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CAMOËNS (Luis Vaz dé Camôes)

CAMOËNS (Luis Vaz dé Camôes). Poète portugais. Né à Lisbonne — mais on a dit parfois à Coïmbre ou à Santarem — vers 1525, année de la mort du navigateur Vasco de Gama dont il devait célébrer les aventures dans ses Lusiades, mort à Lisbonne le 8 juin 1580. Fils d'un capitaine de vaisseau de la marine royale qui devait périr en 1552 au cours d'un naufrage au large de Goa, Camoëns était issu d'une famille noble mais pauvre, originaire de Galice et passée au service du roi de Portugal vers la fin du XIVe siècle. Après avoir fait ses études à l'Université de Coïmbre où il eut d'excellents maîtres comme Diogo de Gouvea, Pero Nunez, François Brissot, il se rendit à la Cour et se lia d'amitié avec plusieurs personnages influents, en particulier Constantin de Bragance, qu'il devait retrouver plus tard vice-roi des Indes, Emmanuel de Portugal, auquel il dédia plusieurs de ses poèmes et Antonio de Noronha. En 1552, un incident marqua le début de cette longue suite de malheurs divers qui accablèrent Camoëns pendant toute son existence : au cours d'une procession de la Fête-Dieu, le jeune poète blessa d'un coup d'épée Gonzalo Borges, suivant du roi, et se vit jeté en prison pendant quelques mois. Peu après sa libération, il se prit d'une violente passion pour Catherine d'Atay de, demoiselle d'honneur de la Reine et soeur du favori du roi Jean III (la « Nater-cia » de ses vers) : dans un de ses sonnets, Camoëns évoquera leur première rencontre, qui aurait eu lieu pendant un office dans l'église « das Chayas » de Lisbonne, mais peut-être le poète a-t-il seulement voulu faire rapprocher ses propres amours de la célèbre rencontre de Laure et de Pétrarque. Quelques vers enflammés adressés à Catherine d'Atayde suscitèrent la colère du père de celle-ci, qui porta plainte contre Camoëns oui fut aussitôt exilé à Santarem, dans l'Estremadure portugaise, où il commença son poème des Lusiades. Sa mésaventure lui avait fait perdre tous ses protecteurs, mais il obtint l'autorisation de faire partie d'une expédition dirigée par Alfonso de Noronha contre les Maures du Maroc. Il quitta Lisbonne, décidé à n'y plus reparaître, et, selon la tradition, après avoir répété les fameuses paroles que Scipion l'Africain avait fait graver sur son tombeau : « Ingrata patria, ossa mea non possidebis ». Au Maroc, il frôla la mort, perdit l'oeil droit devant Ceuta, et, à son retour à Lisbonne, défiguré, sans aucun espoir désormais de conquérir Catherine d'Atayde, il prit la résolution de s'embarquer pour les Indes, en qualité de simple écuyer, muni seulement d'une somme d'argent dérisoire (1553). Il faillit périr dès le début de son voyage : du convoi dont il faisait partie, tous les vaisseaux sombrèrent au cours d'une tempête, le sien excepté. Arrivé à Goa, il s'émerveilla des fastes de la grande aventure coloniale portugaise, mais se montra également bouleversé par les indignités que commettaient certains de ses compatriotes. En 1555, sa satire des Folies dans l'Inde, où il dénonçait les malversations de Francisco Barreto, gouverneur de la forteresse de Sofala, lui valut de premières difficultés et Berreto, après avoir empêché Camoëns de rentrer au Portugal sans avoir payé d 'abord une somme de deux cents écus d'or, parvint à le faire exiler à Macao en 1556. Dans ce port de la côte chinoise, Camoëns allait d'ailleurs passer plusieurs années paisibles et heureuses, qu'il employa à rédiger la plus grande partie de ses Lusiades; le nouveau vice-roi des Indes, Constantin de Bragance, un de ses amis de jeunesse, lui confia ensuite la charge de « curateur aux biens des morts et des absents », qui assura son existence et lui permit, en 1561, d'obtenir son retour à Goa. Mais le voyage en mer jusqu'à cette ville fut des plus périlleux : pris par un cyclone dans la mer du Siam, à l'embouchure de la rivière Mécou — selon le manuscrit de la VIIIe décade de Diogo de Conto —, le navire où s'était embarqué le poète disparut corps et biens et Camoëns ne se sauva qu'en se jetant à la mer et en gagnant le rivage à la nage, tenant en main hors de l'eau le manuscrit des Lusiades. A Goa d'ailleurs, de nouveaux ennuis l'accueillirent : d'abord accusé d'indélicatesses dans l'exercice de sa charge à Macao, il parvint aisément à se justifier, mais ses nombreux créanciers le firent emprisonner et il ne dut sa liberté qu'à un spirituel placet adressé au nouveau vice-roi, comte de Redendo. Relâché, Camoëns se trouvait une fois de plus dans la misère. Il suivit alors en Mozambique le nouveau gouverneur de cette colonie et arriva avec lui à Sofala en 1567; mais, bientôt brouillé avec ce nouveau protecteur, sa situation devint intenable, il dut faire appel à quelques amis de la métropole; grâce à eux il quitta le Mozambique en 1569 et rentra à Lisbonne en juin 1570. C'est là, deux ans plus tard, après avoir obtenu non sans peine 1 autorisation du Saint-Office, qu'il fit paraître Les Lusiades, fort bien accueillies, qui lui valurent l'admiration et la protection du roi Dom Sébastien, successeur de Jean III; mais le souverain disparut bientôt au combat d'Alquazar-Quivir et Camoëns perdit alors tout appui officiel. Le succès de son poème ne l'avait d'ailleurs pas délivré de la misère : la pension que lui avait accordée Dom Sébastien ne dépassait pas la valeur d'une centaine de francs-or (15 000 reis) et Camoëns, écoeuré par les vices de la Cour, désespéré par les malheurs de son pays prêt à tomber sous la coupe de Philippe II, allait mourir sur un grabat, après avoir passé les derniers mois de sa vie au milieu de l'indifférence et dans le dénuement le plus complet, au point qu'on raconte qu'il ne put subsister que grâce au dévouement de son fidèle esclave javanais Antonio qui allait, pendant la nuit, demander l'aumône pour son maître dans les rues de Lisbonne. De son vivant, cependant, Camoëns avait été reconnu et célébré par ses pairs, par Le Tasse qui lui dédiait un magnifique sonnet, par Lope de Vega qui mit son nom au début d'une de ses comédies et, à sa mort, lui consacra un éloge en prose, où il proclamait Camoëns « le prince des poètes ». Le chantre de Vasco de Gama, dont les troisième et quatrième centenaires, en 1880 et en 1925, furent marqués au Portugal par des fêtes triomphales, a d'ailleurs inspiré à son tour des écrivains, en particulier une nouvelle du romantique allemand Ludwig Tieck et l'épopée d'Âlmeida Garret, Camoëns (1825). Autant de marques du rayonnement de son oeuvre. Il n'est pas un des genres littéraires de son temps que Camoëns n'ait abordé. Dans ses Poésies, on trouve des oeuvres didactiques : Épîtres, Satires, Épigrammes, des Églogues — où il s'inspire naturellement de Théocrite et de Virgile, sans les égaler toutefois —, des Odes, des Stances (de six, cinq ou quatre vers), des Élégies, des Sonnets, soit originaux, soit imités de Pétrarque, vaste oeuvre lyrique qui le place au plus haut rang des poètes de son époque, et dont la vertu principale est sans doute une sincérité passionnée. Ses comédies, Amphitryon, imitation pleine de verve de l'oeuvre de Plaute, Philodème, et, plus près de la farce, mais sans doute la meilleure des trois, la Représentation du roi Séleucus, sont des oeuvres de jeunesse, qui ne peuvent prétendre rivaliser avec l'oeuvre théâtrale d'un Gil Vicente, ou même des autres grands auteurs portugais, J. B. Gomès, Manuel Pimenta de Aquias et Antonio Jozé. On peut remarquer que Camoëns, le plus grand des poètes portugais, connaissait et pratiquait aussi bien le castillan que la langue de sa patrie. Non seulement il a écrit en castillan vingt sonnets et deux élégies, mais encore il lui arriva souvent d'achever un sonnet portugais par un vers espagnol. Dans ses comédies, certains personnages parlent une langue et certains l'autre (ainsi, dans la Représentation du roi Séleucus, le roi utilise le portugais et le médecin Erasistrate l'espagnol). Mais, naturellement, Camoëns doit sa gloire mondiale avant tout aux Lusiades, commencées à Santarem, continuées à Ceuta au Maroc, achevées à Macao et parues en 1572, un an après la bataille de Lépante. Le caractère de Camoëns, homme de la Renaissance, s'y épanouit dans sa plénitude, d'abord dans l'extraordinaire ampleur de l'oeuvre (non seulement l'histoire de la découverte des Indes par Vasco de Gama mais, grâce au récit de Gama devant le roi de Mélinde, à partir du 3e chant, toute l'histoire du Portugal); puis par ce mélange, si typique de l'époque, de la mythologie et de l'histoire, du paganisme et de la religion chrétienne, que Camaoëns trouvait chez ses inspirateurs italiens, mais qui a permis à Voltaire — qui n'aimait guère Les Lusiades — d'écrire que « les héros sont chrétiens et le poète est païen ». On peut toutefois se demander si c'est vraiment dans l'épopée que s'affirment la maîtrise et le génie de Camoëns : sans doute a-t-il voulu, dans un effort gigantesque, rassembler toutes les traditions nationales portugaises. Mais on a pu lui reprocher sa régularité, poussée jusqu'à la symétrie, les faiblesses de l'action, la rareté des épisodes pathétiques, touchants, héroïques. Plus qu'un poète épique, Camoëns est un des plus grands lyriques de la littérature mondiale. Si Les Lusiades sont une oeuvre inégale, on a toutefois pu dire qu'elles « fourmillent de descriptions de la nature dépassant en vérité et en intensité toutes les peintures des épopées modernes » (Nicolas Ségur). C'est par là qu'elles restent vivantes, alors qu'est morte par exemple La Henriade de Voltaire. Evocateur aussi bien de la mer et du déchaînement des grandes forces élémentaires d'un univers sauvage que de l'insinuante douceur de l'exotisme — qu'il est, semble-t-il, le premier à introduire dans l'esprit européen — Camoëns demeure comme un paysagiste, ou plutôt un merveilleux musicien de la nature. ? « Magnanime Vasco... quel que soit ton rang au temple de Mémoire, / Tu dois à Camoëns le plus beau de ta gloire : / Sa voix a pénétré plus loin que tes vaisseaux. / C'est par le seul éclat dont sa muse te pare / Qu'il n 'est point sous les cieux de peuple si barbare / Qui n admire ton nom et tes nobles travaux. » Le Tasse. ?« Le prince des poètes... » Lope de Vega. ?« On a fait à Camoëns un reproche de l'intervention des divinités païennes dans les exploits des héros chrétiens; mais il ne nous semble pas qu 'elle produise dans son ouvrage une impression discordante; on y sent très bien que le christianisme est la réalité de la vie, et l'on trouve une sorte de délicatesse à ne pas se servir de ce qui est saint pour les jeux du génie même. » Mme de Staël. ? « C 'était encore un bien riche sujet d 'épopée que celui de la Lusiade. On a peine à concevoir comment un homme du génie de Camoëns n 'en a pas su tirer un plus grand parti. » Chateaubriand. ? « Camoëns et Milton ne sont que des échos magnifiques, l'un de Virgile, l'autre de Moïse, qu'on peut lire après leurs modèles en les élevant au même niveau. » Lamartine. ? « Camoëns eut l'ambition patriotique d'immortaliser toutes les traditions nationales, tous les exploits héroïques et toutes les actions glorieuses des descendants du fameux Lisus, parvenus alors à l'apogée de leur grandeur... S'il a emprunté à Virgile la structure classique du poème et imité la forme de l'Arioste, la conception elle-même est bien à lui et elle est nouvelle et grandiose. Nul autre poète moderne ne sut comme lui entourer d'une semblable richesse de véritable poésie tout ce qui intéresse la vie nationale d'un peuple tout entier. » G. Paulowski. ? Personnelle autant que peut l'être la confession d'une âme tourmentée, cette oeuvre cyclique dépasse les horizons de la Renaissance européenne et marque une étape de la civilisation, celle précisément où le Portugal est à l'avant-garde du progrès. Camoëns, ce disciple attardé de Virgile et de Pétrarque, nous apparaît, quand on le replace dans l'évolution historique, comme le prophète d'un avenir de collaboration entre toutes les races. » G. Le Gentil.


CAMÔES ou CAMOENS, Luis de (Lisbonne, 1524-id., 1580). Poète portugais, dont l'oeuvre, Les Lusiades (Os Lusiadas), publiée en 1572, est devenue l'épopée nationale du Portugal. Après de brillantes études à Coimbra, Camôes vécut une existence aventureuse et difficile, qui le mena en Afrique, en Extrême-Orient et aux Indes, puis il mourut dans la misère. Les Lusiades, qui exaltent la valeur et le courage des Portugais, racontent la vie des héros nationaux et les Grandes Découvertes.

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