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Tétragonale

Une période tétragonale représente un modèle canonique d’organisation dite carrée, du développement discursif. Elle se déploie sur quatre unités thématiques concaténées logiquement entre elles, selon des relations rhétoriques diverses, chacun des quatre membres principaux étant susceptible de subdivision. Par rapport au détail grammatical de la phrase, une telle période peut construire, sur de simples rapports de groupes ou de propositions, une courte phrase, ou aller jusqu’à constituer l’architecture complexe d’un vaste ensemble réunissant des suites de «phrases» au sens étroit de la catégorie scolaire. Voici un exemple d’ampleur assez maximale, tiré de La Bruyère. La guerre a pour elle l’antiquité, elle a été dans tous les siècles : on l’a toujours vue remplir le monde de veuves et d’orphelins, épuiser les familles d’héritiers, et faire périr les frères à une même bataille. IXI Jeune Soyecour! je regrette ta vertu, ta pudeur, ton esprit déjà mûr, pénétrant, élevé, sociable; je plains cette mort prématurée qui te joint à ton intrépide frère, et t’enlève à une cour où tu n’as fait que te montrer : malheur déplorable, mais ordinaire ! IXI De tout temps les hommes, pour quelque morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se brûler, se tuer, s’égorger les uns les autres; et, pour le faire plus ingénieusement et avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu’on appelle l’art militaire; ils ont attaché à la pratique de ces règles la gloire ou la plus solide réputation, et ils ont depuis enchéri de siècle en siècle sur la manière de se détruire réciproquement. IXI De l’injustice des premiers hommes, comme de son unique source, est venue la guerre, ainsi que la nécessité où ils se sont trouvés de se donner des maîtres qui fixassent leurs droits et leurs prétentions. Si, content du sien, on eût pu s’abstenir du bien de ses voisins, on avait pour toujours la paix et la liberté. On a placé le signe IXI à l’articulation des quatre membres de la période. Le premier est la position du thème moral général (avec expolition). Le deuxième membre se caractérise par le traitement de ce thème sur une allocution particularisante avec paraphrase, antithèse et hyperbole. Le troisième membre constitue en fait une paraphrase très généralisante du premier. Le quatrième membre semble se dérouler selon une simple nouvelle paraphrase (avec expolition interne) du troisième, mais il se singularise très spécifiquement en réalité par deux traits qui lui sont propres : une coordination logiquement fort surprenante (par ainsi que) qui introduit la critique du pouvoir personnel et sa complémentation par une épiphrase de portée générale. On notera en outre que, sous réserve de l’appendice épiphrastique, malgré leur ampleur et leur complexité interne, chacun des quatre membres ne constitue, sur le plan étroitement grammatical, qu’une seule phrase. Il faut prendre conscience que ce modèle de la période tétragonale anime quantité de développements, argumentatifs ou littéraires, justifiant souvent à lui seul la masse des déroulements discursifs.

=> Période; allocution, paraphrase, expolition, hyperbole, épiphrase, antithèse.