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THÉORIE ET EXPÉRIENCE (textes)

Le montage expérimental

«L’observateur écoute la nature ; l’expérimentateur l’interroge et la force à se dévoiler», déclarait le paléontologiste Cuvier (17691832). Toute l’initiative expérimentale réside donc dans l’idée, car c’est bien elle qui provoque l’expérience. La raison ou le raisonnement ne servent qu’à déduire les conséquences de cette idée (ou hypothèse), et à les soumettre à l’expérience.

L’idée préconçue

«L’expérimentateur est celui qui, en vertu d’une interprétation plus ou moins probable mais anticipée des phénomènes observés, institue l’expérience de manière que, dans l’ordre logique de ses prévisions, elle fournisse un résultat qui serve de contrôle à l’hypothèse ou à l’idée préconçue. […] Il faut nécessairement expérimenter avec une idée préconçue» (Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865).

De l’«idée préconçue» ou «pré-méditée» résultera une observation provoquée, qui permettra, comme l’on dit de nos jours, de tester notre hypothèse de travail.

Faits scientifiques er révolutions dans les sciences

Le fait scientifique est construit

«Depuis la dernière moitié du XIXe siècle au moins, diverses études ont mis en évidence le caractère très élaboré des prétendus faits. Loin d’être des données qu’il suffirait de constater, les faits sont sélectionnés, construits et interprétés», écrit le philosophe P. Thuillier (Jeux et enjeux de la science, 1972).

Exemple :

Il est fort probable que des télescopes ont été utilisés avant Galilée ; mais Galilée, lui, voyait dans cet instrument la possibilité d’infirmer la thèse d’Aristote selon laquelle ce qui est situé au-delà de l’orbite de la Lune est incorruptible. Galilée vit les taches situées sur la surface du Soleil : mais il fut le premier, en son temps, à prévoir tout le parti polémique que la science nouvelle pourrait tirer d’un tel «fait», et à interpréter celui-ci dans le cadre d’une théorie scientifique.

Bachelard : les ruptures épistémologiques

Bachelard appelle ainsi les refontes globales qui, de loin en loin, dans une discipline scientifique, remettent en cause les fondements mêmes de cette discipline.

Exemple :

La mécanique d’Einstein, notamment en ce qu’elle affirme que «la masse est une fonction compliquée de la vitesse», a provoqué une véritable rupture épistémologique en physique. La masse est un invariant : ce dogme constituait, en effet, un fondement essentiel (et, apparemment, «évident») de la physique newtonienne.

La science contredit les données fournies par les sens

La science commence «contre les sensations» (Bachelard)

Il convient de «séparer nettement la connaissance scientifique et la connaissance sensible» (Bachelard, Le Rationalisme appliqué, 1949). Ce qui entrave l’essor de la pensée scientifique, c’est, le plus souvent, son attachement aux intuitions usuelles, c’est l’expérience commune prise dans notre ordre de grandeur.

«L’opinion pense mal ; elle ne pense pas. […] On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter» (La Formation de l’esprit scientifique, 1938).

L’explication scientifique éclaire l’opinion… en la détruisant

C’est pourquoi l’opinion ne doit pas être amendée, mais rejetée. L’attitude scientifique suppose un changement de perspective, une véritable mutation de l’esprit. Ainsi Newton put-il jeter les bases de sa théorie de la gravitation universelle : mais, comme le dit Paul Valéry, «il fallait être Newton pour apercevoir que la Lune tombe, quand tout le monde voit bien qu’elle ne tombe pas» (Mélange, 1941).

Résumé : Le savant n’observe pas passivement la nature ; armé d'une théorie ou, tout du moins, d’une hypothèse, il expérimente, c’est- à-dire qu’il suscite des faits, les analyse et les interprète à la lumière de ses connaissances. La science tourne le dos à l’opinion commune ; et les découvertes scientifiques résultent généralement d’une mise en cause de dogmes que savants et gens cultivés rangaient jusque-là parmi les fondements même de leur univers mental.•

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