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TROUBADOURS ET TROUVÈRES

TROUVERE nom masc. - Poète médiéval de langue d’oïl. ETYM. : de troverre - « trouveur ». À la différence des troubadours, les trouvères s’exprimaient dans la langue d’oïl qui était celle de la France du Nord. Contemporains des troubadours, ils partageaient pour l’essentiel la même conception de la poésie, s’inspirèrent de celle-ci et continuèrent à chanter l’amour courtois lorsque, au début du XIIIe siècle, la littérature des troubadours commença à décliner. Deux des plus célèbres trouvères sont Chrétien de Troyes et Thibaut de Champagne.

TROUBADOURS ET TROUVÈRES L’origine la plus communément admise du mot «troubadour» statue qu’il est dérivé du verbe occitan trobar (« composer, inventer»). Les troubadours sont des poètes lyriques de langue d’oc (sud de la France). Actifs aux xiie et xiiie siècles - même si le premier texte en langue occitane répertorié remonte au xie siècle -, influencés par les poètes arabes, ils se recrutent dans tous les milieux sociaux, et si certains sont ducs, comtes ou même rois (Richard Cœur de Lion, Alphonse II d’Aragon), si d’autres sont de petite noblesse ou de bonne bourgeoisie, il en est aussi d’origine modeste qui doivent aller de cour en château pour gagner leur subsistance. Généralement, ils composent le texte et la musique des œuvres qu’ils interprètent, mais ce n’est pas une règle absolue ; certains, par exemple, font exécuter leurs compositions par des jongleurs et autres ménestrels. Les quelque 27 000 pièces que nous connaissons des troubadours (dont une vingtaine furent des femmes, appelées « trobairitz ») appartiennent au genre des sirventes — satires politiques (telles celles composées à l’occasion de la croisade contre les Albigeois) -, à celui de la canso (la chanson d’amour) ou encore à la pastourelle (amour pour une bergère). Le style des troubadours fut repris à partir de 1160 par des poètes du Nord issus de la bourgeoisie et s’exprimant en langue d’oïl, les trouvères, qui développèrent entre autres la sérénade (lamentations du chevalier amoureux) et la tenson, sorte de joute verbale à laquelle se livrent plusieurs poètes. Réservée d’abord aux cours princières telles celles d’Angers, de Champagne ou encore de Blois, la poésie lyrique deviendra l’affaire de toutes les couches de la société et ne se bornera plus au seul thème de l’amour.
La poésie lyrique, en France, est-elle née, « au sud de la Loire », dans le pays de langue d’oc ? Ce fut longtemps la seule thèse admise par les historiens de la littérature. Certains pensent aujourd’hui qu’elle se serait développée « au nord », à peu près au même moment. Ainsi V-L. Saulnier (qui a inventorié au nord de la Loire une récolte particulièrement riche) l’estime, d’abord, tout aussi précoce et, en outre, plus « variée » dans ses thèmes, alors que le Midi chante presque exclusivement l’amour. Pour la grande médiéviste Régine Pernoud, c’est là un faux problème : « Si l’on examine les dates, on s’aperçoit que le lyrisme fleurit à la fois en langue d’oc, et en langue d’oïl », à la fois, c’est-à-dire en ce même XIIe siècle, et dans la première moitié du XIIIe. (Notons au passage que, tant au Nord qu’au Midi, cette poésie dite « lyrique » est -au sens véritable du terme - cultivée par des poètes qui sont en même temps des musiciens.) Le Nord préfère les formes, plus populaires, de la « chanson à danser » (rondes, rondeaux, ballettes, caroles) ou encore de la chanson de toile, de la « reverdie » (qui est, comme son nom l’indique, une poésie saisonnière), de l’« aube » (pièce galante qui feint de pleurer le retour du jour, qui sépare les amants) ; enfin, de la « pastourelle » (thème du chevalier et de la bergère). Le Midi innove, sans conteste, par son culte presque exclusif de la poésie « courtoise », ainsi nommée parce qu’elle met en scène les tourments et les désirs de l’homme de cour, du noble chevalier, même si (le cas est d’ailleurs assez rare) c’est un roturier qui chante à sa place. Les thèmes qui préoccupent les troubadours seront donc ceux-là même du preux : l’amour, la guerre, la foi. Ce qui peut alors se résumer en un mot : la fidélité ; car le code qui lie le poète chevaleresque à sa maîtresse sera calqué sur celui du « féal » à l’égard du suzerain (ou celui du « fidèle » envers Dieu, envers le Christ, envers Notre-Dame). Mais les thèmes de la guerre et de la foi sont aussi traités pour eux-mêmes par exemple dans le sirventès. Chant de combat - et ce dans les deux sens du mot - : tantôt le sirventès incite à la guerre sainte, et tantôt il chante la révolte, la lutte du vassal contre le seigneur. Ou encore, à partir du XIIIe siècle, il exprime la protestation du Méridional pillé et ravagé par les barons du Nord dans le cadre de la « croisade des Albigeois » (ainsi fera Peire Cardinal, natif du pays du Puy). Notons à ce propos, que le troubadour Folquet de Marseille, qui fut aussi célèbre comme évêque de Toulouse, se signala par sa cruauté dans la lutte contre les villes des Albigeois. Soucieux de raffinement dans la forme, les troubadours développent la technique du trobar ric (c’est-à-dire : riche, travaillé et orné) qui voit apparaître les recherches de rythmes, et aussi la rime, inconnue jusqu’ici ; rime le plus souvent doublée, triplée, et « enrichie » de la consonne d’appui. Au trobar ric, recherche purement artisanale, s’ajoute le trobar clus (c’est-à-dire fermé, « hermétique ») qui multiplie les métaphores ambiguës et les symboles, indéchiffrables pour le profane ; car l’objet de la passion qui lie le troubadour à la femme aimée - à sa Dame - est un secret, et doit rester tel aux yeux des tiers. Le premier en date des troubadours, Guillaume IX duc d’Aquitaine (1071-1127), est un Poitevin. C’est à la cour de Poitiers que vit et écrit aussi, pour l’essentiel, Cercamon (première moitié du XIIe siècle), tandis que Marcabru, l’initiateur présumé du trobar clus, se partage entre les cours d’Angleterre, de Castille, et encore de Poitiers (milieu du XIIe siècle). Le Bordelais Jaufré ou Jaufre Rudel (mort vers 1160), sire de Blaye - ou prince? -, est célèbre par son amour « lointain » : la comtesse ou princesse de Tripoli. Mais peut-être tout ceci n’est-il qu’une interprétation tardive des Vies de troubadours, répandues dès la fin du XIIe siècle, car après tout Jaufre chante « l’amour de loin » - l’amor de lonh - sans plus ; ce qui pourrait s’entendre dans un sens symbolique. C’est seulement la nouvelle génération des troubadours (seconde moitié du XIIe, qui, par la région de Toulouse, va s’approcher du Sud-Est (Peire Vidal, Peire Rai-mon), pour l’atteindre enfin avec Foulque ou Folquet de Marseille, et avec Raimbaut d’Orange. La cour de Narbonne, animée par la comtesse Ermengarde, devient l’un des centres de diffusion de la lyrique occitane ; puis la cour de Ventadour (que rend célèbre l’humble Bernart dit de Ventadour, fils d’un boulanger du château). De la cour de Poitiers, qui avait déjà joué un rôle décisif à l’origine de la floraison occitane, l’art des « troubadours » va se transmettre aux « trouvères » de langue d’oïl, grâce d’abord à Éléonore d’Aquitaine qui avait régné jusqu’ici sur cette cour de Poitiers et qui, devenue l’épouse du roi de France Louis VII, de 1137 à 1152, transporta « ses poètes » avec elle en pays d’oïl. Dès lors, dans toute la France du Nord, l’art des trouvères va connaître un essor plus rapide que celui des troubadours, plus général - et plus haut peut-être ; ce transfert de l’art des troubadours à l’art des trouvères est l’œuvre surtout des deux filles d’Éléonore d’Aquitaine, Aélis et Marie, amies des poètes, elles aussi. Aélis va régner sur la cour de Blois ; quant à Marie, comtesse de Champagne, elle sera la protectrice de Gace Brulé (début du XIIIe siècle), de Gautier de Coinci (1170-1238), et du grand Chrétien de Troyes que nous retrouverons plus loin. Mais cette énumération des glorieux protégés de Marie, comtesse de Champagne, n’épuise pas la liste des grands noms de la lyrique de langue d’oïl, qui compte encore le premier en date des « précieux » de notre littérature, grand surtout comme musicien, Thibaut de Champagne (mort en 1253), Conon de Béthune (mort en 1219), enfin Colin Muset, une première esquisse de Rutebeuf en plus gai (première moitié du XIIIe siècle), et le délicieux Adam de la Halle, auteur de Robin et Marion (qui est traité ici à son ordre alphabétique, ainsi que Chrétien de Troyes).


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