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BACHELARD

BACHELARD (Gaston). Essayiste et philosophe français (1884-1962) qui commença par être répétiteur, puis employé des postes. Fut ensuite professeur de physique et termina sa carrière comme professeur de philosophie des sciences à la Sorbonne. Rationaliste à tendance matérialiste.
BACHELARD (Gaston), philosophe français (Bar-sur-Aube 1884 - Paris 1962). Simple commis des postes, il fit d'abord des études de sciences et ne s'intéressa que tardivement à la philosophie. Il reste à la fois notre théoricien de la science moderne (te Nouvel Esprit scientifique, 1934; le Rationalisme appliqué, 1949, où il montre et la tendance à la systématisation propre à toute pensée rationnelle et l'éclatement de tout système devant la richesse infinie de l'expérience, la révélation de « faits » nouveaux) et le philosophe de l'attitude poétique, lorsqu'il s'efforce de dégager de l'imagination arbitraire des individus une imagination profonde, liée à la nature même du psychisme et source d'authentique poésie (la Psychanalyse du feu, 1937 ; l'Eau et les rêves, 1940 ; l'Air et les songes, 1942; la Terre et les rêveries de la volonté, 1945 ; la Poétique de l'espace, 1958, etc.).
Essayiste et philosophe né à Bar-sur-Aube. D’humble origine, il décide un jour de passer son baccalauréat (sciences), puis sa licence, etc., ce qui l’amène de proche en proche jusqu’à la chaire de philosophie des sciences à la Sorbonne. Si ses ouvrages de philosophie scientifique (épistémologie) sortent de notre sujet, ce qui par contre intéresse le présent dictionnaire de littérature, c’est l’essayiste, et d’abord le critique, analysant le bestiaire de Lautréamont (1940) et friand de la « thématique » propre à un poète déterminé ; puis l’exégète - lyrique lui-même - de la poésie considérée dans sa « thématique générale », et qui se rattache, selon lui, aux éléments primordiaux de la matière, métamorphosés par l’inconscient : La Psychanalyse du feu (1937), L'Eau et les rêves (1940), L’Air et les songes (1943), La Terre et les rêveries de la volonté (1947), etc. Ajoutons que ce philosophe amateur de poèmes, ce « fou de poésie » - dans le sens où Hokusaï affirmait être « fou de dessin » - se révèle lui aussi dans ses essais, pour la joie des lecteurs, un poète véritable : Descendons dans la cave [...] la nuit et la fraîcheur sont sous la maison. Que de fois dans les rêves on reprendra cette descente en une sorte de nuit murée [...] Voici la terre, la terre noire et humide, la terre sous la maison, la terre de la maison. Quelques pierres pour caler les tonneaux. Et sous la pierre, l’être immonde, le cloporte, qui trouve le moyen d’être gras en restant plat. Que de rêves, que de pensées viennent dans le seul temps d’emplir un litre au tonneau !... (La Terre et les rêveries du repos, 1948).
Bachelard
(Gaston, 1884-1962.) Philosophe et épistémologue français, qui commença sa carrière comme employé des Postes avant de conquérir tardivement mais rapidement ses titres universitaires : professeur de collège, puis à la faculté de Dijon, il occupera la chaire d'Histoire et de Philosophie des sciences à la Sorbonne. Bachelard a en premier lieu renouvelé l'épistémologie en définissant les caractères d'un nouvel esprit scientifique. Contrairement à Descartes qui interprétait le « morceau de cire » par la simplicité de la substance étendue et sans recours à l’expérience, il condamne la doctrine des natures simples et absolues, et observe que le rationalisme ne doit plus être immobilisé dans l’universalité des principes. La philosophie nouvelle de la science ne peut être que mixte : débarrassée d'a priori qui négligeaient l'expérimental, mais soucieuse de structurer l’expérience pour démontrer le réel - ce qui implique une coopération active entre l'expérience et son organisation. L’idéal de complexité de la science contemporaine exige que « le réalisme et le rationalisme échangent sans fin leurs conseils », d'où l'expression de rationalisme appliqué pour désigner cet enrichissement constant de la raison au contact de l’expérience. La vérité (provisoire) sera polémique, dans la mesure où le progrès de la connaissance scientifique ne peut s'exprimer qu'en termes d'obstacles, d'abord inhérents à notre pensée commune : « on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites ». Ainsi la pensée scientifique, loin d'exprimer l'expérience immédiate, devra s’instituer en opposition avec la richesse concrète du vécu empirique, en rupture avec les données de la sensibilité. ♦ La connaissance objective exige alors une psychanalyse des mythes et illusions risquant de la troubler. Bachelard l'entreprend dans une série d'ouvrages sur l'imaginaire - qui permet de remonter jusqu'aux archétypes de notre personnalité profonde, de retrouver des mythes appartenant, comme le pensait Jung, à l'inconscient collectif. Étudiant la dynamique de l'imaginaire, Bachelard montre que l'esprit poétique - qui « est purement et simplement une syntaxe de métaphores » - est fondamentalement inspiré par les quatre éléments naturels que distinguait déjà Empédocle: le feu, l'eau, l'air et la terre. Il étudie la spécificité et le « règne autochtone » de l'imagination, ainsi que le sens profond qu'expriment, par exemple, « les mosaïques les plus étranges du surréalisme ». En définitive, si « les axes de la poésie et de la science sont d'abord inverses », l'imagination poétique et le monde rationnel constituent les deux univers complémentaires dont participe la nature humaine. ♦ La Philosophie du Non (1940). Bachelard propose dans cet ouvrage la constitution d'une philosophie capable de satisfaire à la fois philosophes et savants et tenant compte de l'évolution du savoir : dans la mesure où ce dernier ne progresse qu’en dépassant son acquis, cette philosophie ne pourra être qu'ouverte, dialectique, en rupture avec toute forme de dogmatisme, toute conception figée de la raison. Pour montrer comment l’esprit effectue ses avancées, Bachelard analyse l'évolution particulièrement significative du concept de masse : on constate qu'il connaît cinq étapes - dont les deux premières sont, à proprement parler, préscientifiques. D'abord animiste (la masse est perçue relativement aux qualités sensibles de l'objet), le concept accède ensuite aux états empirique (on assimile la masse au poids) et rationnel (on le définit par des relations mathématiques : mécanique de Newton), le rationalisme lui-même devenant ultérieurement complexe (dans la théorie de la relativité), et enfin dialectique (mécanique de Dirac : apparition d'une masse « négative »). Une telle évolution montre que toute théorie se construit en englobant celle qui la précède comme un cas particulier d'une situation désormais plus générale. Par rapport à une telle histoire, il est compréhensible que la notion que retient chaque esprit se réfère à un savoir scientifique plus ou moins avancé en même temps qu'à la philosophie qu'il implique - c'est à quoi s'intéresse la constitution d'un « profil épistémologique » indiquant les degrés d'information et de maîtrise de chacun dans chaque domaine. Mais la pensée dialectique, débordant les pratiques scientifiques locales, se constitue aujourd’hui dans le champ même de la logique (devenant progressivement non aristotélicienne) pour re-définir l'esprit comme capacité d'invention et d'ouverture active.
Autres œuvres : Le Nouvel Esprit scientifique (1934) ; La Psychanalyse du feu (1937) ; La Formation de l’esprit scientifique (1938) ; L’Eau et les rêves (1941) ; L’Air et les songes (1943) ; La Terre et les rêveries de la volonté (1948) ; La Terre et les rêveries du repos (1948) ; Le Rationalisme appliqué (1948) ; Le Matérialisme rationnel (1953) ; La Poétique de l’espace (1957) ; La Poétique de la rêverie (1960).

  
BACHELARD Gaston. Philosophe français. Né à Bar-sur-Auhe (Aube) le 27 juin 1884, mort à Paris le 16 octobre 1962. Petit-fils de paysans champenois, fils d’un cordonnier, il fit néanmoins des études secondaires et entra dans l’administration des P.T.T. en qualité de surnuméraire à Remiremont (1903-05), puis de commis à Paris (1905-13). Mais Gaston Bachelard n’avait cessé d’apprendre seul à la veillée après le travail du jour. Ce sont ces soirées laborieuses, cette solitude méditative qu’il évoque dans son dernier livre La Flamme d’une chandelle (1961). En 1912, le jeune autodidacte obtient sa licence de mathématiques. Après la coupure de la guerre, il entre dans l’enseignement secondaire et reste de longues années professeur de physique et chimie au collège de Bar-sur-Aube. Marié et bientôt veuf, il vit seul avec sa fille Suzanne et se charge de son éducation. Il n’en poursuit pas moins son ascension universitaire. Agrégé de philosophie en 1922, il est docteur es lettres en 1927. Sa thèse : Études sur l’évolution d’un problème de physique : La propagation thermique dans les solides marque déjà par son sujet et son esprit la place qu’il occupera dans l’évolution de la philosophie contemporaine. En 1927, il publie l'Essai sur la connaissance approchée, où il examine en savant et en philosophe la connaissance « dans sa tâche d’affinement, de précision, de clairvoyance ». Avec cet ouvrage apparaissait « dans la sphère de la philosophie française un style insolite, mûri dans le travail solitaire, loin des modes et des modèles universitaires ou académiques, un style philosophique rural » (G. Canguilhem). Dans La Valeur inductive de la Relativité, c’est en tant que « méthode de découverte progressive » qu’est étudiée la théorie de la Relativité, grâce à laquelle on est passé « d’un enseignement réaliste à un enseignement relativiste ». Enfin, Bachelard entre à l’Université, il est nommé en 1930 professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Dijon, poste qu’il occupe dix ans. De 1940 à 1955 il est titulaire de la chaire de philosophie des sciences à la Sorbonne. Devenu en 1955 professeur honoraire, Bachelard dirige l’institut d’histoire des sciences et est élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques. En 1961, il reçoit le Grand Prix national des lettres. Après avoir tenté d’insérer les nouveaux concepts de la chimie au sein de la philosophie des sciences élargie qu’il s’efforce de promouvoir dans Le Pluralisme cohérent de la chimie moderne, Bachelard aborde un domaine tout nouveau, l’analyse philosophique des œuvres littéraires, avec L’intuition de l’instant. Études sur la Siloë de Gaston Roupnet (1932). Il conçoit son étude comme une explicitation des thèmes de l’œuvre, comme l’exposé des résonances de ceux-ci dans la méditation du lecteur philosophe. Les Intuitions atomistiques (Essai de classification) (1933) ouvrent une autre section de la pensée bachelardienne : l’étude archéologique et psychanalytique de la pensée scientifique en évolution. C’est déjà sur l’élémentaire, ici la poussière, que Bachelard met l’accent. Cet ouvrage annonce à la fois une œuvre magistrale du philosophe et historien des sciences, La Formation de l’esprit scientifique : contribution à la psychanalyse de la connaissance objective, étude systématique de quelques-uns des concepts aujourd’hui périmés sur lesquels ont vécu les sciences au XVIIe et au XVIIIe s., et la série consacrée à l’étude des éléments à travers les écrivains et les poètes qui le fit connaître des non-philosophes et qui débute la même année (1938) avec La Psychanalyse du Feu. Mais si Bachelard se retourne ainsi vers le passé c’est pour mieux montrer la non-fixité des positions acquises par la science, d’affirmer sa mobilité nécessaire. Aussi en 1934, dans Le Nouvel Esprit scientifique souligne-t-il que les anciennes théories ne sont jamais que des cas particuliers de théories nouvelles plus vastes et qui les englobent. Poursuivant son enquête épistémologique sur les conditions intellectuelles qui déterminent la marche en avant de la pensée scientifique, le philosophe examine successivement L’Expérience de l’espace dans la physique contemporaine, puis en 1951 L’Activité rationaliste dans la physique contemporaine. Rassemblant les résultats acquis au fur et à mesure de l’élaboration de ses travaux précédents, Bachelard pose les bases de la nouvelle philosophie des sciences. Dans Le Rationalisme appliqué, il expose le primat théorique de l’erreur : « un vrai sur fond d’erreur, telle est la forme de la pensée scientifique », dans La Philosophie du non . le caractère tout provisoire de l’utilité de l’intuition : « Les intuitions sont très utiles : elles servent à être détruites. » Enfin, Le Matérialisme rationnel (1953) reconsidère « le matérialisme de la matière » et annonce l’avènement d’un nouveau rationalisme matérialiste, d’un matérialisme ordonné, déjà sous-jacent dans la science contemporaine. C’est avec cinq ouvrages parus de 1938 à 1948 : La Psychanalyse du feu, L’Eau et les Rêves; L'Air et les Songes; La Terre et les Rêveries de la volonté; La Terre et les Rêveries du repos et également grâce à ses cours de Sorbonne auxquels assistaient, à côté des étudiants, quelques-uns des écrivains et des artistes les plus éminents, que Gaston Bachelard dut d’exercer une influence qui dépassa de beaucoup le cadre de l’Université. A cette série d’études sur la rêverie spontanée qui donne naissance à l’œuvre littéraire, se rattachent naturellement La Dialectique de la durée, « propédeutique à une philosophie du repos » au moyen de la « rythmanalyse », La Poétique de l’Espace et La Poétique de la rêverie, dans lesquels la pensée de Bachelard, sans rien perdre de sa prudence critique, aboutit à une ample méditation sur l’Universel.

Bergson H.: 1859-1941. Né à Paris. Brillant élève en sciences et en lettres, il entra à l'Ecole normale supérieure en 1878. Agrégé; il est professeur à Angers, Clermont-Ferrand puis à Paris au lycée Henri IV. En 1898, il est nommé maître de conférences à l'Ecole normale supérieure puis au Collège de France en 1900. Il admet un mode de connaissance par sympathie immédiate : l'intuition. La connaissance, intuitive diffère de la connaissance scientifique et nous révèle le secret du monde le courant de la vie, la durée. Œuvres principales : Essai sur les données immédiates de la conscience, 1889 ; Matière et Mémoire, 1896 ; L'Evolution créatrice, 1907 ; Les Deux Sources de la morale et de la religion, 1932.

Philosophe et épistémologue français (1884-1962). • L’épistémologie et l’imagination poétique, tels sont les deux versants apparemment contradictoires de l’œuvre de Gaston Bachelard, un employé des Postes venu sur le tard à la philosophie. • En quête des conditions de la connaissance scientifique, Bachelard observe que la science progresse dans un mouvement essentiellement polémique, en surmontant les « obstacles épistémologiques » inhérents à l’acte même de connaître. On connaît toujours, dit-il, « contre une connaissance antérieure », par la destruction des anciennes représentations et habitudes de pensée qui entravent la spiritualisation du sensible. • C’est donc à une véritable « psychanalyse » du sujet connaissant - d’abord prisonnier de ses propres illusions et de ses propres mythes - que se livre Bachelard, faisant ainsi de l’épistémologie une sorte de « thérapie » de l’esprit scientifique. • À cette psychanalyse de l’objectivité scientifique répond la psychanalyse de la subjectivité poétique. Bachelard explore avec minutie les représentations symboliques qu’inspirent à l’imagination poétique les quatre éléments naturels (le feu, l’eau, l’air et la terre). Il souligne ainsi la dimension créatrice et joyeuse de l’imagination, qu’il définit comme « l’expérience même de l'ouverture ».



Prendre ses distances avec l’esprit : Gaston Bachelard

Même si le rationalisme d’Alain et de Brunschvicg demeurent foncièrement laïques et dans un rapport de révérence courtoise mais réservée à l’égard des religions, ils n’en restaient pas moins dans l’antichambre de l’Esprit. Cet esprit qu’on ne voit pas, qui fait tout l’humain et qui n ’est jamais loin d’introduire à une reli­ gion sans Dieu ou à un Dieu sans religion. C’est dans ce consen­ sus d’une raison bien pensée et bien-pensante que Bachelard jette une dissonance, avec ses gros sabots. Mais il garde pour l’essentiel, en commun avec Brunschvicg, cette exigence d’une culture scientifique comme propédeutique à toute philosophie sérieuse, et avec les deux, que la science doit se comprendre à partir de ses erreurs et de ses positions dépassées et non malgré elles.
Un profil peu académique
Si par ses origines et sa trajectoire, Bachelard tranche sur le milieu feutré et homogène de l’intelligentsia universitaire, il va faire ressortir par ailleurs des valeurs de réussite par le mérite et le savoir, très intégratrices dans la société de l’époque et son modèle de promotion sociale. S’il n ’avait pas tout pour réussir, au départ, sa réussite avait tout pour plaire ; magnifique illustra­ tion, aux yeux de tous, que ni la modestie des origines (d’un milieu de paysans champenois, il naît en 1884, fils de cordon­ nier), ni l’humilité des débuts (il commence petit fonctionnaire
des Postes à Remiremont, puis à Paris) ne sont un obstacle aux plus hauts accomplissements philosophiques. On aurait pu les croire réservés au parisianisme et aux privilèges de la bourgeoisie.
De plus, il apporte dans le milieu coincé et confiné du concept ce « style philosophique rural » ; « j’adore », dira avec gourmandise, en essayant d’en faire autant, son élève et succes­ seur, Georges Canguilhem. Toujours est-il que Bachelard est tout auréolé de son éclat d’autodidacte à ses débuts, en un temps où Sartre n’avait pas encore jeté le soupçon et le discrédit sur ces êtres méritants. D’abord orienté vers des études de mathéma­ tiques, qui lui valent d’enseigner les sciences au collège de Bar-sur-Aube, par une nécessité intérieure, il se tourne ensuite vers la philosophie, dont il gravit grades et degrés, jusqu’au som­ met, par la voie orthodoxe ; tout rentre dans l’ordre, le voilà en Sorbonne.

Un rationalisme assoupli

Dans trois œuvres majeures de réflexion sur le développement
récent de la science, L’Essai sur la connaissance approchée (1927), Le Nouvel Esprit scientifique (1934) et Le Rationalisme appliqué (1949), enfin Le Matérialisme rationnel (1953), Bachelard va accentuer et infléchir l’effort de Brunschvicg pour dégager le rationalisme de l’image kantienne d’une structure intangible a priori, s’imposant à la pensée et par elle au réel. Il cherche à faire voir, dans l’effort de connaissance, une dynamique sinueuse, qui va se complexifiant par un travail d’involution sur elle- même. Le réel s’éloigne et se distend, à la mesure du champ plus large que la science se donne par rapport à elle-même, particula­risant sans cesse ses résultats antérieurs. Dans La Philosophie du non, titre qui dit la dialectique et évoque, mais situées autrement, certaines idées d’Alain, le rapport de la science avec la nature, de la réflexion avec l’intuition, de la science avec sa propre démarche, sont pressentis comme un jeu de polémiques et de digressions qui n’échappent au chaos que pour autant seulement qu’un fil conducteur s’y trame ; on ne saurait trouver ailleurs ce qu’on appelle raison. Certes, dans l’esprit de Bachelard, cette rai­ son plurielle, en affinité avec la matière à laquelle de plus elle s’applique, va bien se projeter sur l’horizon d’un matérialisme.
Mais, surprise et rebondissement, ce matérialisme n’est pas ce qu’on croyait.

Un matérialisme de l’imaginaire

En fait, le travail d’élucidation effectué à partir des aspects les plus déconcertants de la science contemporaine n’est pas loin d’aboutir, comme chez Brunschvicg, au même paradoxe théo­rique. Comme si la vieille formule hégélienne prenait soudain un tour nouveau et littéral. « Le réel est rationnel » va finir par signifier chez l’un comme l’autre qu’il n ’y a pas d’autre réalisme envisageable, que dans le lacis des équations mathématiques et de leur précision. Il n’y a rien d’autre de réel que la structure rationnelle mouvante de la connaissance.
C’est sur ce point, où il s’agissait d’échapper alors à l’inconsis­tance factice de l’esprit, que la solution de Bachelard s’avère la plus puissante et originale. Donnant à la psychanalyse un sens tout personnel, il construit, à travers une série d’études menées entre 1938 et 1948, une spectrographie de l’imaginaire humain, par le biais de laquelle il fait réapparaître les éléments transchi­miques d’une matière non scientifique. Psychanalyse du feu, L’Eau
et les rêves, L’Air et les songes, La Terre et les rêveries de la volonté, La Terre et les rêveries du repos, tels sont les titres expressifs qui jalon­nent cette recherche. Ce sera, avec celle de Cornélius Castoriadis plus tard, l’une des deux plus remarquables entreprises du siècle pour repenser l’imaginaire.
Par un renversement d’une grande hardiesse, il postule que si le réel réside dans la raison, le siège de la matière est constitutivement dans l’imaginaire et, par-delà, dans la rêverie, l’art, le langage, la trame d’affect et d’expression dont se tisse et s’étoffe la vie simple. Le réseau de correspondances secret entre mythes, images, émotions sensorielles qui s’y évoquent, est ainsi interprété comme la structure sousjacente qui dans l’expérience humaine fait office de matière, mais aussi dans les physiques de l’Antiquité ou celles des alchimistes, à quoi notre science est étrangère, mais non pas la poésie, ni l’architecture, ni la rêverie, ni la création d’où émane l’atmosphère du monde dans sa réalité.
Par ces explorations, Bachelard touche alors un vaste public, qui dépasse largement le souci de l’épistémologie et même de la philosophie en général ; appétit diffus de nouveaux instruments
de déchiffrement, qui attirera semblablement les foules à la parole de Bergson, de Barthes, ou de Lacan, par exemple.