre-vingt-dix aux plus importants mouvements de populations (respectivement de plus de quatre, de neuf et de trois millions de personnes) depuis 1945. Dans certains pays comme l’Afghanistan ou la Somalie, une situation de guerre civile durable s’est instaurée. À ces cas s’ajoutent toutes les situations antérieures et non résolues d’errance, d’apatridie et de nationalité contestée, comme celle des Palestiniens, des Kurdes, ou des Tsiganes. Aujourd’hui, le phénomène des réfugiés s’inscrit dans la problématique plus large du déplacement forcé de populations. Les réfugiés au sens juridique de la convention de Genève (1951) ne sont que 13 millions parmi les 50 millions de victimes de déplacements forcés. Pour tous les autres, on a vu une floraison d’appellations diverses (personnes déplacées, dispersées, rapatriées, regroupées, demandeuses d’asile, etc.) correspondant à différentes formes de déplacement forcé : « nettoyage ethnique », expulsion massive, transfert de population, ou encore rapatriement non volontaire. Malgré leur diversité, ces situations posent le problème essentiel de la protection des populations en situation de guerre. Déplacements forcés : une tactique de guerre Le déplacement forcé est devenu une question d’actualité très sensible en raison de la multiplication des guerres civiles observée dans les années quatre-vingt-dix, mais aussi des nouvelles formes qu’elles ont prises. Outre, de la part des belligérants, le viol du droit humanitaire international, le déplacement forcé est utilisé comme une tactique de guerre visant à créer des sociétés culturellement et ethniquement homogènes ou bien à couper les mouvements rebelles de la population des réfugiés. En conséquence, la population civile devient elle-même la cible directe des attaques. La fuite de plus de un million de Kurdes d’Irak après la guerre du Golfe (1991), le déplacement de près de quatre millions de personnes en ex-Yougoslavie et de deux millions au Libéria, l’évacuation massive de deux millions de Hutu rwandais vers l’ex-Zaïre après le génocide contre les Tutsi en 1994 ou le regroupement et la réinstallation de force de populations civiles au Sud-Soudan, au Rwanda ou au Burundi ont clairement révélé ces tendances. Dans le Caucase ou en Afrique centrale, la situation présente en outre comme caractéristiques que plusieurs États contigus, plongés dans leurs propres guerres civiles, hébergent et manipulent souvent les réfugiés des autres. Les conflits internes deviennent la continuation de conflits interétatiques et vice versa. Conduite par une coalition d’États, la guerre dans l’ex-Zaïre, en 1996-1997, a été motivée par la volonté de réduire la menace des camps de réfugiés hutu, véritables « sanctuaires humanitaires » pour les auteurs du génocide rwandais de 1994 et lieux de prédation économique et de violence. Pendant la guerre, plus de 600 000 réfugiés sont rentrés au Rwanda, mais des dizaines de milliers ont été traqués, massacrés dans les forêts du Congo. À côté de ces flux de populations victimes d’expulsions répétées, la création de réseaux paramilitaires, les trafics d’armes et la multiplication des alliances ont continué à nourrir l’instabilité régionale. En 1998, la seconde guerre du Congo a commencé. Sept États africains sont entrés en guerre, dont au moins cinq en proie à un conflit interne se jouant en partie sur le territoire du Congo-Kinshasa. Des populations de moins en moins protégées La protection des réfugiés et déplacés s’est parallèlement dégradée. D’une part, l’accès aux victimes est de plus en plus difficile et doit faire l’objet de négociations avec les autorités gouvernementales ou avec les guérillas. D’autre part, les pays d’asile ne sont plus à même ou ne veulent plus assurer la sécurité des réfugiés. Comme, dans la plupart des cas, les demandeurs d’asile représentent des masses de population importantes, les pays d’accueil respectent de moins en moins les conventions internationales, en particulier le principe du non-refoulement. Les statuts de réfugiés sont délivrés au compte-gouttes, comme on l’a vu pour les réfugiés bosniaques en Europe. Les pays riches, qui considèrent désormais la plupart des demandeurs d’asile comme des « migrants économiques », cherchent à limiter les arrivées sur leurs territoires et le débat sur le « partage du fardeau » traduit leur tendance à se constituer en « forteresses ». Dans ces circonstances, l’accent est mis sur le rapatriement, dont les programmes ont connu une intensification au début des années 1990. Bien qu’une dizaine de millions de réfugiés aient pu être rapatriés, on observe là aussi une certaine détérioration de leur niveau de protection. Le principe du libre consentement et du rapatriement dans la « sécurité et la dignité » est apparu de plus en plus souvent bafoué. Parfois les réfugiés doivent partir sous la contrainte des pays d’accueil, parfois c’est la dégradation de la sécurité dans les pays d’asile qui les pousse à rentrer en plein conflit, comme cela a été le cas pour les réfugiés afghans du Pakistan. Une fois chez eux, les rapatriés peuvent être victimes de représailles ou d’attaques visant à empêcher leur réintégration et ils rencontrent souvent des problèmes juridiques liés à leur citoyenneté ou leurs droits de propriété. Face à ces problèmes, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), dont le mandat initial est la protection des réfugiés, a vu ses opérations d’assistance humanitaire croître très rapidement au sein même des pays en conflit et a étendu de facto son rôle à la protection des déplacés et rapatriés. Depuis les années cinquante, le HCR s’occupait, en collaboration avec les pays d’asile, de personnes qui avaient traversé une frontière pour cause de persécution individuelle. Aujourd’hui, il est confronté non plus aux problèmes particuliers des réfugiés, mais à la problématique du déplacement forcé en général et, partant, de la guerre. Certains lui reprochent son implication dans des programmes d’assistance aux déplacés, comme en Bosnie, dont on peut considérer que l’un des effets pervers a été d’accompagner le nettoyage ethnique, ou encore dans des programmes de rapatriement dans des pays « non sûrs ». Mais le dilemme du HCR se retrouve fidèlement dans les ambiguïtés de la réponse internationale à la crise du Kosovo : les pays de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord) ont bombardé la Serbie pour protéger les Albanais du Kosovo et, dans le même temps, ils ont été forcés d’accepter chez eux le produit du nettoyage ethnique. Certains experts et organisations ont proposé, s’agissant du problème des déplacés et victimes de guerre, de nouvelles codifications juridiques ou la création d’un organisme spécialisé. Mais cela peut faire craindre qu’une renégociation du statut de réfugié fasse plutôt reculer le droit. Par ailleurs, la production d’un nouveau droit ne réglera pas le problème des pratiques de guerre, de même qu’il ne pourra pas masquer la contradiction de plus en plus visible entre neutralité humanitaire et protection.


PRÉCARITÉ, n.f. Caractère de ce qui est fragile, incertain, instable, éphémère ou passager. La précarité de l’emploi (son instabilité). La précarité d’un cessez-le-feu (il ne dure pas longtemps). Une santé précaire (fragile). Un bonheur précaire.

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