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VOLTAIRE (vie et oeuvre)

Polémiste et homme de tolérance, Voltaire s'est opposé avec ironie à la monarchie absolue, aux religions établies et au dogmatisme métaphysique. Il admit pourtant la monarchie contrôlée par la raison et l'existence d'un Dieu «architecte du monde».

VIE

Le XVIIIe siècle apparaît comme l'âge d'or des philosophes, dont les idées annoncent la Révolution. On remet en question la monarchie absolue et les dogmes de la religion, on prône le progrès social et la liberté politique.

L'homme du monde (1694-1753)

La conscience de son temps (1753-1778)

OEUVRES

Ennemi de tout système, Voltaire a lutté inlassablement contre le dogmatisme religieux et l'intolérance. Ses oeuvres philosophiques ne représentent qu'une partie restreinte - mais certainement la plus importante pour nous - de son oeuvre.

Lettres philosophiques (1734)
Exilé de France, Voltaire a trouvé en Angleterre le pays de la liberté et du progrès. Il y a découvert la tolérance, la liberté parlementaire, la liberté de pensée, la physique de Newton, dont il fait l'éloge dans une série d'articles.

Micromégas (1752)
Dans cette «histoire philosophique», Voltaire critique la vanité de la métaphysique. Étant incapables de connaître les fins dernières, les hommes doivent se contenter de développer des connaissances pratiques et de faire preuve de tolérance.

Essai sur les mœurs et l'esprit des nations (1756)
Dans cette réflexion sur l'histoire, Voltaire défend l'idée de la relativité des coutumes et des croyances et de l'unité de la nature humaine. Il n'y a pas de progrès moral, seulement un progrès matériel qui se manifeste par le développement des sciences et des arts.

Traité sur la tolérance (1763)
Voltaire a rédigé ce traité à la suite de l'affaire Calas. Ce dernier a été exécuté parce qu'il était protestant et non parce qu'il était coupable du meurtre de son fils, qui s'est suicidé. Voltaire plaide en faveur de la tolérance religieuse et pour la réforme de la justice pénale.

Candide (1759)
Ce conte philosophique est une critique de la doctrine optimiste de Leibniz, qui pensait que «tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes».

Dictionnaire philosophique (1764)
Ce dictionnaire «portatif» est un condensé de la pensée de Voltaire, un pamphlet contre tous les préjugés du siècle. Voltaire critique la vanité de l'intelligence humaine, la religion révélée, la barbarie des coutumes judiciaires, prône la tolérance et la «religion naturelle», croyance en un être suprême en dehors de toute église.

EPOQUE

Le despotisme politique et religieux
Au début du XVIIIe siècle, la société est soumise au double despotisme de la monarchie absolue et de la religion. Il n'y a pas de liberté de culte, de pensée, ni de libertés politiques: les hérétiques sont persécutés, les libres penseurs sont embastillés, la noblesse possède des privilèges exorbitants.

La réaction philosophique
Dès la fin XVIIe siècle, des penseurs critiquent le despotisme politique et la religion. Locke, Montesquieu préconisent la liberté politique, la séparation des pouvoirs, la liberté de pensée et de conscience, bref ce qu'on appellera bientôt les «droits de l'homme». La religion révélée apparaît comme un tissu de superstitions conduisant au fanatisme. A l'image des scientifiques comme Newton, les philosophes s'arrogent le droit d'examiner librement et de critiquer les idées reçues au nom de la Raison.

APPORTS

Voltaire a employé son esprit et son énergie à détruire les préjugés et les dogmes au nom desquels on asservit les hommes. Au-delà de ses sarcasmes, il a prôné un idéal de tolérance, de justice et de sagesse propre à rendre les hommes heureux.

La critique politique. Voltaire a critiqué le despotisme de la monarchie absolue. Il a prôné l'idéal d'un despote éclairé, conseillé par les philosophes ou philosophe lui-même.

La critique de la religion. Voltaire a combattu les religions établies. Fondées sur des superstitions, elles provoquent le fanatisme, la guerre civile et les persécutions. Il a lutté avant tout pour la tolérance religieuse.
La critique de la philosophie. Pour Voltaire, l'homme ne saurait se prononcer sur des problèmes qui dépassent son intelligence . Pour atteindre le bonheur, il suffit de cultiver une sagesse pratique.

Postérité-actualité. «C'est la faute à Voltaire»: le plus représentatif des philosophes des Lumières annonce les conquêtes positives de la Révolution, comme les droits de l'homme, même si le fanatisme de la Terreur l'eût atterré. En cette fin du XXe siècle enfin, où l'on connaît une résurgence des intégrismes religieux et politiques, le message de Voltaire en faveur de la tolérance est plus que jamais valable.

VOLTAIRE. Né et mort à Paris (21 novembre 1694-30 mai 1778). François-Marie Arouet, qui devait prendre le nom de Voltaire, assista au déclin du grand siècle. Son père, notaire, puis receveur à la Chambre des comptes, où il avait son logement, était l’homme d’affaires des ducs de Richelieu et de Saint-Simon; il avait connu le vieux Corneille; il fréquentait Boileau-Despréaux et son frère l’abbé. Milieu de bourgeoisie frondeuse, janséniste, austère. Le frère aîné de François-Marie donnera dans les convulsions de Saint-Médard, contresignera des miracles du diacre Pâris. Bourgeoisie libertine aussi : le parrain de l’enfant, l’abbé de Châteauneuf, l'a présenté à Ninon de Lenclos, âgée de quatre-vingt-quatre ans; François-Marie fut couché sur le testament de la vieille demoiselle pour une somme de mille francs. Il venait d’entrer au collège Louis-le-Grand, le meilleur établissement français des jésuites. Il y reçut une excellente éducation littéraire, toute fondée sur le latin. Voltaire conservera des relations avec ses anciens régents, les Pères Porée et de Tournemine. Sa première œuvre fut imprimée par les soins des Pères : une Ode à sainte Geneviève, imitée d’une ode latine de son professeur de rhétorique. Ce très brillant élève était déjà, au dire de son confesseur, « dévoré de la soif de la célébrité ». Au sortir du collège, il refuse de faire son droit, et prétend se consacrer à la littérature. Exilé à Caen par décision paternelle, il y fait esclandre. Secrétaire de l’ambassadeur à La Haye, il s’amourache de Pimpette, et est renvoyé à son père, qui veut le faire déporter en Amérique. Au début de 1714, il travaille quelque temps dans l’étude d’un notaire, où il rencontre Thiriot, qui devient son confident. Admis aux soupers du Temple, auprès du duc et du grand-prieur de Vendôme et de leur intendant l’abbé de Chaulieu, fréquentant la société des Caumartin, le « petit Arouet » est l’amuseur de la Régence. On colporte ses épigrammes sur le Régent, on lui en attribue qui ne sont peut-être pas de lui. Ce qui lui vaut un exil a Sully-sur-Loire, chez son ami le duc (1716), puis un séjour de près d’un an à la Bastille (1717).
Mais cet évaporé a des ambitions sérieuses. Il fait jouer Œdipe (1718), tragédie philosophique et satirique, qui remporte un grand succès; on salue Voltaire (c’est alors qu’il adopte ce pseudonyme) comme le successeur de Corneille et de Racine. Dans les années suivantes, il va « de château en château » : Sully, Le Bruel, Ussé, Richelieu... Il regarde du côté de l’Angleterre : il est reçu à l’ambassade, fait sa cour à milord Bolingbroke, envoie des vers au roi d’Angleterre. Songe-t-il à faire carrière dans la diplomatie ? Il flatte Dubois et lui offre ses services. Il continue cependant à tenter fortune dans les voies de la haute littérature. Il sera le Virgile qui manque à la France, grâce à sa Henriade, épopée polémique, dirigée contre le fanatisme de la Ligue : la première édition de cette adroite fabrication (1723) soulève l’enthousiasme. Ses succès littéraires l’introduisent à la cour. Il est dans les bonnes grâces de Mme de Prie, maîtresse régnante. Au mariage de Louis XV, on joue trois de ses pièces. La jeune reine l’appelle « mon pauvre Voltaire ». Il est en passe de devenir le poète attitré de la nouvelle cour. Mais il est aussi, déjà, un philosophe militant. « A la toilette des jeunes seigneurs », il se moque de la Bible, des Apôtres, des Pères de l’Église. Il professe un déisme agressif : en 1722, à Bruxelles, il a lu à Jean-Baptiste Rousseau son Epître à Uranie, ardemment antichrétienne. Sur le conseil de Boling-broke il s’applique à lire Locke. Un accident va précipiter cette évolution : il se querelle au théâtre avec le chevalier de Rohan, triste rejeton d’une illustre famille; ce noble personnage fait bastonner le poète à la porte de l’hôtel de Sully. Courtisans et grands seigneurs trouvent l’aventure fort plaisante. Voltaire, furieux, veut provoquer en duel l’insulteur. Le cardinal de Rohan, par précaution, le fait embastiller. Voltaire sort de prison au bout de quelques jours à condition de partir pour l’Angleterre. La chute est profonde. Sa carrière de poète courtisan est brisée. Tout se réunit pour l’accabler. Les deux banquiers de Londres qui détiennent son argent font faillite. Coup sur coup, il apprend la mort de sa sœur aînée, qui l’avait élevé, et la trahison de son «janséniste de frère », qui profite de ses malheurs pour lui dérober sa part d’héritage. Seul en terre étrangère, malade, il paraphrase, dans une lettre à Thiriot, le monologue de Hamlet qu’il vient de voir jouer à Londres.
Mais à la fin de 1726 la crise est surmontée. En janvier, Voltaire est présenté à George Ier; il prépare l’édition définitive de La Henriade, publiée à Londres par souscription, et dédiée à la reine d’Angleterre. Ces deux années d’exil restent mal connues. Il semble s’être brouillé avec Bolingbroke, son premier protecteur. Il a connu Pope, Swift, Samuel Clarke. Il est frappé surtout par la hardiesse et l’activité de la nation anglaise. Hôte du négociant Falkener, il comprend que l’Angleterre doit sa puissance a son commerce. La supériorité intellectuelle de ces ennemis traditionnels des Français est la conséquence de la tolérance religieuse et du rationalisme pratique des philosophes anglais. En comparaison le royaume de Louis XV lui paraît un pays attardé, tout rempli de superstitions, agité de vaines querelles théologiques, incapable de progrès. Voltaire médite décrire une sorte de reportage sur cette « île de la Raison » pour faire honte à ses compatriotes : ce seront les Lettres philosophiques (1734). Rentré en France (fin de 1728 ou début de 1729), il met à profit la leçon anglaise. Il tente de faire passer dans ses tragédies quelque chose de l’énergie shakespearienne : Brutus (1730), Zaïre (1732), qui est un triomphe, Adélaïde du Guesclin (1734), La Mort de César (1735), Alzire ou les Américains (1736). Ce qui importe davantage, il fait ses débuts comme prosateur : jusqu’alors il n’était, il n’avait voulu être qu’un poète. Il publie l'Histoire de Charles XII (1731), histoire dramatique, mais aussi philosophique, qui oppose au héros conquérant le grand nomme véritable (Pierre le Grand). Voltaire partage son temps entre Paris et Rouen, où l’attendent Mme de Bernières, l’aimable Cideville, le philosophe Formont. Mais, en juin 1733, il rencontre Mme du Châtelet et commence avec elle une association qui ne sera rompue que par la mort de la « divine Emilie ».
La crise des Lettres philosophiques achève de classer Voltaire au nombre des auteurs subversifs. Le libraire Jore débite soudain le livre, imprimé depuis plusieurs mois (avril 1734). Scandale énorme. Un mandat d’arrêt est lancé. Voltaire se réfugie dans le château de Cirey que M. et Mme du Châtelet possèdent en Champagne. L’alerte passée, Voltaire pourra revenir à Paris, mais la capitale n est plus pour lui un lieu sûr. A Cirey même, le cardinal de Fleury le fait surveiller. Après l’affaire du Mondain, petit poème effrontément épicurien diffusé en manuscrit (novembre 1736), Voltaire, qui a dû s’exiler quelques semaines en Hollande, est tenu à une grande prudence. En outre Cirey est un lieu assez solitaire, où les visiteurs sont rares. Toutes circonstances favorables au travail : c’est alors que Voltaire, encouragé par Mme du Châtelet, prend ses habitudes studieuses. Il compose un Traité de métaphysique, des Éléments de la philosophie de Newton mis à la portée de tout le monde, il commence Le Siècle de Louis XIV et cette histoire universelle connue sous le titre d'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations. Mme du Châtelet se livre à de nombreux travaux de physique, traduit et commente La Fable des abeilles, rédige un commentaire très critique de la Bible, dont le manuscrit nous est parvenu. A Cirey et en partie grâce à son amie, Voltaire acquiert cette culture encyclopédique qu’il mettra bientôt au service de son action militante. Et pour se distraire il écrit La Pucelle d'Orléans ou broche des tragédies.
Cette période de retraite prend fin le 8 mai 1739 : Voltaire et Mme du Châtelet partent pour Bruxelles où les appelle un procès. Les dix années qui suivent se passent en voyages continuels entre la Belgique, Paris et Cirey. Voltaire est toujours suspect : l’édition des premiers chapitres du Siècle de Louis XIV est saisie (1739); la tragédie de Mahomet — v. Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète — est interdite après la troisième représentation (1742). Pourtant à Versailles, sa position s’améliore peu à peu. Depuis 1730, Voltaire correspond avec le prince royal de Prusse, le futur Frédéric II, grand admirateur de la culture française. Il dispose là d’un atout appréciable : pendant la guerre de succession d’Autriche, le ministère français le charge de missions officieuses auprès de Frédéric II (1742 et 1743). Après l’entrée au ministère de son ancien condisciple le marquis d’Argenson, Voltaire, protégé par Mme de Pompadour, connaît la grande faveur. Il fait jouer La Princesse de Navarre au mariage du Dauphin, célèbre en alexandrins la victoire de Fontenoy, dédie son Mahomet au pape, qui lui envoie des médailles, entre à l’Académie. Voltaire est « arrivé ». Par des spéculations sur les vivres, il a accru considérablement la fortune amassée depuis son retour d’Angleterre. Il est bien accueilli à Nancy, Luneville et Commercy, où Stanislas Leczinski tien sa cour. A Versailles, il a été nommé historiographe et gentilhomme ordinaire de la chambre du roi. Après la première du Temple de la gloire, opéra en l’honneur de Louis XV, il demande, de façon à être entendu du roi : « Trajan est-il content ? » Mais « Trajan » le boude, et Voltaire a trop de pétulance pour faire un bon courtisan. Sa vie privée se complique : tout en restant à Mme du Châtelet, il devient l’amant de sa nièce, Mme Denis, veuve légère. Tant d’agitations l’usent : revenant de Paris à Commercy, en septembre 1748, il a failli mourir en route, dans une auberge. En octobre, il surprend Mme du Châtelet dans les bras de Saint-Lambert. L’humeur noire le ramène à la philosophie. Il cesse de croire au libre arbitre. Il écrit ses premiers contes, Vision de Babouc, Zadig, Memnon, sur le thème du pessimisme. Cette période se termine par une crise où le tragique se mêle au ridicule : le 4 septembre 1749, Mme du Châtelet accouche d un enfant dont la paternité officielle est attribuée à M. du Châtelet. Voltaire annonce la nouvelle en badinant. Mais, le 10, Mme du Châtelet meurt. A la porte de la chambre, frappé par la terrible nouvelle, Voltaire tombe évanoui. En octobre, à Paris, dans la maison qu’il a naguère habité avec son amie, il se lève la nuit et erre dans l’obscurité, appelant à voix haute son Emilie. Par sucroît, le public, las de ses succès, siffle ses pièces : Oreste, Nanine ou le préjugé vaincu. Désem-paré, Voltaire accepte l’offre que lui faisait depuis longtemps Frédéric II de se fixer à Berlin. Il quitte Paris le 28 juin 1750, et n’y reviendra qu’en 1778.
Une nouvelle génération entrait en scène, avec Diderot, d’Holbach, d’Alembert, Rousseau, génération encyclopédiste et préromantique, plus hardie, plus détachée de la tradition classique que la précédente. Les nouveaux venus aiment Richardson, la musique italienne, le drame bourgeois. Du point de vue de l’art, Voltaire se laisse distancer, malgré quelques tentatives pour se mettre au goût du jour : L'Orphelin de la Chine (1755), où pour la première fois les actrices jouent sans panier, L’Ecossaise (1760), comédie dramatique, Tancrède , tragédie médiévale, pour laquelle la Comédie-Française déploie une importante mise en scène. Mais Voltaire, éloigné de Paris, a perdu le contact avec son public. Ses dernières pièces sont mal accueillies. Ses satires, épîtres, discours en vers — La Loi naturelle (1756), Epître à Horace (1772) — d’allure toute classique, ne témoignent d'aucun effort de renouvellement. En revanche, dans le domaine de la pensée, Voltaire se maintient à l’avant-garde. A Potsdam, il compte que son ami le roi appuiera de son pouvoir une campagne philosophique. Le Sermon des cinquante, le plus violent pamphlet antichrétien qui soit sorti de la plume d’un grand écrivain, a été rédigé avant 1753. Autour de Frédéric II, un cénacle de penseurs aventureux est rassemblé : d’Argens, La Mettrie, Maupertuis, directeur de l'académie de Berlin, auxquels se joindra bientôt l’abbé de Prades, théologien de l'Encyclopédie, condamné par la Sorbonne. Au souper du roi, on dresse le plan d’un Dictionnaire philosophique. Mais ces projets n’aboutiront pas. Frédéric II méprise trop la canaille pour souhaiter l’éclairer. Voltaire s’aperçoit qu’il est l’amuseur et non le conseiller de Sa Majesté. On lui a rapporté le mot du maître : « On presse l’orange, et on jette l’écorce ». Tout se gâte, à la fin de 1752, quand une querelle le met aux prises avec Maupertuis. Le roi, furieux, fait brûler La Diatribe du docteur Akakia, où Voltaire a tourné en ridicule son adversaire, haut fonctionnaire de l’Etat prussien. Il faut sauver « l’écorce ». Non sans peine, Voltaire réussit à quitter Berlin (27 mars 1753). Mais Frédéric II se venge : à Francfort, ville impériale, Voltaire est emprisonné par ordre du résident prussien, ainsi que Mme Denis qui était venue à sa rencontre. Brimades, humiliations : il se peut que le résident ait outrepassé ses consignes, mais Frédéric II se garda bien de le désavouer.
Voltaire traverse la phase la plus critique de sa carrière : Paris lui est interdit, un retour en Allemagne serait périlleux; l’impératrice Marie-Thérèse, le roi d’Angleterre, pressentis, déclinent l’honneur de l’héberger. Après une attente d’une année à Colmar, il découvre enfin le port de salut : il loue une maison à Lausanne, il achète dans la banlieue de Genève la propriété des Délices. En ces lieux qui paraissent sûrs, il reprend son activité philosophique. Voltaire collabore maintenant à l'Encyclopédie. Il se flatte de gagner à sa cause ses amis les calvinistes libéraux : Vernet, Vernes, Abauzit, Allamand. Mais, comme naguère à Potsdam, il lui faut en rabattre. Le Consistoire lui interdit de jouer des pièces de théâtre chez lui. On s’indigne qu’il ait osé, à propos de l’affaire Servet, qualifier d’« atroce » l’âme de Calvin. L’article Genève de l'Encyclopédie, concerté aux Délices avec d’Alembert, où il était dit que les pasteurs de cette ville étaient au fond de simples déistes, déchaîne la tempête. Voilà Voltaire au plus mal avec les « sociniens honteux » : Vemet, Vemes, et quelques autres. Cependant, à Paris, le parti dévot fait interdire VEncyclopédie ; Rousseau rompt bruyamment avec Diderot; d’Alembert, découragé, abandonne l’entreprise. Voltaire lui-même cesse sa collaboration et se retire à Ferney, dans le canton français de Gex. Tandis que la guerre de Sept Ans fait rage, il « cultive son jardin » ; il écrit Candide ou l'optimisme (janvier 1759). Mais Voltaire ne serait pas Voltaire s’il se résignait à l’inaction. En secret, il sert d’intermédiaire entre Frédéric II, avec lequel il a repris sa correspondance, et le ministère français : il juge, avec raison, que l’intérêt de la France exige le rétablissement rapide de la paix. Sa vie prend alors son orientation définitive. Seigneur de village, il construit, défriche, plante, installe des horlogers émigrés de Genève. Dans son château, il mène grand train; des visiteurs le viennent voir de toutes les parties de l’Europe. Il continue d’avoir d’innombrables querelles avec ses curés, son évêque, les pasteurs de Genève, Rousseau, etc. Il dirige la campagne philosophique pour la réforme de la justice et de l’Etat, pour la liberté, et surtout pour la tolérance, et contre l’« infâme » : il ne se propose rien moins que de réduire la religion chrétienne à un déisme étroitement subordonné à l’autorité politique. Contre le clergé, il cherche l’alliance des souverains et des ministres, en particulier celle du duc de Choiseul. L’offensive se développe surtout à partir de 1762 : tandis que les Parlements font le procès des jésuites, Voltaire entreprend la réhabilitation de Calas, protestant de Toulouse, accusé sans preuve d’avoir assassiné son fils pour un motif de religion, et roué vif. L’affaire Calas, suivie de l’affaire assez semblable du protestant Sirven, fait admettre définitivement à l’opinion le principe de la tolérance religieuse. Voltaire, « don Quichotte des malheureux », jouit alors d’une immense popularité. Il a des correspondants — v. Lettres — des admirateurs, des « séides », dans tous les milieux et dans tous les pays. Il veut exploiter son succès pour mener à bien son grand dessein : « écraser l’infâme ». Entre 1764 et 1770, les événements du Portugal, de Pologne, la politique du comte d’Aranda en Espagne, les conflits des Bourbon et de la cour de Vienne avec la papauté lui font espérer comme imminente la dislocation de l’Eglise catholique. Pour hâter le dénouement, Voltaire intensifie sa production littéraire. Un flot ininterrompu d’ouvrages sort de
Ferney : facéties, contes, tragédies, œuvres historiques, dictionnaires... Mais après ces furieux coups de boutoir, l’« infâme » est à peine entamée. C’est Voltaire qui faiblit. A partir de 1770, vieilli, aigri par la vogue de Jean-Jacques et par celle de Shakespeare, alarmé par la propagande athéiste du baron d’Holbach, Voltaire écrit moins. Il se replie sur la politique locale. Il obtient la suppression de la barrière douanière qui séparait le pays de Gex de Genève, son débouché naturel. Il réclame, sans l’obtenir, l’affranchissement des serfs du Jura. Voltaire aurait pu s’éteindre doucement dans son canton montagnard. Mais il fallait qu’il finît comme il avait vécu. L’envie lui prend soudain, au début de 1778, de revoir Paris, qu’il a quitté depuis plus d’un quart de siècle. C’est une apothéose; il meurt épuisé par son triomphe, le 30 mai 1778. Sa dernière aventure fut son enterrement. Son neveu l’abbé Mignot, trompant le curé de Saint-Sulpice, l’archevêque de Paris, le lieutenant de police et le ministre de la maison du roi, lui procure, par surprise, une sépulture chrétienne dans la chapelle de Scellières. Mais Voltaire, qui aimait les redites, fut enterré une seconde fois, au Panthéon, le 11 juillet 1791, par la Révolution en corps constitué.
Voltaire a vu passer le Père Bourdaloue, et il a rendu compte du premier livre de Marat. Par son art comme par sa pensée, il tient au passé autant qu’il annonce l’avenir. L’homme, mesquin et généreux à la fois, est capable du pire et du meilleur; il a fait l’un et l’autre, au long d’une des existences les plus pleines qui aient été. L’œuvre immense qu’il a laissée a perdu peu à peu de son actualité au cours du XIXe siècle. Elle reste, en dépit de ses inégalités, le témoignage d’un esprit toujours en éveil. Dans ce style frémissant de vie, on aime sentir la présence d’une intelligence admirablement lucide et cultivée. A une humanité si différente de celle pour laquelle il écrivit, il continue d’enseigner à n’être point dupe, à ne point prendre pour des vérités essentielles ce qui n'est que mensonge, imposture, illusion du cœur, ou routine de la pensée.




[…] Doctrine qui admet qu’un Être suprême, qu’on peut appeler Dieu, existe. Le déisme ne s’appuie sur aucune révélation religieuse et ne reconnaît aucun dogme. Très répandu au XVIIIe siècle, il est parfois appelé religion naturelle. Cf. Voltaire. […]



[…] siècle qui brille par son intoléranceRousseau meurt la même année que Voltaire. Dix-huit ans les séparent. Rousseau n’a que cinq ans lorsque Voltaire est […]



[…] Certitude Absolue et indéfectible d’être dans le vrai et de bien faire, qui interdit tout scrupule. Au sens kantien, le fanatisme peut être opposé à la vertu et à la sainteté. Cf. Voltaire. […]

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