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VÉRITÉ

VÉRITÉ, n.f. (lat. veritas). Propriété fondamentale des connaissances qui fait que celles-ci sont intelligibles, c'est-à-dire claires, précises et exactes, c'est-à-dire conformes à la réalité. Cette propriété est, depuis toujours, le but essentiel de la recherche philosophique ; le titre Recherche de la vérité est classique en philosophie. Le philosophe désire aller vers des connaissances vraies, lumineuses pour l'esprit, permettant aussi d'agir correctement. La philosophie considère la vérité comme tout à fait supérieure aux opinions, qui sont variables, non justifiées, trompeuses, même s'il se trouve que, ici ou là, une opinion rencontre la vérité (car, cela, l'opinion l'ignore, sinon elle ne serait plus une opinion). — Depuis Platon jusqu'aux véritables, mais rarissimes, philosophes du XXe siècle (par exemple, Bergson) la philosophie établit un rapport intime entre la vérité et l'être (c'est-à-dire entre une connaissance et ce qui est, ce qui existe réellement) : «alêthéïa kaï on (la vérité et l'être)», disait Platon. Cependant, une vue superficielle de l'histoire de la pensée peut donner l'impression que les thèses des philosophes se contredisent, forment comme le «Musée des bizarreries conçues par l'esprit humain» (Introduction à l'Histoire de la philosophie par les textes, p. 8). Aussi est-il nécessaire d'examiner cette situation, surtout du fait de l’exigence incluse dans l'idée de vérité. ♦ 1° Différentes conceptions de la vérité. a) L'empirisme. La vérité réside dans les sensations, qui sont «écrites sur la table rase de l'esprit», sorte de statue «qui serait odeur de rose», puis de jasmin, etc. ; b) L'idéalisme. C'est dans la vision intelligible des Idées que consiste toute connaissance vraie ; cette vision n'est pas donnée par les sens ; elle est formellement correcte quand elle est exposée déductivement (Platon, Descartes, Malebranche) ; c) Le criticisme kantien. L’application des concepts de l’entendement nous fait connaître les phénomènes, qui sont les choses telles qu'elles sont accessibles dans l’expérience humaine, mais non telles qu'elles sont en soi. d) Le scepticisme. Toute sensation est relative au sujet qui l’éprouve ; les opinions varient ; aucune chose n'est pleinement connue si on ne connaît pas son rapport avec toutes les autres : rien n'est donc assurément vrai — proposition absurde, car elle est contradictoire, se donnant elle-même pour vraie ; e) Le pragmatisme. Est vrai ce qui est utile, ce qui réussit (Peirce, James) ; f) Comte. La vérité, c’est ce en quoi s’accordent les esprits, la convergence mentale. Elle se rencontre en science ; g) Beaucoup de modernes ramènent la vérité à la conviction subjective, librement décidée (Kierkegaard, Sartre : la liberté est le fondement du vrai) ; h) Heidegger. La vérité serait le dévoilement de l'être, selon l’étymologie a-lêtheïa, mais «nous ne pensons pas encore», car l’être se cache. ♦ 2° Peut-il y avoir différents types de vérité en philosophie ? Supposons que cette diversité existe. Le philosophe qui adopte l'une de ces conceptions affirme qu’elle est LA vérité ; les autres formes sont alors de simples opinions, car si la vérité existe, elle est une et immuable. Le même raisonnement doit être tenu pour toute autre conception. Aussi la thèse de la mosaïque des types de vérité est-elle absurde. Dira-t-on que c'est la synthèse de ces thèses sur la vérité qui est la vérité (ainsi faisait Hegel) ? Mais alors, que deviennent les conceptions ainsi dépassées et surmontées ? De simples opinions ; or c’est ce qu'elles refusent d'être, chacune se posant comme LA vérité dissipant les obscurités et confusions des opinions. — La vérité, si le philosophe la découvre, est nécessairement unique ; elle se pose et se justifie immédiatement par elle-même : «Verum index sui etfalsi (Le vrai est le critère qui se désigne lui-même et qui désigne le faux)» dit Spinoza. Est vérité ce qui fait connaître exactement ce qui est. «Alêthéïa kaï on (Vérité et être)», disait Platon. Ainsi, la définition classique est-elle irréfutable : «La vérité est l'adéquation de l'intelligence avec la chose», c'est-à-dire que la connaissance comprise par l'intelligence correspond parfaitement à ce qu'est la chose, lui est adéquate. On peut alors, en un premier temps, comprendre que les deux directions opposées de l'empirisme et de l'idéalisme sont complémentaires ; chacune manque de l'autre, a) La conception empiriste montre à juste titre que l'esprit humain est d'une nature telle qu'il ne connaît rien si aucune donnée sensible ne lui vient par ses organes de perception ; mais cela ne signifie pas que la connaissance se réduise à cela : «Si toute notre connaissance débute avec l'expérience [sensible] cela ne prouve pas qu'elle dérive toute de l'expérience» (Kant) ; «Rien n'est dans l'âme qui ne vienne des sens (...) sauf l'entendement lui-même» (Leibniz, texte 81) ; b) La conception idéaliste souligne la puissance propre de l'intelligence (ou raison), à laquelle la sensibilité ne peut pas parvenir par elle-même, et sans laquelle nous ne connaîtrions rien, mais serions réduits à subir, comme les animaux. Toutefois, ce pouvoir ne se suffit pas à lui-même, car d'une part il a besoin des données sensibles : «Notre entendement fini, limité, est toujours un entendement qui a besoin de sensations et d'images» (proposition sur laquelle s'accordent Aristote, saint Thomas d’Aquin, Kant et bien d'autres) ; d'autre part, même dans une détermination précise, comprise par l'entendement, et appliquée à telle ou telle donnée sensible, il reste encore à chercher. Le sceptique est un chercheur (skeptomaï signifie «examiner», «réfléchir», «rechercher»). Kant disait que les sceptiques étaient des nomades. Il faut chercher pour préciser mieux, pour mettre en rapport avec d'autres connaissances qui éclairent celle-ci, etc. Nous raisonnons et avançons peu à peu, alors que la Vérité totale et absolue ne serait présente qu'à un Entendement ayant une intuition parfaite, saisissant totalement, dans un seul acte, et la chose et ses rapports avec toutes les autres. C'est pourquoi les tentatives idéalistes (par exemple chez Hegel) voudraient engendrer un système global du Savoir, le Savoir absolu, de par les seules forces de la pensée humaine ; mais il échappe bien des choses à Hegel, et son long exposé est complexe et besogneux ; c) Ainsi, Spinoza et Hegel ont raison de nous faire voir que l'erreur n'est pas une connaissance inexistante, un néant de connaissance, mais une connaissance limitée ignorante de ses limites (ils disent : «Le Vrai, c'est le Tout»). Ils retrouvent ainsi une des idées fondamentales d'Aristote et de saint Thomas : il n'y a pas d'erreur absolue, l'erreur étant une idée insuffisante, ou comme dit Spinoza, «mutilée et confuse». Or, savoir que telle proposition est confuse nous interdit de la croire vraie (et c'est pourquoi la clarté de l'expression est une qualité essentielle des propositions philosophiques, un langage fumeux et obscur étant un indice de fausseté). En outre, savoir que telle proposition est incomplète (par exemple la définition de l'homme comme «animal raisonnable») nous conduit à poursuivre la recherche (l'homme est aussi un «animal social», et même, disait Aristote, un «animal conjugal», etc.). ♦ 3° De là, on peut mettre en place les diverses thèses. Insuffisantes si elles sont prises absolument, elles sont justes d'un certain point de vue. a) L'empirisme. Il est vrai que «rien n'est dans l'entendement si cela n'a pas d'abord été donné dans les sens» ; b) Mais, c'est, comme dit l'idéalisme, dans la puissance intellectuelle que réside le pouvoir de connaître ; c) Kant a raison de souligner le travail de l'esprit, son apport irremplaçable, mais il a tort de croire que ce travail déforme la réalité en soi, crée une autre réalité à côté de la première (l'expérience), nous interdisant complètement de la connaître. Au contraire, il nous fait progresser : notre connaissance est limitée, mais non pas hors de la réalité en soi (réalité réelle) ; d) Même remarque pour les sceptiques, car, comme dit Pascal, si «nous avons une impuissance de prouver, invincible à tout le dogmatisme», il reste cependant que «nous avons une idée de la vérité, invincible à tout le pyrrhonisme» ; e) Le pragmatisme. Si une connaissance est vraie, elle sera utile ; mais ce n'est pas l'utilité qui fonde la vérité, elle en découle seulement ; f) La conception de Comte (convergence mentale) est aussi à prendre comme une conséquence de la vérité : une connaissance vraie produit l'accord des esprits dès lors qu'ils la comprennent ; mais cette condition subjective n'est pas l'essence de la vérité, elle en découle seulement ; g) L'idée moderne que la vérité se reconnaît à la conviction du sujet n'est pas autre que celle de Comte ramenée à un individu. La conviction n'est pas le critère du vrai, mais elle en découle ; ma liberté n'est pas un caprice infantile qui voudrait que fût vrai l’objet de mes désirs. Descartes disait : «Je n'ai jamais traité de l'infini que pour m'y soumettre, et non pour décider ce qu'il est ou n'est pas» (V. le texte de Simone Weil : «Si je dis que 7 + 8 = 16, je me trompe ; je fais, d'une certaine manière, que 7 + 8 = 16 ; mais ce n'est pas moi qui fais que 7 + 8 = 15»); h) Sur la thèse de Heidegger (la vérité-dévoilement), il faut reconnaître que l'opinion, le «ce qui se dit» peut souvent cacher la vérité, occuper l'esprit, l'empêcher d'accéder à la vérité (au moins pour un temps). Mais la vérité n'apparaît pas d'un coup, comme si un voile était enlevé - et c'est cette impossibilité de fait qui explique pourquoi Heidegger croyait que l'être se cache, par on ne sait quelle malice. En réalité, la vérité se cherche, et elle se cherche avec désir et amour, dans le but de mieux connaître le monde, soi-même, sa destinée, et Dieu, l'auteur de tout. Même en dehors de la philosophie, la Révélation n'est pas un dévoilement, comme certains le croient (mais ce sont ceux qui ne savent pas ce qu'elle est). C'est pour nous une marche, un progrès sur la voie de la Vérité absolue, qui est venue dans notre histoire. («Le Dieu Fils unique [...] l'a fait connaître [exéguésato].») ♦ 4° L’intelligence humaine est donc faite pour la vérité, si elle veut bien s'imposer le travail nécessaire pour déterminer de mieux en mieux ce qui est, aller ainsi vers l' «adéquation de l'intelligence à la réalité» (volonté et amour du vrai animent l'effort intellectuel ; l'intelligence éclaire la volonté : nos puissances, distinctes, ne sont pas séparées dans leur vie réelle). Nous n’avons pas proposé une nouvelle «synthèse dialectique», mais la vue aussi complète que possible dont les différentes perspectives sont des aspects ; c’est ce que fit saint Thomas d'Aquin dans ses Sommes, dans ses Commentaires d'Aristote et dans ses Questions disputées. Il est l'homme qui a vu plus large et plus vrai que tout autre philosophe. En particulier, si on le compare à Kant, on s'aperçoit que saint Thomas, comme Kant, sait que notre connaissance par concepts n'épuise pas toute l'intelligibilité du réel, comme ferait une intuition absolue et parfaite (l'intuition divine, éternelle ;«Eternité»). Cependant, elle progresse dans son atteinte de la réalité — ce que Kant fut tout près de retrouver quand il distingua l'intelligence archétype, divine, créatrice, pénétrant tout ce qu'elle crée d'une intuition parfaite (l'archétype, c'est le modèle) ; et l'intelligence ectype, qui a toujours besoin d'images ou de sensations pour connaître (ektupos signifie «esquisse procédant d'un type parfait»).
VÉRITÉ
Caractère de ce qui est vrai soit du point de vue formel, soit parce qu’existant. Une proposition vraie peut également être nommée une vérité. ♦ La relation entre la vérité et ce qui a lieu est particulièrement claire lorsqu’on évoque la vérité d’un témoignage ou d’une étude historique. On ne doit cependant pas oublier qu’on signifie par de telles expressions qu’il existe une conformité entre un discours, les symboles qu’il utilise et son contenu, et un ensemble d’événements empiriques - faute de quoi on risque de confondre la vérité et la réalité. Il est en effet préférable d’appliquer la notion à des énoncés et non à des faits. Dans cette optique, l’opposition habituelle, en logique contemporaine, entre vérité formelle et vérité matérielle distingue, d’un côté un énoncé démontrable et doté de cohérence logique indépendamment de toute analyse de son contenu (c’est le cas en logique et en mathématiques), de l’autre un énoncé dont les termes tels qu’ils ont été définis correspondent bien aux phénomènes expérimentaux dont on prétend rendre compte (c’est le cas dans les sciences expérimentales ou sociales) : toute vérité scientifique (expérimentale) est dès lors nécessairement temporaire.

 
vérité, conformité de ce que l'on dit avec ce qui est. — La vérité est donc un caractère de notre connaissance et non de ce qui existe (le réel). Elle se définit, d'une manière classique, par l'« accord de notre pensée (perception, jugement) avec le réel ». En revanche, en mathématiques, où il s'agit uniquement de la rigueur interne d'un raisonnement, la vérité se définit par l'« accord de la pensée avec elle-même » (définition donnée par Kant). Lorsqu'il s'agit du devenir historique, on doit alors se faire une conception « dialectique » de la vérité : elle est l'« accord de ce que nous pensons avec ce qui va venir » (Hegel, Marx), celui-là dit la vérité qui sait ce que l'histoire nous réserve. Enfin, d'un point de vue purement pratique, la vérité d'une conception se définit « par la réussite » (pragmatisme de Pierce, W. James, Dewey). On voit que, selon qu'il s'agit du monde physique ou du monde de l'histoire et des relations humaines, la vérité possède un sens absolu ou relatif. La philosophie s'est toujours définie comme la recherche de la vérité. De quelle vérité s'agit-il et de la vérité de quoi? La philosophie « première », ou fondamentale, a pour objet de connaître le fondement de la pensée humaine (Platon, Spinoza, Kant, Fichte, Hegel), c'est-à-dire la lumière (ou l'« absolu ») qui rend possible tout savoir; on parle alors de la vérité. Mais il peut s'agir d'obtenir une connaissance vraie des phénomènes de la nature, et c'est là l'objet de la science en général. La philosophie moderne a incliné les esprits vers une réflexion sur l'histoire : Merleau-Ponty conseillait, à cette fin (dans Signes, 1961), le détachement et le non-engagement, qui, seuls, permettent une vue lucide, profonde et à long terme de la vérité historique; il opposait ainsi la réflexion philosophique sur l'histoire à l'aveuglement de l'homme de parti, cette réflexion ne devant être elle-même qu'un moment au service de l'action « authentique » (qui va dans le sens de l'histoire ou de la vérité historique). On distingue le philosophe, qui recherche la vérité, et le sage, qui la possède; d'autre part, le prophète, qui la prévoit et l'annonce, et, dans l'ordre de l'action historique, le héros, qui la réalise.
Vérité Du latin veritas, « vérité », « réalité ». - Conformité de l’idée à son objet ; adéquation de la connaissance et de la réalité. - Vérité formelle : en logique, qualité d’une proposition qui ne contredit pas les lois de la pensée et les règles de la logique. - Vérité matérielle : dans les sciences expérimentales, accord de la connaissance avec les phénomènes observés. • Dans la mesure où elles ne renvoient à aucune réalité extérieure, les vérités des mathématiques sont purement formelles. • Pour Aristote, c'est bien dans la conformité avec la réalité décrite que réside la vérité : « Ce n'est pas parce que nous pensons d'une manière vraie que tu es blanc, que tu es blanc, mais c'est parce que tu es blanc, qu'en disant que tu l'es, nous disons la vérité. » • D'après Kant, « la vérité formelle consiste purement et simplement dans l'accord de la connaissance avec elle-même, en faisant entièrement abstraction de l’ensemble des objets et de toute différence entre eux. »


VERITE (n. f.) 1. — Caractère de ce qui est vrai : « La définition nominale de la vérité en fait l’adéquation de la connaissance avec son objet » (Kant). 2. — Par ext., désigne ce qui est vrai, c.-à-d. soit une proposition vraie, soit un fait bien établi ; en ce dernier cas, Syn. réalité : « On peut douter de la vérité des choses sensibles » (Descartes). 3. — Vérité éternelle (class.) : se dit des propositions qui ne dépendent pas de faits empiriques et qu’on suppose vraies indépendamment de la réalité du monde (parce que, par ex., elles sont de toute éternité dans l’entendement divin) ; Syn. vérité de raison. 4. — Vérité formelle (ou logique) / Vérité matérielle : a) (Class. ; cf. Kant) La vérité formelle d’une proposition consiste dans l’accord de la connaissance avec elle-même (c.-à-d. dans son caractère non contradictoire) ; la vérité matérielle, dans l’accord avec les phénomènes, b) (Auj.) On nomme logiquement vraie une proposition qui est vraie en vertu des seules lois logiques.