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André Malraux

Né le 3 novembre 1901 à Paris.

Etudes d’archéologie et d’art oriental. 1923 : voyage en Asie. 1927-1928, retour et publications des Conquérants. 1933 : La Condition Humaine obtient le Prix Concourt. 1934 : président des Comités mondiaux pour la libération de Dimitrov et de Thaelmann. Participe à la fondation de la Ligue mondiale contre l’antisémitisme, au congrès des Ecrivains soviétiques (août 1934), rencontre Gorki et Eisenstein. 1936 : organisateur et chef de l'aviation étrangère au service du Gouvernement républicain espagnol. 1937 : écrit l’Espoir et réalise l’année suivante le film Sierra de Teruel. 1940 : combattant volontaire dans les chars, blessé, prisonnier. S’évade. Puis résistance en Corrèze. Prend le commandement de la brigade «Alsace-Lorraine ». Novembre 1945-janvier 1946 : ministre de l’information du Général de Gaulle. 1947-1953 : délégué à la propagande du RPF. 1958 : ministre de l’information du Général de Gaulle. 1959-1969 : ministre des Affaires culturelles.

Malraux est mort le 23 novembre 1976.

La disparition récente d’André Malraux aura au moins permis de mesurer l’extraordinaire et providentielle bonne conscience amenée par la paix du texte et le chacun-chez-soi du signifiant. Que Malraux soit ou fût, comme l’affirme un jeune écrivain polysémique un « écrivain pour les gens qui n’aiment pas la littérature », voilà qui pourra servir de pancarte à une conviction désormais dominante : la littérature c’est quand il n’y a pas l’Histoire. Que Malraux soit (mais attendons) un écrivain sans lignée ne prouve rien contre Malraux, mais désigne tout juste une évolution historique de la littérature qui a choisi de faire la révolution dans le mot à mot : on a les brigades internationales qu’on peut. D’autant que si Malraux a posé un problème, un seul, c’est bien celui des rapports impossibles, douteux, éphémères ou légendaires entre la Littérature (accordons lui cette majuscule) et l’Histoire, de l’art et du temps. Des premiers romans aux Antimémoires, Malraux est celui qui a essayé de penser une dernière fois la totalité de l’espace humain hors de tout totalitarisme. Lieu d’une pensée dialectique éminemment instable, à la fois synchronique et dialectique, Malraux est à coup sûr le dernier d’une lignée de mythomanes occidentaux attachés aussi à être les mythologues d’un Occident qui ne se reconnaît plus dans ses fictions. Il lui était encore possible de tenir, fût-ce fictivement, la totalité des signes dans un seul travelling, et d’accueillir au passage le regard d’intelligence du sacré. Malraux a tenté avec l’idée de Civilisation ce que Balzac a tenté avec celle de Société : comprendre à la fois une archéologie et un devenir. Il fut une sorte de symboliste de l’Histoire, le Baudelaire de Correspondances dans les décombres d’une civilisation tachiste, un obsédé du sens dans un espace parcellisé, un des rares esprits à avoir su tirer les conséquences réellement religieuses (religere : relier) de la mort de Dieu. Par quoi Malraux est-il si profondément, viscéralement, lié au xixe siècle ? Par l’avant-garde, bien sûr. Celle des années 20. Apollinaire en 1918 : on dirait qu’André Malraux se lève pour prendre la succession dans le petit monde des enlumineurs d’une « modernité » qui est partie pour un siècle de changements de décor à vue. Au moins a-t-il repéré Laforgue, que les surréalistes ne vont pas tarder à conspuer, et Lautréamont à qui il consacre un de ses premiers écrits (1920, dans Action). Lautréamont c’est la métamorphose : dès 1920 Malraux a trouvé son concept. L’homme de la transposition de la mort de Dieu, et des sources recomposées, le destructeur de l’illusion réaliste lui apprend l’essentiel, même s’il y voit par ailleurs « un baudelairisme d’employé de la Compagnie des Chemins de fer». Sur le cubisme non plus, épiphanie du signe, art de la conception et refus de la représentation, Malraux ne s’est pas trompé. Fidèle continuateur d’Apollinaire, il entend orienter l’art moderne vers « la création d’un monde autonome », cherchant dans la production artistique l’« indice universel de la déformation cohérente ». Dans les débats qui l’opposeront plus tard (1934) aux conceptions soviétiques, Malraux ne manquera pas de rappeler que « si les écrivains sont les ingénieurs des âmes (...), la plus haute fonction d’un ingénieur, c’est d’inventer ». Poursuivant le discours mythificateur d’Apollinaire, Malraux répétera dans son compte-rendu du Congrès des Ecrivains soviétiques (novembre 1934) que l’artiste « travaille essentiellement à créer son propre mythe » : « Les possédés ne sont pas la peinture, même hostile, d’un milieu révolutionnaire russe : c’est le développement de la pensée éthique de Dostoïevski ». Des Voix du silence à l’Homme précaire : réaffirmation de l’autonomie de l’art par rapport au « réel » et au temps qui rend possible le dynamisme de la métamorphose. « Le vrai problème n’est pas celui de la transmission des cultures dans leur spécificité, maïs~ de savoir comment la qualité d’humanisme que. portait chaque culture est arrivée jusqu ’à nous, et ce qu’elle est devenue pour nous ». Si les premiers écrits de Malraux {Lunes en papier, 1921, Ecrit pour une idole à trompe, 1924) portent la marque d’une modernité qui rappelle Max Jacob et l’Apollinaire des Contes, avec leurs joliesses morbides et leurs exquisités post « esthétique nouvelle », on peut y voir tout de même une façon de chercher à rendre ce monde supportable. Malraux, déjà, risquait de devenir artiste, et il le restera jusque dans la Condition humaine, le livre cubiste de l’Histoire, tout juste un peu trop construit, formalisé à l’extrême, structuré comme un poème de Baudelaire relu par un Jakobson aventurier. Clappique, le farfelu, le mythomane, sera présent jusqu’au bout; c’est lui qui part à la chasse aux statuettes et passe du Paris de Zone aux temples cambodgiens, ce qui lui vaudra un procès fameux et le soutien d’André Breton : l’écrivain n’est-il pas par nature au-dessus de tout soupçon ? Le second séjour en Indochine (1925) transformera le Croniamantal saugrenu et parisien en « un nouveau type d’homme » (E. Berl). Garine {Les conquérants) trouve contre le désespoir ce nouveau jeu pour une solitude transindividuelle : la Révolution. « Son héroïne », comme dira Trotsky. Pour l’intellectuel occidental à bout de souffle, le Malraux d’alors ne représente pas un aboutissement mais une dernière chance : façon de se dédoubler, Garine-Borodine, comme il y aura Claude-Perken, et les multiples dédoublements de La condition humaine. Sans doute la masse n’est-elle guère représentée : mais existe-t-elle ? demande Malraux à Trotsky. La tentation de l’Occident (1926) peut être considérée comme l’amorce d’une œuvre romanesque qui pose le problème du Moi en termes de civilisation. L’occidental (mais n’était-ce pas déjà Werther ?) prend conscience que son moi se sépare du monde. Toute la littérature moderne est partie de là. On ne peut plus admettre le postulat d’une conscience toujours lucide organisant un moi permanent : il y a opposition entre « nos actions et notre vie profonde ». Séparation de l’« univers réel, soumis au contrôle et aux nombres » et du monde intérieur : rêverie, «puissance latente». La notion d’inconscient, ou plus exactement de subconscient, Malraux en prend acte, détruit l’image du Moi occidental comme seul fondement de l’être. Mais l’occidental résiste : depuis longtemps, il ramène tout à l’homme par abstractions et classifications. Pour l’oriental au contraire, « la conscience (...) d’être un fragment du monde (...) précède inéluctablement la notion toute abstraite de l’homme ». L’oriental, qui accepte tout, accueille tout, ne se défend pas contre le monde : il est l’homme — dans — le monde. «Rêver ou lire?», se demande Claude Vannée dans La voie royale. Qu’est-ce qui menace Vannée ? « Un univers où la forêt et les monuments s'animaient peu à peu lorsque son attention se relâchait, hostiles comme de grands animaux ». L’animal, le végétal sont porteurs de désagrégation. Bientôt il connaîtra « toutes les vies unies dans l’étouffante gangrène de la forêt » et la difficulté de donner un sens à l’acte humain, à la volonté dans « ce monde ignoble et attirant à la fois comme le regard des idiots ». Étrangeté de la conscience qui sera au centre de La condition humaine, tragédie de la séparation (l’histoire d’un homme qui ne reconnaît pas sa propre voix quand il l’entend enregistrée). Le problème de Tchen, de Kyo, de Gisors, etc, demeure celui de la totalité comme dépassement de l’individu. Tchen choisit le sacré, le meurtre et la dépense, et entre par le sacrifice dans un espace circulaire et global (espace que la structure du livre représente par ailleurs). Pour les uns et les autres, la Révolution, l’art, la drogue, l’érotisme, constituent des utopies dionysiaques dans lesquelles ils tentent de résoudre la crise de l’individu, crise à laquelle un Laclos, un Sade, un Goya (Le triangle noir) avaient, eux, tenté de répondre par « la création — du roman, des tableaux, de la République ». Il n’est pas certain, comme l’affirme Goldmann, que La condition humaine soit le roman d’un « personnage problématique collectif » : le tragique de Malraux reste ici encore tributaire d’une esthétique cubiste, tournoyante à la manière de Delaunay, foncièrement abstraite, voire casuiste. La nuit et la mort seules sont collectives, le destin est dans l’immobilité du Moi et ses frontières. L’action est le jeu où ces nouveaux Werther essaient de dissoudre leur humiliation, de passer les bornes, d’unir le fou à l’univers. C’est seulement avec l’Espoir que le combat de la fraternité contre l’humiliation prendra sa véritable dimension à travers le conflit de l’Apocalypse et de l’Organisation. Manuel semble répondre aux tentations de La Condition humaine : « Si c’est pour supprimer la tragédie qu ’un homme compte sur la révolution, il pense de travers ». Par-delà l’illusion lyrique et l’être quelque chose, il y a le faire quelque chose et le dépassement de la tragédie en épopée. Ici, et plus encore dans Sierra de Teruel, un peuple est présent, présenté, représenté, aristocratie naturelle de l’héroïsme, et le roman devient l’écriture épique d’une cohérence qui dépasse les limites du Moi. Désormais Malraux a trouvé l’issue qui le détache définitivement de l’avant-gardisme de ses débuts : plutôt approfondir sa communion que cultiver sa différence. Apollinaire en Malraux n’était pas Maïakovski. Les noyers de l’Altenburg (1941) affirme définitivement la participation volontaire de chaque homme au tout de l’aventure humaine, de l’autre côté du « misérable petit tas de secrets ». Et ce mystère, selon lui, que par-delà la « flamboyante absurdité » d’être sur terre, « nous tirions de nous-mêmes des images assez puissantes pour nier notre néant». Les voix du silence (1951), Le musée imaginaire de la sculpture mondiale (1952-1955), La métamorphose des Dieux (à partir de 1957), échappent à toute réduction. Le fameux « je pense à » des « Antimémoires y apparaît comme le mécanisme générateur d’une confrontation généralisée, en spirale, des cultures et des arts « en marge de l’Histoire ». On en connaît les mots-clés : transfiguration, métamorphoses des formes, anti-destin, régression, anti-représentation, communion, héritage, etc. « L’histoire de l’art tout entière, quand elle est celle du génie, devrait être une histoire de la délivrance. Car l’histoire tente de transformer le destin en conscience et l’art de la transformer en liberté » (Voix du silence). « Que faire d'une âme s‘il n’y a ni Dieu ni Christ », se demandait Tchen. Et s’il n’y a plus l’Homme. L’art de jadis « nous atteint comme un piège où l’univers s’est pris ». Mais précisément il n’était pas de l’« art ». L’art naît du regard interrogateur de l’homme séparé du monde et qui cherche à s’identifier. Dialogant avec de Gaulle (Les chênes qu’on abat), Picasso (La tête d’Obsidienne), Mao ou Nehru (Antimémoires), comme il l’a fait avec tous les héros de l’art et de l’action, Malraux a toujours été l’archéologue prospectif d’une civilisation faite d’unité et de ruptures. Même si la question, celle de la rupture de l’unité humaine, reste aujourd’hui en attente, même si on s’efforce de l’évacuer par un bricolage généralisé, elle est là, dans l’œuvre de Malraux : l’autonomie comme malédiction, et la nécessité de penser contre elle, dans un aléatoire sans précédent et une précarité qui cherche ses signes.

Principaux titres :

Lunes en papier, 1921, Éd. de la Galerie Simon. La Tentation de l'Occident, 1926, Grasset. D'une jeunesse européenne, in Écrits, 1927, Grasset. Les Conquérants, 1928, Grasset. Royaume-Farfelu, 1928, Grasset. Les Puissances du Désert, tome I, La Voie royale, 1930 , Grasset, Livre de Poche. La Condition humaine, 1933, Gallimard, Folio. Le Temps du mépris, 1935, Gallimard. L'Espoir, 1937, Gallimard, Folio. La Lutte avec l'Ange, tome i, Les Noyers de l'Altenburg, 1943, Éd. du Haut-Pays, Lausanne. Esquisse d'une Psychologie du Cinéma, 1946, Gallimard. La Psychologie de l'Art, tome I, Le Musée imaginaire, 1947, Skira, Genève. La Psychologie de l'Art, tome II, La Création artistique, 1948, Skira, Genève. La Psychologie de l'Art, tome III, La Monnaie de l'Absolu, 1949, Skira, Genève. Saturne, essai sur Goya, 1950, Gallimard. Les Voix du Silence, 1951, Gallimard. (Ce livre reprend les trois tomes de La Psychologie de l'Art.) Le Musée imaginaire de la Sculpture Mondiale, tome I, 1952, Gallimard; tomes II et III, 1954, Gallimard. La Métamorphose des Dieux, 1957, Gallimard. Le Musée imaginaire (Gallimard, Collection Idées, Arts). C'est la première partie de La Psychologie de I'Art et des Voix du Silence, remaniée en 1963. Antimémoires, tome I, 1967, Gallimard, Folio. Les Chêne qu'on abat, 1971, Gallimard, Folio. La tête d'obsidienne, 1974, Gallimard Lazare, 1974, Gallimard. Hôtes de passage, 1975, Gallimard, L'Intemporel, 1977, Gallimard. L'Homme précaire de la littérature, 1977, Gallimard. . Ouvrages consacrés à André Malraux : André Malraux par lui-même, Gaëtan Picon, 1953, Seuil. Malraux, Pierre de Boisdeffre, 1963, Éd. Universitaires. La Création romanesque chez Malraux, John Carduner, 1969, Nizet.

♦ Sur Les Conquérants : « Un style dense et beau, l’œil précis d’un artiste, l'observation originale et hardie, tout confère au roman une importance exceptionnelle.» Léon Trotsky. ♦ « Et peut-être pourrait-on dire qu’il n’a jamais fait que mettre en scène dans ses livres le goût malsain de l’héroïsme. » Robert Brasillach. ♦ « On ne referme jamais un livre de Malraux sans une sorte d’enthousiasme humain. » Jean Schlumberger. ♦ « Comme toujours chez Malraux, le chant tragique du destin et de la mort se dépasse en exaltation. » Gaëtan Picon. ♦ « Son œuvre exprime, tel que l’a imaginé Pascal, le tournant de l’homme sans Dieu, l’effort pour dominer, justifier, fonder en dignité la condition de cet homme. Elle est un combat avec le destin. » Georges Pompidou.

MALRAUX, André (Paris, 1901-Créteil, 1976). Écrivain et homme politique français. Écrivain engagé et homme d'action, il participa aux luttes et aux grands moments de son époque. Après avoir fait ses études au lycée Condorcet et fréquenté l'École des langues orientales, Malraux publia d'abord des textes d'inspiration surréaliste (Lunes en papier, 1921, dédié à Max Jacob). En 1923, il partit au Cambodge pour une mission archéologique puis se rendit en Chine (1926) où il rencontra les communistes chinois. De ces expériences, il tira plusieurs romans (Les Conquérants, 1928 ; La Voie royale, 1930, et La Condition humaine, prix Concourt en 1933). Sympathisant de l'extrême gauche, Malraux dénonça le totalitarisme nazi dans Le Temps du mépris ( 1935) puis s'engagea dans les rangs des républicains lors de la guerre civile d'Espagne (L'Espoir, 1937). Blessé et fait prisonnier en 1940, il s'évada, s'engagea dans la Résistance et, à la tête de la brigade Alsace-Lorraine, participa à la campagne de la Ire armée française (Les Noyers de l'Altenburg, 1943). Après la guerre, il délaissa le roman pour l'essai esthétique : La Psychologie de Part, 1947-1949 ; Le Musée imaginaire de la sculpture mondiale, 1953-1954 ; La Métamorphose des dieux, 1957-1976. Lié d'amitié avec le général de Gaulle, il fut ministre de l'information dans son gouvernement provisoire, puis ministre des Affaires culturelles de 1959 à 1969.




Écrivain français né à Paris en 1901, mort à Créteil en 1976. C'est de son contact avec la Chine (1925), où il rencontre des révolutionnaires communistes, que naissent ses premiers ouvrages (La Voie royale, 1930). Marqué par la pensée d'extrême gauche, il écrit aussi Les Conquérants (1928) et La Condition humaine (1933) où ses personnages, jetés désespérément au milieu de luttes sans merci, s'affirment dans l'action et dans une fraternité virile. Avec Le Temps du mépris (1936) et L'Espoir (1937) il s'attaque aux principes totalitaires nazis et au système franquiste. Pendant la guerre d'Espagne, il combat aux côtés des républicains et, durant le second conflit mondial, se joint à la Résistance. On lui doit, entre autres ouvrages, Les Noyers de l'Altenburg (1943), Le Musée imaginaire (1947), La Création artistique (1948), Les Voies du silence (1952)... Ministre des Affaires culturelles sous De Gaulle, il quitte ce poste en 1969 et publie, après la disparition du Général, Les Chênes qu'on abat (1971). Ses cendres ont été transférées au Panthéon. L'humanité était épaisse et lourde, lourde de chair, de sang, de souffrance, éternellement collée à elle-même comme tout ce qui meurt ; mais même le sang, même la chair, même la douleur, même la mort se résorbaient là-haut dans la lumière comme la musique dans la nuit silencieuse...

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