BOLL Heinrich
BOLL Heinrich. Écrivain allemand. Né à Cologne le 21 décembre 1917. Écrivain de renommée internationale, le plus lu des auteurs allemands contemporains, Prix Nobel de littérature en 1972. Dans un essai autobiographique, Sur moi-même [1958], Bôll cite deux instances décisives qui permettent de le situer « sociologiquement » : une famille libérale, ouverte au monde de l'art (le père est sculpteur, ébéniste) et la ville de Cologne, avec son contraste entre la bourgeoisie catholique et le prolétariat « rouge ». Böll a quinze ans lorsque les nazis pénètrent dans Cologne. Il fréquente alors le lycée et se refuse à entrer dans les rangs des Jeunesses hitlériennes : « Pas seulement pour des raisons morales ou politiques, mais aussi pour des raisons esthétiques : je n'aimais pas leur uniforme, et la marche à pied m'a toujours laissé indifférent. » Après le baccalauréat, Bôll entre en apprentissage chez un libraire. En 1938-39, il est enrôlé au service du Travail, puis appelé sous les drapeaux dès le début des hostilités. Les hasards de la guerre le conduisent, six ans durant, sur tous les fronts dans des wagons sous l'étiquette « 6 chevaux ou 40 hommes » : Pologne, France, Russie..., avant d'être fait prisonnier par les Américains. En 1945, Böll retrouve Cologne en ruine. Il s'inscrit à l'Université, aide son frère dans l'atelier familial, travaille au bureau de recensement de la ville... Il vit de sa plume depuis 1951. C'est dans l'atmosphère de désarroi, d'impuissance, d'irrémédiable gâchis de l'immédiat après-guerre que Böll devient écrivain. De 1945 à 1947, il écrit « environ une soixantaine de nouvelles, publiées dans une dizaine de journaux différents » : avec Le Train était à l'heure, les meilleures d'entre elles seront éditées sous le titre Voyageur, viens-tu vers... [1950]. Le genre de la nouvelle convient particulièrement à l'état d'esprit de l'époque : une forme fragmentaire, témoignant de l'impossibilité (du refus) de livrer une interprétation globale et rassurante du réel, forme privilégiée pour rendre compte du quotidien dans un langage dépourvu d'artifice. Böll utilise avec métier toutes les ressources du genre pour construire ses variations sur un même sujet : l'ironie du sort, l'impuissance de l'individu devant l'Histoire. Ces récits lui valent de recevoir, en 1951, le prix du Groupe 47 : début de la notoriété. Le premier roman de Bôll, Où étais-tu, Adam ? [Wo warst du, Adam, 1951] traite encore de la guerre. La guerre vue comme une peste qui afflige l'humanité, métaphore peut-être suspecte aux yeux de certains. Un livre qui, en tout cas, constitue une transition, du point de vue de la manière d'écrire, avec l'uvre à venir : l'intrigue n'est plus concentrée sur un seul témoin, mais se dessine au contraire dans un réseau « d'histoires parallèles ». Avec les romans suivants, Rentrez chez vous, Bogner [1953] et Les Enfants des morts [1954], l'écrivain se tourne vers « l'après » : de la difficulté à recommencer pour ceux qui n'ont plus de père, de modèle, qui ne se « trouvent » plus, même avec le secours des idéologies ou de la religion. Dans Les Deux sacrements [1959], Böll soutient un projet plus ambitieux : raconter l'Histoire contemporaine à travers l'histoire privée d'une famille. La technique narrative élaborée à cet effet fut diversement appréciée. D'aucuns citèrent par exemple le « nouveau roman », tandis que d'autres jugèrent « artificielle cette manière de projeter sur la famille Fähmel des références à l'Allemagne wilhelmienne, fasciste ou fédérale ». On aurait pu croire que Bôll resterait prisonnier du misérabilisme de « la littérature des ruines » (« Trümmerliteratur »), partagé par toute une génération d'écrivains. Or, son uvre prend un essor nouveau avec La Grimace [1963]. Le romancier prend ici ses distances à l'égard de la « restauration » en République Fédérale : bonne conscience et conformisme intellectuel sur fond de miracle économique. Le héros, Hans Schnier, préfère la sincérité du clown à l'hypocrisie de l'honnête homme : il affirme la prétention inouïe de vouloir préserver sa liberté d'individu sous le costume du bouffon. Attitude qui est le fruit d'une vision désabusée de la société, quelque forme qu'elle emprunte : le clown caricature avec la même virulence la bourgeoisie catholique rhénane et les fonctionnaires politiques de la République Démocratique. Attitude narcissique : le clown est entouré de miroirs où il ne rencontre que sa propre image. Böll dessine ici un portrait résigné de l'artiste. Il est caractéristique de l'écrivain qu'au moment où il prend fait et cause, dans ses romans, pour l'individu, il cherche en même temps, par ses essais, ses discours, ses articles, à conjurer la solitude de l'artiste : « uni à mes contemporains, mais sans allié ». Il prend ouvertement position pour le parti social-démocrate (notamment lors des élections décisives de 1972) tout en ne lui ménageant pas ses critiques, en particulier en ce qui concerne son attitude vis-à-vis des extrémistes politiques. Il soutient le combat des écrivains des pays de l'Est pour la liberté d'expression tout en menant en même temps une polémique féroce contre le groupe de presse Springer. Produit de cette immixtion dans l'actualité le récit L'Honneur perdu de Katharina Blum, ou Comment peut naître la violence et où elle peut conduire [1974], dont V. Schlöndorff réalisa dès 1975 l'adaptation cinématographique. L'avertissement révèle la portée de la fable : « L'action et les personnages de ce récit sont imaginaires. Si certaines pratiques journalistiques décrites dans ces pages offrent des ressemblances avec celles du journal Bild, ces ressemblances ne sont ni intentionnelles ni fortuites, mais tout bonnement inévitables. » Intrigue exemplaire : une jeune femme, victime d'une campagne de presse menée par un journal à sensation, assassine le journaliste responsable de la diffamation. Ce meurtre se situe non à la fin, mais paradoxalement au début du récit. Nous suivons l'enquête d'un narrateur soucieux d'objectivité qui cherche à reconstruire le processus de la violence. Il apparaît très vite que le sujet premier est ici le langage, comme instrument démagogique, véhicule de la violence elle-même. Plaidoyer pour retrouver le poids des mots. Le dernier roman de Böll, Portrait de groupe avec dame [1971] met en scène un personnage féminin, Leni, qui, de l'aveu de l'auteur, n'est pas sans analogie avec le clown Schnier : même expérience du dénuement, vécue ici au cours de trente années de la vie d'une femme. Mais si Hans Schnier, à la fin du livre, reste désemparé et solitaire en voyant passer devant lui la foule indifférente du carnaval, Leni trouve quelques éboueurs qui empêchent qu'elle soit expulsée de son logement : symbole d'une solidarité des individus, même dérisoire. Le personnage de Leni, qui traverse les périodes les plus sombres de l'histoire allemande contemporaine « sans dommage, avec une relative innocence », serait-il le modèle d'une intégrité naïve, d'une humanité sensible et « instinctive » ? Une madone moderne ? Certains ont comparé le roman à une hagiographie sécularisée, soulignant la valeur mythique de l'héroïne. L'originalité du livre est peut-être que cette dimension symbolique contraste avec une écriture documentaire, allant parfois jusqu'à la parodie du discours scientifique, réalisée par la mise en scène d'un narrateur explicite faisant fonction d'expert et d'archiviste. Ce style documentaire constitue une sorte « d'effet de distanciation » qui garde le récit de tomber dans le mélodrame sentimental. Les romans de Böll actualisent un sens particulier du « réalisme » : ils ne visent pas a représenter le réel tel qu'il est, mais tel qu'on le perçoit communément. « Des discours qu'on reconnaît » : la formule de Diderot leur sied parfaitement. C'est peut-être ici le secret de tout le paradoxe de Böll : un écrivain qui réussit à être populaire avec des livres qui ne font aucune concession à la littérature de consommation. Jamais Prix Nobel ne fut, en ce sens, autant justifié. ? « Aucun écrivain allemand de cette lignée depuis Karl Kraus. » Theodor Adomo. ? « Son vécu n'est pas spécifiquement allemand, ce qui explique peut-être pourquoi ses livres ont recueilli un si grand succès à l'étranger : son vécu est commun à tous ceux qui, comme lui, ont été entraînés dans la guerre au sortir de l'adolescence.» Henri Plard. ? « C'est la poétique de Böll, le fait que chacun de ses récits obéit à la structure profonde d'une légende, qui constitue la principale raison de son énorme succès. » C. Amery.