Databac

THOMISME

THOMISME. n.m. Le thomisme est le corps doctrinal et théologique constitué par saint Thomas d'Aquin. Il doit être rangé parmi les œuvres sur lesquelles le temps n'a pas de prise. Le savoir humain a changé depuis le XIIIe siècle, mais les grandes directions de pensée définies par le «Docteur angélique» n'ont rien perdu de leur valeur. Saint Thomas, comme Aristote, est réaliste en philosophie. Il y a, chez lui, une métaphysique, «étude de l'être en tant qu'être». L'être est conçu comme acte, par opposition à «puissance». Dieu est Acte pur. Chez tout sujet créé, l’acte d'être est une perfection participée. Chez l'homme, c'est une perfection actuatrice, obtenue grâce à une activité intellective et volitive. L'homme n'est pas l'agrégat d’une substance spirituelle et d'une substance corporelle. L'âme, principe-cause, est acte pour le principe corporel. L'animation, chez l'animal et chez l'homme, sont tout à fait hétérogènes. L'âme humaine est intellectuelle. Le principe intellectif contient, en son unité essentielle, comme ses virtualités propres, les facultés sensitives et le pouvoir d'animation végétative. Le degré suprême de l'intellect appartient à Dieu, le degré moyen à l'esprit pur, le plus modeste appartient à l’homme. C'est pourquoi il ne peut penser que discursivement et est sujet à l'erreur. L'intellect est de nature «séparée», indépendante du statut corporel et empirique. L’âme est immortelle. La critique de Kant ne porte pas sur la conception thomiste de l'immortalité de l'âme. La connaissance humaine possède un objet privilégié, la nature des réalités corporelles. Les êtres spirituels et Dieu ne sont, pour l'homme, objet de connaissance que selon une méthode négative. La structure métaphysique de l'homme est, pour saint Thomas, d'ordre dynamique. Par l’agir dûment orienté, l'homme acquiert le bonheur. La volonté est mue par l'idée du Bien. Les choix entre les biens partiels varient entre les hommes. Quand l'intelligence conçoit le bien suprême, la volonté ne peut pas ne pas le vouloir. Elle s'oriente vers lui dans une spontanéité qui est la forme suprême de la liberté. Sur Dieu, saint Thomas énonce deux thèses essentielles : l'existence de Dieu n'est pas une évidence, la nature de Dieu nous est inconnue. Pour affirmer que Dieu existe, il faut donc raisonner. Cinq voies convergentes nous conduisent à lui. Elles partent toutes de l'expérience. On ne les trouve inadaptées à la pensée moderne que si on les comprend mal. Par exemple, l'argument du Premier Moteur ne doit pas être interprété en termes de physique. C'est un attrait que Dieu exerce, au titre de Bien suprême. Ainsi entendu, l'argument échappe à la critique de Kant. À l'homme laissé à sa seule raison n'est possible qu'un discernement imparfait des perfections de la Cause Première. Grâce à l'analogie, à partir des créatures et en corrigeant sa pensée par des négations critiques, il est cependant possible de parvenir à une connaissance philosophique de Dieu, simple pierre d'attente d'une révélation ultérieure. C'est Dieu qui est l'objet de la théologie, mais sous le point de vue divin exprimé par la Révélation. Expression rationnelle de la foi, la théologie essaie, autant qu'elle le peut, de retrouver le regard que Dieu porte sur lui-même et sur l'homme. La méditation des grands mystères de la Trinité et de l'incarnation en est un des aspects majeurs. Pour saint Thomas, la théologie est une science. Ce qui fait sa valeur de départ, comme science subalternée («Subalternation»), est qu'elle s'appuie sur la Révélation. Le thomisme traditionnel, c'est-à-dire le ralliement aux thèses de saint Thomas, est loin d'avoir toujours été rigoureusement fidèle à l’enseignement du maître. Au XIIIe et au XIVe siècles, il a souvent négligé la philosophie de l'être comme acte. Le XVe et le XVIe siècles ont donné un grand essor au thomisme qui a été une base pour la Contre-Réforme. Au XIXe siècle, après l'encyclique de Léon XIII Aeterni Patris Unigenitum, les études thomistes se sont multipliées. Face au «modernisme», elles ont parfois adopté une rigidité tout à fait contraire à l'esprit d'ouverture de saint Thomas. L'université de Louvain, (sous l'impulsion du cardinal Mercier), J. Maritain, Aimé Forest, Yves Simon, Garrigôu-Lagrange, E. Gilson ont contribué à rendre au thomisme son vrai visage et à susciter pour lui un intérêt qui n'a pas cessé de se maintenir.

Thomas d’Aquin, thomisme

(Saint Thomas, 1225-1274.) Théologien et philosophe italien, saint Thomas a fait ses études chez les Bénédictins avant d'entrer dans l'ordre des Dominicains vers 1243. Elève d'Albert le Grand à Cologne, il vient ensuite à Paris - le centre intellectuel le plus prestigieux d'alors - où il enseigne, ainsi que dans plusieurs villes d’Italie.

♦ Thomas d'Aquin, le « Docteur angélique », est le plus célèbre penseur d'une Europe unifiée par le christianisme triomphant. Le problème essentiel qui préoccupe alors les théologiens est celui des rapports entre la raison et la foi. Le cadre conceptuel que va choisir Thomas pour le résoudre sera celui d'Aristote, dont la pensée se propage au début du xiiie siècle, par l'intermédiaire des philosophes arabes, puis de Maimonide. La doctrine d'Aristote est cependant loin d'être toujours compatible avec le christianisme, comme l’ont d'ailleurs compris les théologiens franciscains qui, à la suite de saint Augustin, refusent de la suivre : la morale aristotélicienne demeure étrangère à la notion de péché, et la Métaphysique contredit les vérités de la foi, affirmant par exemple l’éternité du monde ou l'impossibilité d'une approche de Dieu conçu comme cause finale, et non comme cause efficiente de l'univers. Empruntant néanmoins à Aristote sa théorie de l’abstraction, Thomas d'Aquin va combattre la thèse franciscaine (et augustinienne) de l'illumination et affirmer que l’idée prend sa source dans la réalité sensible - où elle existe déjà en puissance -grâce à l’intellect qui l’actualise. Défendant l’autonomie et les pouvoirs de la raison et de la philosophie en ce qui concerne les réalités de l'expérience ou le domaine des démonstrations (en cela il annonce la philosophie moderne), il a le souci de respecter une hiérarchie dans l’ordre du savoir. Ainsi, il distingue les sciences qui se suffisent à elles-mêmes, telles les mathématiques, de celles qui dépendent d'une discipline supérieure, comme la musique subordonnée à l'arithmétique. Quant aux vérités révélées, il estime que, s’il n'y a aucune contradiction entre leur enseignement et celui de la raison, la philosophie doit demeurer la servante de la théologie, qui conserve la primauté absolue. L'impuissance de la raison est certes manifeste pour connaître les dogmes du christianisme, comme celui de la Trinité, ou bien pour démontrer que l'univers n'est pas éternel, mais la foi n'est pas l'unique mode de connaissance en la matière : par exemple, la création du monde ex nihilo peut être démontrée et surtout, même si une connaissance de Dieu par analogie est seule possible, les preuves de son existence sont du ressort de la raison et viennent conforter la Révélation. Refusant l'argumentation de saint Anselme, il expose cinq preuves de l'existence de Dieu en partant des réalités sensibles : Dieu, premier moteur immobile de l'univers en mouvement et cause efficiente de cet univers ; être nécessaire par opposition à la contingence du monde ; être absolu par rapport aux choses qui présentent seulement des degrés de perfection ; ordonnateur et fin suprême de l'Univers. Dieu donnant ainsi sens et finalité à l'univers, il représente le Souverain Bien et oriente l'activité des créatures dans le cadre d’une nature harmonieuse. Certes, le cas de l'homme est spécifique : son intelligence lui permet de parvenir à une connaissance explicite du Bien en établissant une échelle hiérarchique authentique des valeurs ; ce n'est d'ailleurs pas toujours aisé en vertu des sollicitations diverses qui, l’induisant parfois en erreur, lui font choisir un bien médiocre ou illusoire et le font tomber dans la faute morale.

♦ Malgré l'opposition des disciples de Duns Scot et d'Ockham, le thomisme déborda le cadre de l'ordre des Dominicains et se développa à partir du xvie siècle. La philosophie de saint Thomas fut imposée en 1879 par le pape Léon XIII, qui voulait lutter contre la médiocrité du niveau intellectuel dans les séminaires. Mgr Mercier, à Louvain, et surtout ses disciples, adopteront la doctrine en tenant compte des apports de la philosophie et de la science modernes. C’est alors qu'apparaît le néo-thomisme, qui poursuit sa carrière en essayant d'intégrer, notamment, des éléments provenant de la phénoménologie et de l'existentialisme. Parmi ses représentants en France, citons, outre Étienne Gilson, Jacques Maritain (1882-1973), qui fut le champion de la réconciliation entre la philosophie et le christianisme, dans l'optique d'un strict respect de l'orthodoxie.

♦ Le Commentaire sur Aristote a été composé entre 1265 et 1273, parallèlement à la Somme théologique. Saint Thomas y expose en détail les raisons pour lesquelles la pensée chrétienne doit admettre la philosophie aristotélicienne - au prix du redressement de quelques « erreurs ». Bien entendu, ce commentaire ne pouvait prendre en charge toutes les œuvres du philosophe grec, mais l'échantillonnage des œuvres retenues est symptomatique des différentes dimensions du système : passages de l'Organon sur l'interprétation et le syllogisme ; de la Physique sur la discussion aristotélicienne des conceptions présocratiques, mais aussi sur la définition d'un principe divin comme premier moteur immobile (la démonstration d'Aristote sera déployée en cinq voies différentes dans la Somme théologique}. En ce qui concerne la cosmologie (les quatre livres du Traité du ciel}, saint Thomas adopte les thèses d'Aristote - mais avec une certaine prudence, admettant qu'elles pourront éventuellement être corrigées en fonction d'observations nouvelles. Avec les deux livres De la génération et de la corruption, il insiste à nouveau sur la façon dont Aristote « dépasse » les pensées antérieures. Évoquant le traité De l'âme, saint Thomas souligne, en discutant l’interprétation adverse, que le Stagirite affirme bien l'immortalité de l'âme - et se trouve donc sur ce point également en accord avec les exigences du dogme chrétien. L'apport psychologique d'Aristote est complété avec les commentaires des textes exposant la nature des sens et de la mémoire. Viennent ensuite les lectures de la Métaphysique, de l'Éthique de Nicomaque et de la Politique. Quant au premier ouvrage, on sait que pratiquement toutes les analyses d’Aristote seront admises ; du point de vue moral, saint Thomas fait le détail des différentes vertus et il approuve enfin globalement la description de la société et des différentes formes de gouvernement. Dans son ensemble, ce Commentaire constitue ainsi une sorte d'aide-mémoire : si le lecteur contemporain est surtout tenté d'y trouver les indices d'un abâtardissement de la philosophie aristotélicienne, il est, à l'époque, un exemple évidemment majeur et durable de l'influence de la pensée grecque sur la scolastique.