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André Pieyre de Mandiargues

Né à Paris en 1909 dans une famille d’origine nîmoise, petit-fils de Paul Bérard, ami et collectionneur des impressionnistes, André Pieyre de Mandiargues conjugue dans son héritage la fixité de la lumière méditerranéenne et la mobilité des marées normandes. Au midi, il doit son goût pour les splendeurs inquiétantes du baroque : aux falaises crayeuses de Normandie, aux plages découvertes par le reflux qu ’il parcourait enfant, toute une symbolique où l’érotisme a sa part. « ... au début de ma vie, dit-il dans Le désordre de la mémoire, je n’ai rien aimé autant que la mer et que les livres ». Après des études volontairement inachevées il lui faudra longtemps malgré de nombreux essais et déjà d’admirables réussites (les poèmes qu ’il réunira plus tard dans L’âge de craie) avant d'oser publier. Mandiargues franchit le pas en 1943, à Monte-Carlo, avec un recueil de poèmes en prose : Dans les années sordides. Dès lors sa vie, toute remplie qu 'elle est de voyages, d’amour pour Bona (qu ’il épouse en 1950, et qui est peintre), et pour la peinture, se confond avec ses activités littéraires (lesquelles le portent à fréquenter pendant quelques années les surréalistes) et avec son œuvre que couronnent deux grands prix, celui des Critiques en 1951 pour Soleil des Loups, et le Concourt en 1967 pour La Marge. Entre les brumes romantiques et les ors du baroque, entre les odeurs de forêt noire après la pluie et le ruissellement de couleurs des fêtes mexicaines, André Pieyre de Mandiargues, oiseleur des contraires et sourcier de l’insolite, décèle d’exactes correspondances et, à partir d’elles, tisse sa propre toile. Dès le premier recueil qu’il publia, Dans les années sordides, poème en prose où toute l’imaginerie des grandes nouvelles et des romans était déjà présente, et troublante : paysages de gel, rochers couverts d’algues, châteaux inquiétants, places bordées de hautes statues, femmes au corps dénudé — ou possédé — comme par un coup de hache ou de poignard, le ton était donné; superbe, mais comme une plante vénéneuse; inquiétant, mais comme la pureté d’une lumière vive ou d’un froid trop intense. Déjà s’affirmait cette écriture précise, rigoureuse (comme d’un entomologiste attentif, pour le classement des variétés d’insectes, à décrire et compter carapaces, anneaux, pinces et aigrettes) mais aussi et, dans un même mouvement, somptueuse, ruisselante, inspirée. Ecriture ancienne et neuve à la fois, aux cadences souples et parfaites comme en hommage aux grands romantiques, mais qui semble s’inventer à mesure, comme en accord avec le monde qu’elle fait surgir et met en scène, monde tout d’ambiguïté et de métamorphoses, monde de métaphores et d’insolites correspondances où les monstres ouvrent les portes du merveilleux tandis que derrière le masque de la femme désirée, la ballerine au sourire de porcelaine, se cache la lèpre de la bestialité. Mandiargues, dès ses premiers pas, avec une aisance souveraine, avançait comme sur une lame entre les plaines féériques du songe et les abîmes du cauchemar. Du poète en prose de Dans les années sordides au pur prosateur des nouvelles du Musée noir, de Soleil des loups, ou, plus tard, des grands romans, La motocyclette et La Marge, le passage s’est opéré naturellement. Mais la démarche est toujours réversible, avec cette nuance peut-être que le poète s’est affiné, aiguisé, libéré des contraintes par l’expérience du récit, comme en témoigne Astyanax ou Ruisseau des solitudes, et pareillement le nouvelliste qui en 1976, dans Sous la lame atteint à une pureté et une efficacité étonnantes sans rien perdre de son génie de l’ambiguïté et de sa passion pour les zones ténébreuses de l’inconscient. Toujours, conteur dévoilant une histoire — mais comme s’ouvre un rideau sur la scène encore claire obscure d’un théâtre et que les projecteurs peu à peu révéleront, fouilleront, dénuderont, parfois jusqu’aux limites du supportable — poète fixant une image, lui arrachant ses secrets, jouant avec les mots (Chapeaugaga) ou, insolemment, des analogies (Les incongruités monumentales), Mandiargues se reconnaît à son regard, à sa manière de parcourir, de respirer, de toucher les lieux, les atmosphères, les objets (ou les personnes) qu’il décrit. S’il imagine, c’est avec une force contagieuse, comme la fièvre. Avec lui le lecteur voit, caresse, désire, frissonne. Sans doute Mandiargues donne d’abord à voir son amour des peintres, Critique d’art, son art de faire chanter leurs couleurs, de capter leurs phantasmes dans ses phrases, suffirait à dire quel visuel il est. Nouvelliste, romancier, il met en scène son imaginaire, il anime de fantastiques tableaux, il transforme ce qu’il voit — Nantes, Barcelone, une autoroute allemande, le métro parisien — en opéra fabuleux. Dans ses récits, paysages et décors urbains entretiennent d’étroites correspondances, sont choisis, détachés et comme aiguisés par un même regard. Plaines et forêts scintillant sous le givre, plages brûlées de soleil, marchés mexicains ruisselant de lumière, se font signe d’un texte à l’autre, se rejoignent dans l’intensité ou l’excès, et très exactement répondent à ces rues chaudes d’Italie ou d’Espagne, mystérieuses de Nantes ou de Paris, à ces châteaux surgis d’un songe d’Hoffmann ou de Louis II de Bavière et que hantent des héroïnes de Sade ou de Mathurin habillées, déshabillées, maquillées par Fellini; ou bien s’accordent à ces appartements somptueusement tapissés de velours dont les salons indifféremment se font musée, chambre de bordel, salles de torture. Aussi bien chez Mandiargues il n’y a pas de regard sans relation passionnelle au paysage, à l’objet, à la femme regardée. Et la phrase qui décrit est déjà approche, désir, répulsion. Elle engage le corps. Rien n’est théorique chez Mandiargues, même s’il sait parfaitement parler de son œuvre et de ce qu’il a voulu faire {Le désordre de la Mémoire en témoigne). Il écrit avec sa sensibilité, mais une sensibilité singulièrement lucide qui fait que même au bord des gouffres et dans l’ivresse il ne perd ni pied ni le mot juste. Plus encore qu’avec sa sensibilité, il écrit avec ses sensations. Couleur, odeur, saveur, douceur ou rugosité, jouissance ou blessure, tout ce qui frappe les sens, blesse ou exalte la chair constitue la matière de son texte, le corps même de son écriture. Son génie est de rendre perceptible l’impalpable : le gel, le vent, les effluves ou bien le désir et l’horreur et même la peur dans l’émerveillement ou la fascination érotique de la laideur, bref, le trouble que provoque l’excès. Afin de nous conduire à ce point où le réel bascule, où les masques tombent, où l’écriture, l’érotisme et la violence (le sang, la mort) manifestent leur étroite complicité, où, comme dans une nouvelle de Sous la lame, la réalité achève en cauchemar ce qui d’abord était rêve, Mandiargues nous enveloppe dans un extraordinaire réseau de sensations, liant au désir l’odeur du sel ou des marées {Le lys de mer, Mascarets), les déambulations nocturnes de Sigismond dans Barcelone {La Marge), ou d’Abel Foligno dans Fano, puis dans Ferrare {Sous la lame) et la longue course en patin sur le lac gelé de Conrad et de Bettina {L'Archéologue, in Soleil des loups). Et qui sait le lire reconnaît entre l’étrange attelage conduit par un jeune officier de l’école de cavalerie à travers une sorte de désert baroque {Dans les années sordides) et la grosse Harley Davidson ronflant entre les cuisses fermes de Rebbecca {La motocyclette) une secrète identité. Que l’inquiétant gros cheval de l’attelage soit un monstre mécanique d’où surgit une jeune femme ou que la moto soit tout ensemble l’engin du plaisir et de la mort, ce sont là les signes que comme toujours chez Mandiargues, « l’univers est dionysiaque ». ► Bibliographie

Poèmes :

Dans les années sordides, 1943; A.P.M., Gallimard, 1949; coll. Métamorphoses, Hereda, 1946; Hommage, Les Inconguités monumentales, 1948; Laffont, Astyanax, 1956; Le Terrain vague, L'âge de craie suivi de Héréda, 1961 ; Gallimard, Astyanax précédé de Les Incongruités monumentales et suivi de Cartolines et dédicaces, 1964 ; Gallimard, Le point où j'en suis, suivi de Dalila exaltée et de La nuit l'amour, 1964; Gallimard, L'âge de craie suivi de Dans les années sordides, 1967; Gallimard, coll. Poésie, Ruisseau des solitudes, suivi de Jacinthes et de Chapeaugaga; 1968; Gallimard;

Nouvelles et récits :

Le musée noir, 1946 et 10/18, 1964; Laffont, Soleil des loups, 1951 ; Laffont, Marbre, 1951, Laffont, Le lis de mer, 1956; Laffont, Le cadran lunaire, 1958; Laffont, La Marée, 1963; Cercle du Livre Précieux, Feu de braise, 1964; Grasset, Sabine, 1964; Mercure de France, Le Marronnier, 1968; Mercure de France, Mascarets, 1971 ; Gallimard, Le cadran lunaire, 1972; Gallimard, Sous la lame, 1976; Gallimard,

Romans :

La motocyclette, 1963; Gallimard, La marge, 1967; Gallimard, Essai et textes divers : Les sept périls spectraux, 1950; Les pas perdus,

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