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ALAIN, Émile CHARTIER, dit (1868-1951)

ALAIN, Émile CHARTIER, dit (1868-1951)
Professeur de philosophie par excellence, d'abord en terminale, puis en khâgne au lycée Henri IV. Engagé volontaire pendant la Première Guerre mondiale, il n'eut de cesse de méditer sur le pouvoir, la guerre, l'obéissance et la liberté d'esprit. Membre du Parti radical, Alain fut toujours un modéré, attaché aux valeurs de travail et de justice. Il devait devenir un pacifiste convaincu dans les années 1930. Son œuvre, très diverse, faite à la fois d'ouvrages thématiques (sur l'art ou la religion), de présentations très personnelles des grands auteurs. de libres propos sur toutes sortes de sujets (la politique, le bonheur), illustre une certaine tradition philosophique, éprise d'indépendance, méfiante à l'égard des pouvoirs et des groupes, soucieuse de fonder une véritable sagesse. Ses références les plus chères : Platon, Descartes et Comte.
ALAIN [Émile Chartier]
1868-1951 Essayiste, né en Normandie. À son homonyme, le poète médiéval Alain Chartier, il imagina de prendre, aussi, le prénom, et d’en faire son « nom de plume ». Par là, ce professeur de philosophie rendait un fervent hommage à la poésie ; ce ne sera pas le seul. Le nom d’Alain reste associé à celui du genre littéraire qu’il a créé : le propos. Sauf, en effet, quelques « dialogues » à la manière de Platon ou de son ami Valéry (Entretiens au bord de la mer, 1931), et quelques brèves « scènes de comédie » (dont le savoureux Roi Pot), toute son œuvre n’est qu’une suite de propos. Chacun de ces essais très brefs - de ces chapitres comme il dit aussi - se présente à nous calibré, normalisé sur une même longueur et presque un même nombre de lignes. Servitude dont il fait une coquetterie, ou plutôt une rigoureuse règle du jeu, semblable à celle du poème. Ne va-t-il pas jusqu’à les rassembler à l’occasion, par séries, identiques en nombre (les cinq volumes échelonnés de 1908 à 1928 sous ce même titre : 101 Propos d’Alain)? Enfin le mot propos lui-même n’est, sans doute, pas autre chose qu’un jeu de mots, par quoi ce malicieux moraliste nous rappelle que le décousu ainsi affirmé (l’« à propos de... ») recèle une infaillible unité de propos, et n’est en fin de compte que la pudeur d’une volonté trop consciente de sa force, orientée vers un objectif précis, invariable, poursuivi sans relâche avec une opiniâtre douceur : la défense du rationalisme. Au surplus, la curiosité universellement bienveillante d’Alain, et par suite son inépuisable et légendaire faculté de compréhension trouvent assez vite leurs limites. En politique, il prêche l’obéissance apparente, dès lors qu’elle préserve le refuge intérieur : L’esprit ne doit jamais obéissance. Ce jugement intérieur, dernier rejuge et suffisant refuge, il faut le garder (notons qu’en certains cas graves Alain fera plus et mieux que cela). En art, il aime également novateurs et conservateurs, ce qui est fort téméraire, et même Monsieur Ingres (dans la collection Les Demi-Dieux) ; mais pour le reste, il ignore l’art de son siècle. En poésie enfin, il parvient à donner, à force de sympathie, la plus fine et la plus belle analyse de La Jeune Parque de son contemporain exact Paul Valéry (mais pendant le même temps Bachelard, cet autre « ami de la Beauté », découvre et salue les jeunes poètes). C’est pourquoi, sans doute, de tant de volumes de propos d’Alain sur les sujets les plus divers, on préférera toujours ceux qu’il a consacrés à son véritable sujet : la morale pratique (Propos sur le bonheur, 1928 ; Propos sur l’éducation, 1932 ; Les Saisons de l’esprit, 1937, etc.).

ALAIN Émile-Auguste (pseud. de Chartier). Né à Mortagne-au-Perche (Orne) le 13 mars 1868, mort au Vésinet (Yvelines) le 2 juin 1951. Fils d’un vétérinaire, il eut une enfance banale; elle « ne fut que bêtise », a-t-il écrit lui-même. Mais, alors qu’il était élève au collège d’Alençon, Alain perdit la foi; sans toutefois connaître la moindre crise spirituelle; il ne brillait alors que dans les mathématiques, et songeait à entrer à Polytechnique; mais, après un échec au baccalauréat-sciences, il décida de préparer Normale Supérieure au futur lycée Michelet, à Vanves, où il eut pour professeur Jules Lagneau, auquel il devra son rationalisme, et surtout une figure, un exemple de philosophe qu’il n’oubliera pas — ses Souvenirs concernant Jules Lagneau. Entré tard à Normale, en 1889, à vingt et un ans, il y affirma son caractère indépendant, prit vivement parti contre les maîtres vénérés de l’époque : Sainte-Beuve, Renan, Taine, Brunetière et, appliquant déjà sa méthode de lecture intégrale des grands textes, se nourrit de Platon, d’Aristote, de Comte et surtout de Kant qu’il proclamera « l’irréprochable maître d’école ». Il débuta dans le professorat en 1892 et, quelques années plus tard, à l’occasion de l’affaire Dreyfus, dans le journalisme politique. En 1900, il fut professeur à Rouen; sa collaboration à des revues érudites l’ayant fait remarquer, il se trouva ensuite appelé à Paris et, à partir de 1909, fut chargé des cours du collège Sévigné et du lycée Henri IV, dans la classe préparatoire à Normale. Dès 1906, il avait commencé, pour La Dépêche de Rouen, la si féconde série des Propos, petits articles d’abord quotidiens, où, à propos de n’importe quel fait divers, d’impressions de rues, de promenades dans la campagne, de lectures, il révèle sa vigueur de moraliste. Au moment de la guerre de 1914, bien que non mobilisable, Alain exigea de partir aux armées, où il refusa toujours un grade supérieur à celui de sous-officier. Pendant ses loisirs, il trouva l’occasion de poursuivre sa vie d’intellectuel avec Mars ou la guerre jugée, écrit en 1915, et le Système des Beaux Arts, ces deux ouvrages publiés après l’armistice. Blessé à la jambe, réformé et démobilisé, Alain reprit ses cours qui l’imposèrent non seulement à ses élèves — dont beaucoup se firent un nom et proclamèrent leur dette à l’égard du philosophe — mais aussi à un public cultivé de plus en plus large. A partir de 1920, les disciples d’Alain publièrent une feuille hebdomadaire qui contenait ses Libres Propos, lesquels paraissaient d’ailleurs dans d’autres revues, en particulier dans La Nouvelle Revue Française. En 1933, lorsqu’il abandonna le professorat, à l’âge de soixante-cinq ans, et se fixa au Vésinet, Alain entra dans une retraite fort active, puisqu’il continua de publier divers recueils de Propos, et qu’il écrivit de nouveaux livres, tels que son autobiographie intellectuelle, Histoire de mes pensées, en 1936. Marié très tard, à plus de soixante-dix ans, il reçut peu avant de mourir, le Grand Prix National de Littérature. Il fut d’abord un professeur, dont l’influence et la popularité ne sont guère comparables en ce siècle qu’à celles d’un Bergson, ou autrefois à celles d’un Michelet, d’un Quinet. Mais Alain dédaignait les éclats des maîtres romantiques, et il ne possédait, pour s’imposer comme un Bergson, ni l’aisance mondaine, ni même une doctrine originale. Un robuste rationalisme, un kantisme étrangement promené à travers d’infatigables observations de choses et de gens, et corrigé par ses observations, voilà toute la philosophie d’Alain. Mais Alain est-il un philosophe ? Bien plutôt un éveilleur d’esprits. Il n’a pas de système à proposer, mais seulement la constante et infiniment diverse leçon de défiance à l’égard des opinions communes, des idées toutes faites. « L’esprit n’est pas une poubelle à vérités », dit-il, et encore : « Il s’agit de former son jugement par un massacre de pensées... D’abord massacrer les lieux communs. » Que cherche-t-il, et surtout que fait-il chercher à ses élèves, à ses lecteurs ? « Une intelligence plus lourde, lestée de terre, servante des yeux et des mains, étroitement collée aux choses réelles, et qui ne sépare point l’idée de l’outil. » A propos d’Alain on parle souvent de Montaigne. Mais on évoquerait aussi, toute proportion gardée, quelque Socrate, moins léger et rusé, plus paysan. Une seule vraie passion court dans cette œuvre chaotique, informe : celle de la liberté. Alain frémit de toutes les censures, il dénonce les tyrannies, il en est même un peu obsédé. L’individu reste pour lui la seule ressource. En politique, son point de vue est celui du citoyen contre les pouvoirs; c’est ce qu’il nomme être radical — mais ce titre, chez lui, prend un contenu mystique; il devient la vivante protestation d’une raison volontaire dressée contre toutes les séductions de la puissance, des mythes, des honneurs, des autorités. Alain se méfie du cœur : « Ne pas craindre, rester sobre, ne rien croire, trois ressources contre le tyran » : il ne demande pas à ses élèves d’adhérer à une doctrine ou à une morale — fussent-elles les siennes — mais plutôt de le suivre dans cette ascèse laïque, perpétuelle conquête de la liberté. Une hantise des maîtres pourrait, à propos d’Alain, faire songer à Paul-Louis Courier. Mais cet indépendant ne refuse pas de se soumettre à l’ordre, pourvu qu’on lui laisse l’essentiel : sa pensée, son jugement. Puis, en même temps que le souci de « n’être jamais dupe », il éprouve le besoin de se confier, et une . volonté de « tout croire de l’homme. » Ainsi ce rationaliste exaltera-t-il le romantisme viril d’un Beethoven, et ce démocrate ne semble pas si loin de professer un culte des héros : « J’ai fait mon chemin dans la compagnie de quelques grands hommes authentiques, et le reste n’a pas existé pour moi. » Alain présente trop de nuances, sinon de contradictions, pour être populaire; son style, d’autre part, plein d’humour, abondant en formules heureuses, est concis au point de gêner parfois l’intelligence. Le rayonnement d’Alain est réduit, et il y a peu de chances pour qu’il s’élargisse; mais d’avoir marqué profondément des élèves aussi différents que Jean Prévôt, Pierre Bost, André Maurois, Henri Massis, atteste son influence occulte sur l’intelligence contemporaine.
♦ « On soupçonne finalement une lacune dans tant de prudence paysanne; Alain ne tient aucun compte des passions humaines, ou plutôt ne dirait-on pas qu’il n’en soupçonne que chez le tyran... Un drôle de petit écolier de village aura persisté en lui jusqu’au bout. » Henry Clouard.
♦ « Ce n’est pas ton idée, Alain, que je méprise, c’est toi-même, sophiste obscur ! » Georges Bernanos.
♦ « J’ai connu peu de grands hommes, j’entends sans la moindre paille dans le métal... Le philosophe Alain est l’un de ceux-là, et nous sommes assez nombreux à le savoir, qui fûmes ses élèves ou ses lecteurs. » André Maurois.
♦ « Un moine sans Dieu : je serais tenté de proposer cette définition d’Alain, si je ne craignais de l’enfermer dans cette cathédrale désaffectée que fut la pensée morale du XIXe siècle et dont il a brisé les portes à grands coups de hache. » Ramon Fernandez.
♦ « Nous avons appris de lui que la probité et le courage sont les premières vertus de l’esprit, que chacun a l’intelligence qu’il mérite, que la sottise guette chacun de nous par humeur, par infatuation, par peur ou par manque de foi en soi-même; que les questions les plus simples sont difficiles, si on y regarde de près; que les problèmes les plus ardus se simplifient si l’on procède par ordre avec ténacité; enfin que la liberté est la vertu première de l’homme. » Gilbert Spire.

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